mercredi 14 octobre 2020

Investir dans l'art ?

Amis millionnaires qui lisez régulièrement Ce Glob, ne dilapidez pas votre fortune à acheter des iles désertes qui seront bientôt dévastées par la montée des eaux, et où vous n’éviterez pas le virus, qui n’a que faire des frontières et de votre position sociale, investissez plutôt dans un marché culturel en plein essor, les collections des musées. 
 
Parmi les valeurs que l’Europe aura héritées sans hésiter de l’indépassable exemple américain, il n’y a pas que la nourriture poubelle, la politique spectacle et le cinéma puéril, il y a surtout un modèle économique et social d’une simplicité biblique : toute entreprise humaine doit être pécuniairement rentable. 
Or les musées américains, presque tous privés (maintenant privés de visiteurs par les restrictions sanitaires), tombent comme des mouches. Après avoir licencié une bonne part des employés et remercié les sociétés de services, que pensez-vous qu’il leur reste à négocier ? 
 
Jusqu’à présent l’Association américaine des directeurs de musée (AAMD), qui fait la loi outre-Atlantique, n’autorisait la vente d’œuvres des musées, sauf exceptions notables, que pour les remplacer et améliorer la collection, pratique qui ouvrait déjà la porte aux engouements passagers, modes et groupes de pression. 
Mais pandémie oblige, l'AAMD vient d’autoriser pour 2 ans, jusqu’au 10 avril 2022 - lisez « tant que ce sera nécessaire » - la vente d’œuvres des collections dans le but de secourir la trésorerie et la gestion courante des musées. On suppose qu’ils vendront en priorité les œuvres dont les donateurs ne sont plus là pour exprimer leur indignation (aux USA, domaine public signifie seulement qu’il n’y a plus de droits d’auteur sur les œuvres, mais elles restent en général la propriété d'institutions ou de fondations soumises au droit privé. En Europe les collections sont principalement administrées par des institutions publiques et soumises - pour l’instant - à des règles d’inaliénabilité).


Alors le musée de Brooklyn, à New York, se lance le premier, un peu timidement, avec une douzaine d’œuvres (sur une collection de 20 à 30 000), à vendre chez Christie’s le 15 octobre.
Les noms des artistes sont alléchants, mais les estimations modestes parce que les œuvres sont médiocres : un mauvais Corot douteux, un paysage de Courbet pour salle d’attente de dentiste, mais sans la biche, un Mesdag et un Daubigny insipides, et tout de même une Lucrèce de Cranach l’ancien, réchauffée mais de qualité (le vendeur en attend 1 à 2 millions de dollars)
 
Enhardi et mieux organisé, le Musée d’art de Baltimore (BMA), qui rouvre ses portes humblement à 25% de ses capacités, vient d’annoncer fièrement un « plan de dotation pour l’avenir », qui contient tous les clichés bien-pensants qui doivent le transformer en musée américain citoyen, responsable et respectueux des minorités (on se débarrasse d’un passé encombrant en l’effaçant des collections), et tout en ne licenciant personne.
Pour atteindre cet idéal, le musée ne vend que 3 tableaux modernes (Still, Marden, et Warhol) chez Sotheby's le 29 octobre, dont il estime, très optimiste, le bénéfice à 65 millions de dollars précisément, qu’il a déjà ventilés avec force détails sur les différents postes de dépenses.
 
Alors, le conseil à nos amis millionnaires sera d'aborder ce marché prometteur sans trop se précipiter, et en se méfiant des estimations gonflées par un reste de fierté des conservateurs aux abois. La catastrophe sanitaire semble s'installer, les prix devraient baisser. Naturellement, le conseil ne s’adresse pas aux heureux actionnaires des laboratoires pharmaceutiques, qui peuvent dépenser sans retenue, les yeux fermés.
 
Mise à jour le 15.10.2020 : Premiers résultats chez Christie's, Corot n'a pas démérité, il est parti à la moitié de son estimation moyenne, soit 125.000$, Mesdag presque à l'estimation haute, 175.000$, Courbet nettement au-dessus de l'estimation haute, soit 798.000$ (il y avait sans doute des dentistes dans la salle), et Cranach a ridiculisé les prévisions, en faisant presque 3 fois l'estimation haute, soit 5.070.000$.
 
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En illustration, un détail de la Lucrèce de Lucas Cranach mis en vente chez Christie's par le musée de Brooklyn.

2 commentaires :

Lothar a dit…

Je suis content pour Cranach.
Et Warhol dans tout ça (sachant que de nos jours, la foutaise est hors de prix) ?
Quant à l’inaliénabilitatitude, il serait peut-être bon pour les finances publiques françaises (la CPAM notamment) de mettre en vente la Joconde de Kivousavai-Ouvousavai, à se débarrasser enfin de cette sainte horreur à une mise prix aussi vertigineuse que certaines dettes régaliennes (sachant que ce ne serait qu’une très bonne copie, comme disait Guillaume —Apollinaire, pas le Conquérant qui hélas, est mort trop jeune pour avoir connu le poète et le peintre).
Et Soulage dans tout ça ?
Bien à vous.

Costar a dit…

La photocopie de la Cène de Léonard par Warhol était censée être le clou (estimée au moins 30M$) de la vente du musée de Baltimore chez Sotheby's, mais il est absent de la présentation qu'en fait la maison de ventes pour le 29 octobre (voir mon lien). Donc mystère !
Pour la "Con de Jo", je n'ai pas de meilleure proposition, à part la prêter à l'étranger et bombarder le transporteur.
Quant à Soulages, je crois qu'il vient d'avoir plus de 100 ans, et qu'un tableau de l'époque où il avait encore un pinceau et un tube de bleu (depuis il découpe des morceaux d'autoroute qu'il suspend du plafond), estimé dans les 7M€ sera en vente le 22 octobre chez Christie's.