Encore un petit vert...
Le vert Lamorinière au milieu de la gamme des verts de la maison Blockx.
Qui a un jour appuyé sur des tubes de peinture débouchés et fait des mélanges de couleurs sait que le tube de vert est inutile (comme l’orange et le violet) et qu’on obtient tous les verts imaginables en mélangeant, superposant ou juxtaposant essentiellement du jaune et du bleu.
D’ailleurs l’artiste parcimonieux et méfiant n’achète pas de tube de vert. Il porte malheur* et rend malade. Les pigments utilisés pour confectionner les verts, à base de cuivre voire d’arsenic, ont longtemps été dangereux et instables - on ne compte plus les tableaux de paysage dont le feuillage est devenu une bouillie brune ou grise.
* Au bout de ce lien, en bas d’un court et instructif récapitulatif sur les inconvénients du vert vous trouverez une captivante conférence (65min.) de l’inévitable Michel Pastoureau sur l’histoire du vert dans la peinture. Il déplore l’état lamentable des tableaux de Delacroix et de Constable et en accuse le mélange de mauvais jaunes avec de piètres bleus, mais il oublie que les tableaux d’autres peintres contemporains plus rigoureux qui utilisaient alors les mêmes matériaux, Ingres par exemple, n’ont pas subi ces ravages. C’est que la persistance des couleurs et des matières dépend pour une grande part des bonnes pratiques du peintre, notamment de l’emploi réfléchi des liants et de l’observation des temps de séchage.
Depuis, la chimie et la peinture en tube se sont nettement améliorées, et les fabricants de couleurs proposent maintenant d’opulentes gammes de nuances de vert, lumineuses, persistantes, siccatives et inoffensives, disent-ils.
Au moins simplifient-elles sur l’instant la vie du peintre de plein air, qui a rarement le loisir de fignoler mélanges et superpositions et n’a que le temps de déposer furtivement ses touches de couleurs entre deux averses passagères, les nuées de moucherons et la poussière soulevée par les rafales de vent.
Pour ajuster la chimie de leurs verts les marchands de couleurs vont jusqu’à s’acoquiner avec des peintres professionnels, et leur rendent parfois hommage en octroyant leur nom à un pigment. C’est ainsi que dans les années 1860, vers Anvers, le chimiste Jacques Blockx et le peintre François Lamorinière concoctèrent un "vert Lamorinière".
Lamorinière était alors un peintre paysagiste exclusivement et méticuleusement consacré aux arbres, déjà Chevalier de l’ordre de Léopold, et apprécié, pour ses teintes raffinées, par le Léopold suivant, fils du Léopold précédent, qui deviendra également roi des Belges, et propriétaire du Congo et de tous ses habitants.
Blockx deviendra une marque renommée de produits de qualité pour artistes.
Personne n’aura sans doute compté le nombre d’arbres peints minutieusement par Lamorinière, de ses débuts autour de 1850 à son dernier tableau, vers 1898, quand il devenait aveugle. On en contemplera dans les musées de Bruxelles, Gand et surtout au Kmska d’Anvers (Forêt de lapins sapins, Forêt près de Schilde, Forêt sur l’ile de Walcheren, Marais sans aucun arbre - un moment de déprime du peintre, manifestement).
Valentina Sarafian, à Bruges, vend actuellement un bosquet d'arbres particulièrement échevelés, dont on dénombre une bonne centaine, peints sur un panneau d’acajou de plus d’un mètre (avec un chasseur, discret, pour l’échelle).
Encadré, signé Fçois Lamorinière, daté de 1874 et authentifié au dos, le tableau contient certainement une bonne dose de vert Lamorinière, qui aura donc traversé déjà 150 ans sans dommages.
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