Les très riches heures de l’internet
Cette page - le folio 48 des Très riches heures du duc de Berry - peinte par les frères Limbourg peu avant 1416 et numérisée en 2020, représente pour ainsi dire le journal télévisé il y a très exactement 2023 ans et l’annonce des infos du jour faite aux bergers de Bethléem (qui se trouvait alors près de Poitiers, semble-t-il).
Tout le monde l’aura remarqué - même les esprits les plus optimistes - tout fout le camp* ! On en parle régulièrement dans ce Glob à propos d’internet. Trois ans, en moyenne, après une publication en ligne, elle disparait. Tout au moins devient-elle inaccessible, le lien y menant ne fonctionnant plus. C’est ainsi que ce qui aurait pu devenir la mémoire de l’Humanité n’est finalement que l’écume de ses petites lubies quotidiennes.
* Il suffira de constater ce qu’une équipe déterminée de créatifs inspirés a fait du musée de la Marine du Trocadéro après 7 ans de travaux ruineux. On en reparlera sans doute.
Les organes les plus officiels de la république ne se fatiguent même plus à maintenir leur site. Le CNRS, l’élite de la recherche scientifique en France, sans qui nous en serions encore à bâtir des cathédrales, diffusait jusqu’alors dans sa Bibliothèque Virtuelle des Manuscrits Médiévaux un beau facsimilé des Très riches heures du duc de Berry que nous avions commenté en 2018. Eh bien aujourd’hui son lien ne lie plus. C’est la célèbre "Erreur 404".
Par chance, les techniques ne cessant d’aller de l’avant, une version plus belle et beaucoup plus détaillée** des Très riches heures vient opportunément d’être publiée en ligne par le Domaine du château de Chantilly et le Cabinet des livres du musée Condé, propriétaires du manuscrit, aidés par la Réunion des Musées Nationaux. Les illustrations de cette chronique en viennent.
Hélas la chose est desservie par une interface mal pensée, incommode, à la navigation laborieuse comme on en faisait il y a 25 ans aux débuts de l’informatique, à l’affichage parfois déficient (le folio 14v ne répond pas, sur ordinateur), et naturellement parfaitement verrouillée, interdisant toute copie ou exportation***, jusqu’à l’impossibilité de partager un lien vers un folio particulier. Il faut s’y habituer, partout l’interdiction est devenue la norme.
*** On se consolera avec le facsimilé complet du CNRS, dont on a malgré tout retrouvé la nouvelle adresse. Moins beau que celui de la RMN, son interface est mieux conçue et il est téléchargeable au complet en une seule opération dans une version de bonne qualité (7000 x 5000 pixels par double page). La récolte des 900 mégaoctets est très lente (212 doubles pages), mais elle est fortement recommandée, car multiplier et disséminer le nombre de sources est peut-être ce qui sauvera l’information…
Un site comme celui des Très riches heures du château de Chantilly, ringard et barricadé à outrance, trop spécifique et déjà démodé, sera malaisé à maintenir, et on peut prédire qu’il ne survivra pas longtemps sur internet. C’est curieux comme notre civilisation continue à alimenter sa gigantesque bibliothèque de ressources sans se soucier de sa préservation, comme si elle savait déjà que là où elle se dirige à plein gaz il est inutile de s’encombrer de tout ce fatras électronique.
Cette page (folio 82), peinte par Jean Colombe vers 1485 et numérisée en 2020, illustre le début du Psaume 114 de la Bible (ou 116 selon certains computs) invoqué pour l’office des morts. C’est toujours la même rengaine, la même ratatouille incohérente. Job devenu miséreux n’écoute pas ses anciens amis riches qui lui montrent un ciel vide de Dieu. Il supporte son malheur car il sait qu’une fois mort il rencontrera l’auteur de tous les bienfaits sur Terre qui lui réservera alors une sacrée surprise.
2 commentaires :
Bon, il faut dire aussi que le Job a rencontré il y a peu un Steeve du même bois qui l'a mis à l'informatique sachant qu'ils ont en commun une pomme (comme celle du vert Adam et de l'âcre Eve).
Meilleurs voeux à vous, cher Costar et surtout, continuez de (à ?) nous épater.
Merci cher Lothar ! Autant pour vous (même plus), et continuez à (de?) me lire avec cette constance et ces réparties.
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