mercredi 11 septembre 2024

Du bon usage de la logique Shadok

La centrale électrique EPR de Flamanville, vue de la route touristique. On sent à certains détails imperceptibles qu’on souhaite faire comprendre au quidam en villégiature (de préférence francophone) qu’il aborde à ses risques et périls les secrets de la Défense nationale. 

Le 3 septembre dernier, sur la côte marine de Flamanville en Cotentin, non loin de Cherbourg, l’uranium du premier réacteur pressurisé européen en France subissait les outrages de quelques neutrons sciemment envoyés pour semer la discorde. L’agression énervait passablement les noyaux du métal qui ne tardaient pas à s'échauffer. Leur énergie thermique savamment captée taquinait alors une simple bouilloire du commerce dont l’eau, à son tour surexcitée, tentait de fuir l'offensive en se vaporisant. Cette pression était intelligemment captée et détournée vers une turbine placée là opportunément pour transformer le désordre cinétique en un travail mécanique régulier, apte à faire tourner sur son axe le champ magnétique d’un aimant dans la bobine d’un alternateur… Là, on est en train de perdre le lecteur ! 


Résumons. Tout cela générait finalement un flux électrique grâce auquel le plus haut responsable de la centrale de Flamanville présent ce jour-là et un haut fonctionnaire du gouvernement, désigné d'office, se congratulaient rassérénés devant la machine à café de la salle de réunion, qui venait donc de redémarrer.

Et encore, on a énormément simplifié la description du mécanisme.


Évidemment les médias ont suivi l'évènement, mais au lieu d’informer le public sur le fonctionnement de cette merveille de la technologie, ils ont insisté lourdement sur les délais et les couts démesurés de réalisation du projet, en détaillant les 12 ans de retard, le délai multiplié par 3, et le budget initial multiplié par 4 (en réalité c'est par 6, soit 20 milliards d’euros, car la presse recopie sans réfléchir les communiqués de l'AFP, qui a oublié les frais annexes dont les frais financiers, rappelés par la Cour des comptes et par Reporterre).


Tout cela est mesquin. Les médias savent, leurs archives l’attestent, que le mensonge prévisionnel par omission est la raison d’être de tous les projets d’envergure, sans quoi ils n’obtiendraient jamais le moindre financement. Quant au délai, il est permis d’espérer qu’il aura servi à récupérer un peu de l’expérience et des compétences perdues au long des dizaines d’années de sous-traitance au rabais de cette industrie.

Enfin, rappelons comme le répète M. Jancovici sur la chaine Public-Sénat, que le prix de l’électricité, même multiplié par 3 ou 4, sera toujours quasiment gratuit compte tenu de l’absolue nécessité du produit. 



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Le lendemain, 4 septembre, l’électricité était coupée par le système d’alerte automatique. Plus de réaction nucléaire, plus de café.


La porte-parole d’EDF et l’AFP étaient rassurantes. Contrôles et analyses étaient mis en œuvre pour identifier l’aléa, peut-être y avait-il une pièce défectueuse ou une "mise en configuration inappropriée de l’installation." Et d’ajouter "Ça prouve que le système de sécurité fonctionne bien."


Magnifique sentence ! 

En effet, s’il faut qu’un système sur deux tombe en panne, il est préférable que ce ne soit pas le système de sécurité, celui qui surveille l’autre, notamment en matière nucléaire. Et puis personne ne contredira que le socle de tout progrès scientifique est l’expérimentation, faite d’essais et de ratés continuels. C'est la méthode expérimentale préconisée dans le livre 1 chapitre 18 de la philosophie des Shadoks de Jacques Rouxel, qui a depuis longtemps supplanté Descartes dans les hautes sphères de l’État.  


Rappelons l’article 1 de la philosophie expérimentale Shadok :

Chez les Shadoks la situation est satisfaisante, les essais de fusée continuent à très bien rater. Car c’était un des principes de base de la logique Shadok, ce n’est qu’en essayant continuellement que l’on finit par réussir, ou en d’autres termes, plus ça rate plus on a de chances que ça marche. […] Il commençaient donc à essayer très tôt le matin. Les essais rataient d'abord pendant toute la matinée. […] Vers midi, ils prenaient un repas léger. Ça continuait ensuite jusqu'à la nuit. Et le lendemain, de très bonne heure, toujours, ils recommençaient.


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La machine a café fonctionne à nouveau depuis le 7 septembre, à 0,2% de sa puissance théorique. Les cafetières des habitants du Cotentin seront probablement alimentées à partir de cet hiver, sauf aléa, imprévu, impondérable, ou manque de chance. 


Et il est réconfortant d’apprendre qu’une floraison d’EPR de future génération poussera bientôt dans les régions de France (loin de la capitale, si possible). Ils ne sont pas encore conçus mais on nous dit qu’ils seront moins compliqués et moins chers, tout en restant aussi fiables et sécurisés. On est impatient de les voir fleurir près de chez nous, par exemple pour remplacer à Saint-Laurent-des-Eaux les deux réacteurs dont le combustible avait commencé à fondre en 1969 et 1980, hors service depuis 1992 et toujours en cours de démantèlement, mais qui, en dépit de ces accidents ("incidents graves" dit la police), manquent cruellement à la prospérité économique, culturelle et sportive de cette belle région.



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Pendant ce temps aux antipodes, dans feue la centrale nucléaire de Fukushima, tout est parfaitement conforme au pire des scénarios. Les millions de mètres cubes d’eau de refroidissement encore un peu contaminée commencent à être déversés dans l’océan, pour faire place, dans les citernes, aux eaux nettement plus contaminées. La Chine et la Russie utilisent ce prétexte pour cesser leurs achats de poisson, coquillages et crustacés Japonais. 

Mais 13 ans après la fusion du combustible des cœurs de la centrale, l’opérateur Tepco a bien d’autres choses en tête. Il cherche à se défaire des centaines de tonnes de débris fondus ultraradioactifs. Et conformément à la philosophie Shadok, décidément fort pratiquée dans ce secteur d’activité, il envoie dans l'enfer des robots de plus en plus sophistiqués et cuirassés, que les radiations déglinguent instantanément.


Pourquoi s’embêter à les récupérer au lieu de tout laisser sur place ? Pour les vendre à la France qui les entreposerait, rente viagère éternelle, dans ses cimetières de déchets de La Hague ou du plateau de Bure ? Sa réputation d’excellence dans les projets sans fin aurait-elle traversé les frontières, comme la radioactivité ? 


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