mercredi 18 septembre 2024

Ce monde est disparu (15)

Du Puigaudeau, Feu d'artifice et kiosque à musique sur le Grand Canal (c.1905)
hst. 100x81cm, marché de l'art. 

À la vue de cette illustration, vous vous dites déjà "Ça y est, la carte postale de Venise maintenant ! La prochaine fois on aura droit à une portée de chatons.N’exagérons pas, mais on ne peut pas toujours parler seulement des artistes qui fréquentent salons à la mode et salles de vente prestigieuses. L’auteur de cette sympathique carte postale est Ferdinand Loyen du Puigaudeau, peintre breton, ou presque. 

Il fut, à l’ouest de la France, près de Nantes, ce qu’Henri Le Sidaner était au nord, en Picardie, à la même époque, de 1890 à 1930, impressionniste tardif pour le style, et pour l’inspiration fasciné par la lumière des crépuscules.
Pour le reste il était son exact contraire ; quand Henri entretenait l'embonpoint naissant du propriétaire dans son grand jardin de Gerberoy, entouré de familiers et d’hydrangéas en fleurs, Ferdinand cuvait dans son manoir en location, au Croisic, dépressif et alcoolique conclut l'article de l’Encyclopédie.

Tous deux exclusivement paysagistes, Le Sidaner et Du Puigaudeau ne pouvaient ignorer le cliché des clichés depuis deux siècles, Venise.
Le Sidaner y passera, après un court séjour en 1892, les deux hivers de 1905 et 1906 et en fera quelques dizaines de tableaux, dont en 1907 "Venise, la sérénade", l’un de ses plus grands (2,5m²), et à date le plus cher (2,1M$). Le succès venu il y retournera et y aura même une salle d’exposition officielle à la Biennale de 1914.
Du Puigaudeau passera 5 mois à Venise, de l’été à l’hiver 1904, en rapportera des dizaines d’esquisses, quelques moyens formats et des ennuis d'argent. Ce tableau en illustrationqui doit disparaitre en vente chez Nice Enchères le 26 septembre prochain, large d’un mètre, soigneusement élaboréa certainement été réalisée de retour en Brière, vers 1905.

C’est un beau Du Puigaudeau classique, un peu doucereux, certainement. L’estimation de 30 à 40 000€ parait faible, une autre imposante vue du Grand canal, où il a également réuni tous les sujets bateaux vénitiens, est partie contre 129 000€ en 2015.

Anecdote, le kiosque à musique illuminé, à droite de l’église San Giorgio Maggiore, cabote sur le Grand Canal dans d’autres tableaux de Du Puigaudeau, ici à la pointe de la Dogana, et ici près de l’église de la Salute. Les notices, étourdies, disent que c’est un manège, certainement parce que le peintre a représenté ainsi beaucoup de manèges dans les fêtes foraines nocturnes de Pont-Aven. Mais on voit mal, vu les forces impliquées, un carrousel tourner autour d’un axe qui flotterait sans être solidement arrimé à la terre ferme, et puis le peintre a soigneusement représenté des musiciens assis - on distingue le manche d’une contrebasse - autour du chef d’orchestre, qui lève même les deux bras pour attirer leur attention sur la version de la Salute.

Du Puigaudeau mourra démuni en 1930. Le Sidaner riche et décoré en 1939. Il avait passé quelques mois en Bretagne, en 1922, pour réaliser une série de tableaux. Au Croisic il était hébergé dans un hôtel avec vue sur le port, à quelques centaines de mètres du manoir de Kervaudu où vivait et peignait alors Du Puigaudeau. On n'a pas trouvé de trace d’une rencontre.

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