Renaissance d’une Nativité
Pour celles et ceux qui, une fois adultes, ont persisté à croire aux contes de fées, la National Gallery de Londres avait prévu cette année un noël de circonstance : exposer dans toute la fraicheur d’une minutieuse restauration un des bijoux de sa collection, la nativité du Christ peinte vers 1485 par Geertgen tot Sint Jans (en français, Gérard de Saint Jean).
Mais le projet de renaissance a un peu dérivé. La restauratrice qui en était chargée reconnait avoir été surprise par l’ampleur du travail, sur un si petit panneau large de 25 centimètres, comme elle l’explique dans une vidéo (8min.) où elle insiste sur son état de délabrement, bien dissimulé derrière des repeints et une épaisseur anormale de vernis. En 1904 à Berlin, l’incendie de l’appartement de son propriétaire d’alors avait fait bouillir la surface peinte, assombri les couleurs, provoqué des cloques jusque sur le visage de la Vierge et occasionné des soins d’urgence.
Finalement, à la date anniversaire, le panneau n’était pas exposé, mais tout de même reproduit, sans doute à la hâte, sur le site du musée, en une image très détaillée, mais couverte de reflets, de désagréables points brillants par endroits.
Le site de la National Gallery permet la consultation en haute définition mais ne permet plus les téléchargements, depuis quelques temps, qu’en basse qualité (eh oui, même cette vénérable institution dont la visite est gratuite fait la quête). Néanmoins Ce blog est plat, toujours prêt à satisfaire son lectorat le plus exigeant, a réussi par les moyens de l’intelligence naturelle à récupérer l’image et à réduire certaines brillances excessives de la photo originale (notre illustration).
À propos du peintre, Geertgen était de la deuxième génération des héritiers de Jan Van Eyck aux Pays-Bas. À peine une quinzaine d’œuvres lui sont attribuées, du bout des lèvres. Les plus belles sont sans doute à Vienne le Christ mort et les Restes de Jean-Baptiste, et à Berlin ce dernier dans le désert. Amsterdam en a trois plus ou moins attribuées, et même le Louvre en expose une, médiocrement reproduite.
Comme chez Petrus Christus, il y a dans le style de Geertgen une raideur, une fraicheur un peu naïve, mais plus attachante que chez son ainé, par une sorte de proximité, de familiarité avec ses personnages, d’humanité dans ses portraits. Il serait mort avant 30 ans.
15 commentaires :
Merci pour ce cadeau, vraiment ! J'ai exploré l'image avec soin et découvert avec stupeur que la Vierge... pleurait ! Si c'est le cas, je crois qu'il s'agit d'un cas unique. Je me trompe ?
pi
meilleurs vœux mon très cher Costar
grand maître en beaux-arts
pas ringards
L'idée serait belle, mais il me semble que que ce sont plutôt des défauts du bois ou de la touche. N'oubliez pas qu'on est ici à la limite des capacités du pinceau et de la visibilité, même pour de très bons yeux. En réalité l'œil gauche mesure 5 millimètres, donc ce qui pourrait passer pour une larme sur le bord du nez n'est large que d'un dixième de millimètre et les points brillants du coin de l'œil de quelques centièmes seulement. Tout cela n'est sans doute pas même visible de près.
Mais le panneau a subi tant de dommages qu'on ne pourra jamais exclure votre impression, mais dans ce cas, comment le très jeune peintre aura-t-il justifié son interprétation auprès des commanditaires ou de la guilde ?
Pour montrer qu'on est au seuil de la visibilité, avez-vous remarqué par exemple quelque chose de particulier vers le bas de la joue gauche de l'Enfant ? La joue qui aurait dû faire une courbe est soudain brisée avant le menton, comme si un éclat de peinture disparu avait été repeint par erreur de la couleur du fond du berceau...
Ah cher Guillaume (je me permets cette familiarité), c'est avec plaisir que je vous retourne vos vœux, ou plutôt les miens, d'ailleurs !
Quoique je ferais peut-être mieux de vous retourner les vôtres, parce que concernant les miens, je tiens à vous prévenir que j'ai constaté, au fil des années, qu'ils n'ont jamais eu aucun effet bénéfique sur les personnes à qui je les ai adressés. Elles ont toutes persisté à vieillir à un rythme globalement normal, elles ont attrapé un éventail d'affections courantes (même la COVID), et elles ont toutes reçu régulièrement leurs avis d'imposition, jamais diminués.
Je vous aurais prévenu.
Mmmh, vous avez peut-être raison.
Quoique...
Pour la petitesse du motif, d'accord avec vous.
Pour la justification théologique, par contre... : ces yeux larmoyants pourraient être la préfiguration du chagrin à venir, tout comme le berceau en pierre de l'Enfant est sans doute celle de son futur tombeau.
Quant aux larmes, quant aux yeux rougis par le chagrin, les Primitifs flamands savaient très bien les faire (cf. "La Déploration" de Van Der Weyden, 50 ans plus tôt !)
Bien à vous,
pi
À M. Pi
Attendons donc une image encore plus lisible... Ce qui ne tardera peut-être pas, le cliché actuel ayant été, bien que détaillé, manifestement effectué à la diable, si j'ose dire.
Vous qui êtes un peu le Argos Panoptès * de la blogosphère, vous ne manquerez pas de repérer la sortie de ce cliché et, je l'espère, de m'en informer. Merci d'avance !
Pi
* J'ai vu que le niveau culturel des commentaires avait considérablement augmenté ces derniers temps... j'essaie de me mettre au diapason :-)
Αυτό θα γίνει χωρίς αποτυχία.
Cпасибо, это приятно :-)
Bon, puisque c’est comme ça, je me permets de commenter le tableau de Geertgen tot Sint Jans en citant un bien meilleur poète que moi dans une langue toute aussi barbare que le grec de Argos Panoptès :
« Denn das Schöne ist nichts als des Schrecklichen Anfang, den wir noch grade ertragen und wir bewundern es so, weil es gelassen verschmäht uns zu zerstören. Ein jeder Engel ist schrecklich. »
& toc & na !
C'est tellement beau qu'on dirait du Goethe. Ou du Derrida. Et traduit par quelqu’un de plus poète que Google, ça donne quoi ?
J'ai compté six anges dans le tableau. (le bœuf, le petit et la maman sont hors course, œuf corse).
"Car le beau n’est rien que le premier degré du terrible ; à peine le supportons-nous, et, si nous l’admirons ainsi, c’est qu’il néglige avec dédain de nous détruire. Tout ange est effrayant."
(Rainer Maria Rilke, 1875-1926, Première Êlégie de Duino)
Finalement Google n'était pas si loin. Au moins avait-il trouvé le sens : "Parce que le beau n'est que le début de la chose terrible, que nous subissons encore et que nous admirons tant parce qu'elle dédaigne tranquillement de nous détruire. Chaque ange est terrible".
Costar : je rends à César ce qui lui appartient : la traduction de Rilke est de J. F. Angelloz pour « Les Élégies de Duino - les Sonnets à Orphée » Editions Montaigne / Aubier, 1943, Collection bilingue DL 1974. (je vous remercie, car cela m’a permis de rechercher et de retrouver enfin ce bouquin papier mal classé dans mon bazar)
Faites comme moi, passez au tout numérique. En 3 secondes vous retrouvez le livre, en 10 secondes, la citation exacte, et en quelques mois, quelques années au mieux, vous perdez tout parce qu'il n'y a plus assez d'électricité.
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