mercredi 1 octobre 2025

Ce monde est disparu (21)

Le château d'Amboise, d'après William Turner, gravé par WR Smith en 1833 (Tate Gallery)

Le plus grand génie de tous les temps a peut-être été Léonard de Vinci. Beaucoup l'imaginent. Il faut bien admettre que sans lui l’humanité n’aurait jamais connu le sfumato, l’écriture spéculaire, la machine à tailler les limes et peut-être même la ville d’Amboise, puisque c’est dans cette riante localité des bords de Loire que le pronostic vital de l’illustre toscan devenait inutile, le 2 mai 1519. On l’ensevelit dans la collégiale du château.

Trois siècles plus tard, entre 1826 et 1833, le long des rives de la Loire, de Nantes à Orléans, le peintre William Turner esquissait au crayon et à l’aquarelle ses impressions de voyage, qui seront gravées en 1833 dans le recueil Wanderings by the Loire. Sa sensibilité émotive, romantique diront certains, avait exalté sa vision de ces rivages indolents, notamment dans sa vue du château d’Amboise (ill. plus haut), qui impressionnera fort John Ruskin. 
Car si Turner, canotant au pied du château d’Amboise, s’est un peu laissé aller à doubler l’altitude réelle de l’édifice, Ruskin, héritier de riches marchands d’alcool, écrivain, théoricien, chrétien, professeur, graphiste, aquarelliste parcimonieux, critique d’art, dilettante, mécène, puritain, passionné d’architecture, romantique et défenseur des préraphaélites, et de Turner à qui il acheta nombre d’aquarelles et dont il sera l’exécuteur testamentaire, bref Ruskin, grand voyageur également, suivant au début de la décennie 1840 certains itinéraires de Turner, représentera le même château en doublant, voire triplant l’altitude du monument déjà doublée par Turner et le diamètre de la Lune ; sur son aquarelle (ill. plus bas) on s’attend à voir surgir de l’horizon à tout moment une horde chevauchante de walkyries bavaroises surarmées, accompagnées de la tonitruante musique appropriée. 

20 ans plus tard, en 1863, Arsène Houssaye, écrivain, homme de presse, inspecteur général des beaux-arts, entreprendra des fouilles au château dans l’intention de retrouver les restes de Léonard généreusement éparpillés en 1808 par les grands travaux du sénateur Ducos. Évidemment il les découvrira. On discute encore la rigueur de sa démarche, et rien n’assure que les restes rassemblés aujourd'hui dans la chapelle Saint-Hubert, au faite de ce promontoire qui pour Ruskin tutoie les nuages, sont bien ceux de Léonard. Qu'importe, chaque époque a la vérité qu'elle se confectionne.

Eh bien cette jolie aquarelle d'un château d'Amboise irréel, d’un pâle indigo, haute de 44 centimètres, vient d’être moyennement appréciée dans une vente chez Christie’s en juillet à Londres. Elle a disparu du bout des lèvres, en dessous de l’estimation basse, mais tout de même contre 34 000$, après conversion. 



Le château d'Amboise, aquarelle de John Ruskin, vers 1841
(marché de l'art 2025)

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