Pour en finir avec l'expo de La Tour
C'est évident, Georges de La Tour est une des obsessions de Ce Blog. Si vous ne partagez pas cette manie, vous avez récréation aujourd'hui, car nous allons faire, un mois après l'ouverture de l'évènement La Tour au musée Jacquemart-André, un récapitulatif des prévisions confrontées à la réalité, histoire de se calmer les nerfs.
Les conditions de visite, l'étroite surface d’exposition, la ruée des visiteurs...
Nous avions estimé, comme habituellement dans ce musée et après quelques expériences affligeantes, la surface d’exposition à 200 mètres carrés, valeur confirmée précisément, et regrettée, par un commissaire de l'exposition dans l'émission "Georges de La Tour Superstar" de la radio publique France-Inter, le 22.09.2025. On relève d'ailleurs, dans cet échange de 23 minutes pourtant enthousiaste et complaisant, les aveux spontanés suivants :
- Je le confirme, les salles sont bondées, on ne peut pas circuler
- On ne peut pas s’installer devant un tableau
- On ne peut pas méditer parce qu’il y a beaucoup de monde
Le journal Libération précise que l'espace est divisé en 8 petites pièces (donc de 25m² chacune). Il avoue apprécier la promiscuité de la chose qu'il nomme intimité.
De son côté Le Journal des Arts.fr, dans un article exceptionnellement gratuit intitulé "Un Georges de La Tour ramassé à Jacquemart-André", se sent obligé d'avouer "Comme d’accoutumée, le parcours doit composer avec les espaces étroits du musée, qui nuisent inévitablement au confort de visite", et se rachète en précisant "Mais [...] la répartition des œuvres est bien pensée", et en ne reproduisant que des photos promotionnelles, bien choisies et sans vrai public, fournies par Culturespaces, l'industrie lourde des expériences culturelles.
Le fait de ne pas pouvoir circuler dans une exposition, ni s'arrêter devant un tableau, est donc le critère principal de sa qualité ; puisque le troupeau s'y précipite...
Les règles de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public obligent à une surface minimale par visiteur de 5 m² dans un musée (parfois moins, avec accord de la Commission de sécurité), ce qui autoriserait seulement 40 visiteurs simultanés dans cette exposition ; environ une personne par tableau, ce qui est très éloigné de la description par les témoins du drame qui se joue actuellement au musée Jacquemart. On imagine que la Commission de sécurité a été particulièrement laxiste, ou que la réglementation n'est pas respectée, hypothèse insoutenable quand on sait l'honnêteté et la rigueur des partenaires de l'exposition.Notez que tous les billets pour visites de luxe par groupes de 15 personnes en semaine de 9h à 10h étaient épuisés dès les premiers jours de l'exposition.
Les œuvres exposées, la fausse rétrospective, le piège du "Nouveau-né"...
L'expression abusive "rétrospective De La Tour", entendue dès le début de l'émission radiophonique citée plus haut, présente encore sur la page de l'exposition du site du musée, n'a pas disparu des médias, mais on insiste surtout sur le nombre de tableaux de La Tour réunis, comme Le Journal des arts.fr dans son article de réclame, "l’exposition réunit la moitié de la production connue de l’artiste", ou le catalogue de l'exposition en page 7 : "rassemblant plus de la moitié des œuvres connues de l'artiste, enrichie de pièces issues de son atelier…", ou dans la boutique du musée "l'exposition réunit plus de la moitié des œuvres connues de La Tour, dont des pièces rares provenant directement de son atelier", phrase incohérente d'un marchand de soupe qui ignore les sens du mot "atelier".
Le pompon de l'outrance revient à la page de l'exposition déjà citée "Plus de 30 chefs-d’œuvre réunis sur la quarantaine d’œuvres connues de l’artiste". Chaque mot de cette phrase est un mensonge. L'ensemble constitue une imposture, une fraude.
Le catalogue détaille les 43 œuvres exposées : 13 sont des gravures (n°6-10, Bellange, Callot) et des toiles d'autres peintres (n°28-35, De Coster, Honthorst, Le Nain, Bigot, Finson...)
Ainsi 30 œuvres attribuées à (jusqu'aux copies dans le style de) Georges de La Tour sont effectivement exposées.
Quel est leur degré de qualité et d'authenticité ?
Aujourd'hui, variable selon les auteurs, l'œuvre peint de La Tour comprend environ 75 numéros, décomposés très approximativement en :
21 toiles (dont 8 exposées) à l'authenticité indiscutée et jugées comme des chefs-d’œuvre de la maturité7 toiles (dont 7 exposées) à l'authenticité peu discutée mais œuvres des débuts, moins considérées12 toiles (dont 9 exposées) à l'authenticité douteuse (de la main du fils Étienne ou d'un soi-disant atelier)35 toiles (dont 6 exposées) à l'authenticité nulle (copies évidentes ou pastiches)
Notons que les 7 mauvaises copies appartenant à l'ensemble du Christ et des apôtres de la cathédrale d’Albi, pressenties, ne sont heureusement pas exposées, non plus que les deux variantes des "Tricheurs", du Louvre et du Kimbell Art Museum de Fort Worth.Le catalogue de l'exposition, aux reproductions correctes sans plus, aux textes sans surprise et aux informations parfois approximatives (prétendant par exemple que certains tableaux étaient absents de la rétrospective de 1997 alors qu'ils y étaient), est loin de justifier son prix.
Pour résumer, sur une trentaine d'œuvres authentiques indiscutées de La Tour, Jacquemart en expose une quinzaine, surtout les tableaux réalistes du début, nettement moins séduisants, et peu des chefs-d’œuvre de la maturité. L'autre moitié des œuvres qu'il expose est extraite de la bonne quarantaine d'œuvres douteuses voire indéfendables du catalogue de La Tour (pour mémoire, tout musée possesseur d'une œuvre à l'attribution douteuse trouvera grand intérêt à le montrer dans une exposition monographique. La simple citation de sa participation rehaussera automatiquement son pédigrée et son authenticité).
Félicitons malgré tout l'équipe markéting d'Engie-Culturespaces pour trois exploits : avoir convaincu le musée de Rennes d'abandonner pendant plus de 4 mois son tableau légendaire, le fabuleux "Nouveau-né", qui fait inévitablement toutes les affiches et les couvertures, avoir réuni à Paris une bonne part des La Tour disséminés dans les musées de province, et enfin avoir retrouvé l'insaisissable "Christ de Chancelade", copie d'un tableau de l'atelier de Honthorst, que l'auteur de Ce Blog traque sans succès depuis des années (et sans doute pour longtemps encore puisqu'il n'ira pas le voir au 158 boulevard Haussmann).
Allez, on ne dira plus un mot ici sur cette évènement en toc, cette exposition qui se maquille en rétrospective en raclant les fonds de tiroir, et qui s'exhibe dans ce luxueux hôtel particulier comme dans un couloir du métro parisien aux heures de pointe. C'est promis !
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire