samedi 14 juin 2008

La porte de Lugano

Il est malaisé d'expliquer ce qui fascine dans la vue d'une porte qui n'isole rien de particulier et qui ne donne sur rien d'autre, dans la vue de ces choses inutiles ou absurdes qui prennent une dimension métaphysique dès qu'elles deviennent un peu monumentales.
Ce portail fantôme, vain décor d'un débarcadère de théâtre, dans le jardin public de Lugano en Suisse italienne, fait penser à la porte incongrue de Font-d'Hurle qui déroutait Vialatte dans une magnifique chronique de 1955 *, ou à Christo quand il emballe soigneusement les édifices les plus volumineux.

C'est ce léger vertige qu'on ressent dans l'observation de la réalité lorsqu'elle prend une apparence irrationnelle.


* Les portes de la Solitude sont des portes monumentales... Il y en a une à Font-d'Hurle (c'est un haut plateau, dans le Vercors) ; elle est en bois, à claire-voie, longue, basse, encastrée dans rien. Il n'y a rien à droite, rien à gauche, pas un mur, pas un fil de fer, rien par-devant, rien par-derrière, si loin que s'étende la vue ; seulement cette inscription grandiose : «Prière aux visiteurs de refermer derrière eux.» On ne saurait mieux dire à l'homme que, d'où qu'il vienne et où qu'il aille, il ne peut jamais ouvrir ou fermer que sur soi. Et ce qu'il y a de plus paradoxal, c'est que, précisément parce que c ' est inutile (ou alors pourquoi ?... je ne sais pas), on se donne la peine de passer par la porte (Kafka en eût fait dix volumes), d'entrer dans un endroit où l'on se tient déjà !
Alexandre Vialatte, extrait de «Mgr Sahara par rené Dupuy», chronique de La Montagne, 22 décembre 1955.

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