mercredi 13 août 2008

Gutenberg et la bombe atomique

Le Projet Gutenberg est un projet humanitaire. Son objectif est de mettre gratuitement à disposition sur Internet toute la littérature libérée des droits d'auteurs. Son catalogue est donc constitué de milliers de textes sans valeur économique, et généralement sans valeur littéraire non plus.
22 323 textes en anglais, 1207 en français, 1 en breton et quelques uns dans les autres langues.
N'y cherchez pas des livres qui auraient moins d'un siècle, mais si vos goûts pervertis vous attirent vers la mauvaise littérature farcie de clichés des 18 et 19ème siècles, n'hésitez pas à vous fournir chez Gutenberg. Vous connaîtrez la délicieuse impression d'entrer dans un vieux grenier poussiéreux et de fureter dans des malles pleines d'expressions surannées et d'imparfaits du subjonctif fossilisés (lisez par exemple, en apéritif, le prologue de «La tombe de fer» d'Henri Conscience). On avait oublié que cette époque avait existé. On est d'abord amusé, puis un peu effrayé par ce tableau de la littérature transmis aux générations à venir (1). On y trouvera un opuscule sur les ordres de chevalerie serbes en 1902, une étude très scientifique d'Émile Hureau en 1920 sur la transmission de pensée, un livre sur les procès contre les animaux de 1858, suivi de Peines, tortures et supplices de 1868, un manuel complet des «fabricans» de chapeaux en tous genres, une lettre de Daguerre à Arago en 1844 sur la manière de préparer la couche sensible des plaques photographiques, une quantité d'ouvrages de Georges Sand ou d'Émile Zola, et l'irremplaçable Bulletin de Lille publié sous le contrôle de la Kommandantur de Lille, en 1916.

Soyons juste, on y dénichera aussi quelques rares merveilles (2).
Et puis c'est malgré tout une véritable action humanitaire que de rendre le patrimoine de l'humanité à l'humanité (enfin, à celle qui a accès à un ordinateur avec une connexion Internet). Et aujourd'hui, à l'heure où une grande majorité de cette même humanité exalte ses instincts préhistoriques grégaires en applaudissant le spectacle d'une dictature qui a soumis des millions d'êtres humains par la crainte, il n'est pas inutile de rendre hommage à un vrai projet philanthropique.

Présentons donc une très récente publication du projet Gutenberg, en anglais hélas, mais d'un anglais simple et technique THE ATOMIC BOMBINGS OF HIROSHIMA AND NAGASAKI by The Manhattan Engineer District, June 29, 1946.

Monument aux morts, Orléans, parc Pasteur.
Si un lecteur érudit connaissait le nom du sculpteur...

Il s'agit d'un rapport d'expertise de l'armée américaine, assez court (3), décrivant scrupuleusement les effets des deux bombes atomiques larguées les 6 et 9 août 1945 sur le peuple japonais. C'est un plaisir d'y trouver cette rigueur détachée de tout sentimentalisme qu'on attend de militaires bien éduqués ; les effets destructeurs sur chaque ville sont soigneusement décrits et comparés ; le livre foisonne de chiffres, de poids, de distances, de températures et de longueurs d'onde. Mais un esprit rêveur sera également enchanté par quelques images d'une poésie spontanée.

Dans son introduction, l'auteur qualifie la bombe de «plus grand accomplissement scientifique de l'histoire (4)» et décompte «plus de 10 kilomètres carrés de la ville furent instantanément détruits et totalement dévastés, 66000 humains tués, et 69000 blessés.» Le décor est planté. Nous ne conterons pas ici l'intrigue, d'autant que tout le monde en connaît déjà la fin. Nous ne parlerons pas non plus des détails morbides comptabilisés avec soin, fièvres, brûlures, épilations, lésions, vomissements, diarrhées et hémorragies diverses. Nous nous contenterons d'illustrer quelques thèmes par des citations appropriées, pour allécher le lecteur.

La prévoyance et le sens de l'organisation «La première cible devait être relativement intacte de précédents bombardements de manière à déterminer sans équivoque les effets d'une bombe atomique». Il est aussi expliqué, dans le même esprit, que le choix a porté sur des villes construites essentiellement dans des matériaux susceptibles de produire le plus de dommages possibles par la violence du souffle et de l'incendie. (5)
La satisfaction du travail bien fait «Les bombes ont été placées de telle façon qu'il n'y avait pas d'autre emplacement plus destructeur» ou encore «en dépit de son importance extrême, le bombardement sur Hiroshima a été presque une routine.» (6)
Un suspense inattendu «Mais le sort était contre nous, car la cible était totalement masquée par la fumée et le brouillard (7)». En effet pour la seconde bombe la cible n'était pas Nagasaki. Mais la cible originale (8) était par malchance invisible. Nagasaki était la cible de secours.
Un peu de poésie lyrique «Les armatures d'acier des bâtiments étaient courbées comme par la main d'un géant... Les collines alentour étaient brûlées, ce qui leur donnait une apparence automnale (9
Une anecdote saugrenue, mais scientifique «Une caractéristique intéressante de la radiation de chaleur était le degré de brûlure des tissus en fonction de leur couleur ... une chemise rayée de bandes alternées claires et sombres avait les rayures sombres carbonisées alors que les claires restaient intactes. (10

Comme on le voit, si le projet Gutenberg ne publie pas tellement de bonne littérature, ça ne l'empêche pas de remplir avec une certaine fantaisie sa mission humanitaire.

***

(1) 70 000 livres sont téléchargés chaque jour.
(2) Le théâtre d'Aristophane, Les Caractères de La Bruyère, Don Quichotte de Cervantès, beaucoup de Shakespeare, Le neveu de Rameau de Diderot, De l'origine des espèces de Darwin, Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, Les possédés de Dostoïevski, Le comte de Monte-Cristo de Dumas, les contes d'Edgar Poe, les chants de maldoror de Lautréamont, quelques livres de poésies de Verlaine, les deux premiers tiers de la recherche du temps perdu de Proust, Ubu roi de Jarry, Locus solus de Roussel, et quelques autres. Notons que les livres qui n'existent qu'en format texte (.TXT) demanderont un travail de mise en page pour devenir agréables à lire.

(3) 24 000 mots, dont 6 000 constitués par le témoignage dramatique d'un père catholique allemand qui a vécu l'événement.
(4) «greatest scientific achievement in history»
(5) «The first target should be relatively untouched by previous bombing, in order that the effect of a single atomic bomb could be determined», «the targets should contain a large percentage of closely-built frame buildings and other construction that would be most susceptible to damage by blast and fire»
(6) «The bombs were placed in such positions that they could not have done more damage from any alternative bursting point in either city», «Despite its extreme importance, the first bombing mission on Hiroshima had been almost routine»
(7) «But fate was against us, for the target was completely obscured by smoke and haze.»
(8) La première cible n'est pas citée dans le rapport. On apprendra dans un passionnant article modéré de Wikipedia que cette ville sauvée par les intempéries, était Kokura.
(9) «The steel frames ... were pushed away, as by a giant hand», « from the point of detonation ... The hillsides ... were scorched, giving them an autumnal appearance»
(10) «One more interesting feature connected with heat radiation was the charring of fabric to different degrees depending upon the color of the fabric ... a shirt of alternate light and dark gray stripes ... had the dark stripes completely burned out but the light stripes were undamaged»

1 commentaire :

Anonyme a dit…

Bonjour, je fais partie d'une maison d'édition et je voulais savoir si vos tableaux étaient aussi libre de droit pour une couverture d'ouvrage ? Ce serait pour un roman historique.
Pourriez-vous me le confirmer par mail ?
info@npl-editeur.fr

Merci d'avance

Jennifer