dimanche 28 juillet 2013

Poisson de juillet, poison d'avril

C'est à condition de paraitre anonyme que ce pauvre animal méconnaissable, abimé par les conditions de vie en mer, a accepté de témoigner masqué et constituer l'essentiel de ce reportage.


Dans notre série « Aimons les animaux, serait-ce en sauce » nous rendrons aujourd'hui hommage au saumon, animal apprécié des gourmets, et des poux de mer.

On dit qu'à la création du monde les saumons batifolaient dans les sources fraiches des torrents où ils naissaient, qu'adultes ils abandonnaient l'eau douce natale pour aller découvrir les Amériques et rapporter des océans lointains de palpitants récits de voyage, et que le jour de leur retour, comme plus personne ne les attendait, la surprise déclenchait liesse, agapes et festoiements. Il en naissait alors toute une génération nouvelle.
Mais on sait aujourd'hui, grâce au progrès de la science, que tout cela n'est qu'un mythe.

En réalité les saumons naissent et vivent dans de grands parcs marins, enfermés dans des cages bondées, gavés de produits chimiques qui les font ressembler à de vieux sachets de plastique informes, minés par des maladies qu'ils transmettent par inadvertance aux quelques congénères libres qui survivent dans les eaux voisines.

Mais ce monde idyllique est menacé par le pou de mer, une sale bestiole minuscule qui s'accroche au saumon et le ronge en lui faisant des trous partout. Le saumon alors se dégonfle, flotte par conséquent moins bien et se retourne sur le dos.
Depuis vingt ans on se débarrassait du problème en nourrissant le saumon d'antibiotiques. Or il advint qu'un jour le pou s'y habitua, menaçant de culbuter l'économie des pays producteurs dans le chaos. Mais qui connait les limites du génie humain quand on touche à ses bénéfices ?
Ainsi la Norvège, depuis quelques années, fait ingurgiter au brave saumon un poison pesticide, prévu normalement pour l'application externe et interdit en Europe dans les milieux marins. Certains en meurent, dont le pou. D'autres s'en accommodent. Pour le consommateur final, on ne sait pas encore.

La Norvège sait que ses saumons sont bourrés de pesticide et puis d'arsenic, de dioxines, de cadmium, de plomb, mais elle préfère par discrétion le taire, fausser les expertises et leurrer les journalistes paresseux et complaisants. On dit que là-bas les ministères de la pêche, de la santé, et leurs organismes de contrôles sont dirigés par des gros actionnaires de l'industrie du saumon.
Les instances européennes déconseillent depuis longtemps (et interdisent parfois) l'exportation des espèces pêchées ou élevées dans la mer Baltique, qui est devenue un dépotoir stagnant de produits toxiques. Certains pays dont la Russie (qui s'y connait en pollution des mers) ou la Chine ont interdit l'importation des saumons norvégiens (certainement plus pour des raisons concurrentielles que sanitaires). Malgré cela la France en est devenue depuis quelques années la plus fervente importatrice (70% de sa consommation totale).
Et les scandales s'accumulent et deviennent difficiles à dissimuler (voir la récente affaire du saumon suédois aux dioxines ou la criminelle corruption de la ministre norvégienne).

Alors le gouvernement français faisant preuve d'un courage exemplaire a publié le 11 juillet 2013 dans la plus grande discrétion un ensemble de recommandations de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) sur la consommation de poisson.
Il y est fortement conseillé, pour empêcher la surexposition aux contaminants chimiques, de se limiter désormais à deux portions par semaine, d'alterner poisson gras et poisson maigre, d'alterner également poisson d'élevage et poisson sauvage et par dessus cela de panacher les différents lieux d'origine du poisson, en excluant absolument de manger bar, dorade, thon, espadon, et quelques autres si vous êtes femme enceinte ou enfant de moins de trois ans.

Ainsi la consommation de poisson nécessitera dorénavant des gouts forcément éclectiques, de longues recherches sur l'origine de chaque bouchée et un bon algorithme de calcul à qui souhaiterait ralentir l'inéluctable abrègement de son espérance de vie en bonne santé.

Attention cependant, le lecteur impulsif qui a déjà cessé viandes et charcuterie depuis quelques scandales célèbres, et qui déciderait aujourd'hui d'arrêter poisson et fruits de mer et de tourner son appétit vers les millions de variétés d'insectes, croustillants et riches en protéines, ce lecteur devra les choisir avec prudence. Car les abeilles, par exemple, sont également gorgées de pesticides et menacées de disparition.

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