Tout s'emballe
Dès son plus jeune âge Christo Javacheff souffrait d'une obsession, une idée fixe qui le poussait à empaqueter tous les objets alentour. Certains croient que le choc émotionnel originel aurait été la présence des cadavres de partisans communistes gisant dans les rues, recouverts d'un drap, en Bulgarie en 1943, ou l'épuration sanglante de l'automne suivant quand les mêmes partisans (les survivants) prirent le pouvoir aidés par l'armée soviétique. Christo avait 9 ans.
Pour un enfant élevé dans un milieu artistique, cette réalité était certainement inacceptable. Il fallait la dissimuler sous des draps épais et la ficeler pour l'empêcher de ressortir.
Christo emballa d'abord des boites de conserve, des magasines, des mobylettes. Comme il était incapable ensuite de les déballer (à cause du traumatisme originel, évidemment) les paquets s'amoncelaient dans son petit appartement. Pour libérer de la place il les exposa donc dans des galeries d'art complaisantes où ils trouvèrent une profonde résonance dans les fantasmes des collectionneurs et du public.
Puis les choses s'emballèrent, démesure et mégalomanie. Christo demanda qu'on l'appelle désormais « Christo and Jeanne-Claude » et se mit à empaqueter des monuments de plus en plus monumentaux, deux kilomètres de côte australienne en 1969, le Pont-neuf de Paris en 1985, jusqu'au parlement allemand en 1995 (Wrapped Reichstag).
Ce fut un triomphe : 5 millions de visiteurs à Berlin en deux semaines ! Aucune exposition n'a jamais atteint le quart de cette fréquentation.
Cependant, même totalement financées par l'auteur, ces œuvres pharaoniques installées sur des édifices publics ne sont que temporaires, et il n'en restera jamais que du papier, des études chiffrées, des dessins préparatoires et des reportages photographiques.
Alors pour affronter l'éternité « Christo and Jeanne-Claude » conçut le Mastaba, un gigantesque hexaèdre creux en forme de prisme droit dont deux faces sont des trapèzes isocèles, et qui serait posé en plein désert, au sud d'Abu Dhabi. Il y resterait indéfiniment. Les faces seraient constituées de 400 000 bidons de pétrole diversement colorés, et le tout dépasserait de quelques centimètres la hauteur de la plus grande pyramide de Gizeh.
Voilà trente ans que l'artiste essaie de convaincre les émirs arabes unis d'accepter la construction de ce Taj Mahal du désert, devenu un mausolée en mémoire de la femme qui partagea toute sa vie et son œuvre, qui organisait la réalisation de tout ce qu'il concevait, Jeanne-Claude, morte depuis 2009, et sans qui il serait peut-être encore un emballeur de mobylettes.
Ceci dit, après ce long préambule sur l'art de l'emballage, quel est l'objet caché sous la toile de l'illustration ?
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Toutes les images en lien proviennent du magnifique site de Christo, « Christo and Jeanne-Claude ».
7 commentaires :
Il me semble que l'emballage revient souvent dans vos toiles ?
Ah oui ?! Croyez-vous que ça conduit inévitablement à la mégalomanie, la création d'un blog, des avis sur tout et sur rien qui n'intéressent personne mais qu'on veut néanmoins rendre publics ?
L'illustration de votre article sur Christo n'est pas sans rappeler "le Sexe de l'ange" et "le Touriste des antipodes", je me posais simplement la question : coïncidence ou clin d'œil ?
Et également "le fantôme de l'apéro" et "le vivarium de Spinoza"...
Cela ne peut plus être une coïncidence. Allez je l'avoue, c'est une de mes obsessions qui remonte avant de connaitre l'œuvre de Christo. Mais j'ai comme excuse que les peintres ont de tous temps été fascinés par les drapés.
c'est par là ?
48°24'6.81"N
2°42'21.68"E
Pas mal du tout. Mais ces coordonnées tombent entre deux statues (sur Google Maps Web). Alors laquelle est la bonne ?
La fille qui sort de sa baignoire...
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