vendredi 12 avril 2019

Le « Léonard » a disparu

Le « génie universel » de Léonard de Vinci est une création de la littérature et des médias. À l’exception de dessins et de quatre ou cinq tableaux prodigieux, Léonard n’a laissé que des œuvres inachevées (pathologie constatée par ses contemporains même), raté la plupart de ses expérimentations, hormis les spectacle avec machineries, musique et costumes, et couvert plus de 7000 feuilles de gribouillages spéculaires à la limite de l’autisme, remplis d’utopies mécaniques qui ne fonctionnent pas, de listes de choses à ne pas oublier, de dessins de cadavres qu’il dépeçait consciencieusement, et d’observations visionnaires qui seront lues trop tard.
Sa plus grande réussite est certainement sa renommée posthume. Car comment expliquer l’hystérie médiatique autour de la Joconde, ou le prix exorbitant et insensé atteint par ce tableau médiocre, le Salvator Mundi, restauré « à la Léonard », et qui lui est attribué par un nombre déclinant de spécialistes ?

On se souviendra peut-être du premier acte de cette comédie burlesque, où l’on voyait ce tableau raté, représentant un christ junkie bénissant distraitement et tenant un orbe, acheté 450 millions de dollars par le prince MBS, satrape de l’Arabie saoudite, et promis à devenir la « Joconde » du musée de prestige des Émirats arabes unis, le Louvre Abu Dhabi, qui venait alors d’ouvrir.

Hélas, depuis les enchères miraculeuses du 15 novembre 2017, les aventures du tableau le plus cher du monde piétinent. Personne ne sait où il se trouve. Toujours pas sur les cimaises du musée d’Abu Dhabi. Et plus se manifestent les doutes sur sa paternité, plus les communications des autorités compétentes se font chaotiques.

Sur son site ArtWatch, Michael Daley signale un article du 16.02.2019 du Telegraph qui annonçait que le Louvre, doutant de son authenticité, n’inclurait pas le tableau dans sa grande exposition d’automne pour le 500ème anniversaire de la mort de Léonard. Le Telegraph tenait cette affirmation d’un spécialiste du peintre et familier des autorités du musée.
Dès le lendemain, l’attaché de presse du musée, pour discréditer le témoignage du spécialiste, mentait en minimisant ses relations avec le Louvre, et déclarait que le musée voulait le Salvator Mundi pour sa superproduction d’octobre et l’avait demandé à son propriétaire, sans autres précisions.

Daley déduit, de ces atermoiements et faux démentis, que le Louvre aimerait exposer le tableau (sa renommée à 450M$ réjouirait le compteur de visites), mais pas sous le nom de Léonard (peut-être comme « atelier de » ou « école de »), et que le propriétaire aimerait prêter le tableau, mais uniquement s’il était attribué sans réserve à Léonard (histoire de lui donner, avec la bénédiction du plus grand musée du monde, la respectabilité nécessaire à la rentabilisation d’un investissement foireux).

Après ce deuxième acte confus et cornélien, le spectateur espère sans doute un acte final détendu, où tout le monde s’embrasse devant le tableau réapparu et lance au public un clin d’œil complice.
On sait déjà qu’il se déroulera au plus tard le 24 octobre 2019, jour de l’ouverture du super show Léonard de Vinci au Louvre, et on peut, sans trop de risque, supposer que la fin sera effectivement heureuse, que les bonnes relations diplomatiques et commerciales y auront infusé leur bonne humeur.

Et on frissonnera dans l’attente du catalogue de l’exposition qui devrait être un summum d’érudition. Il attribuera le tableau à la main de Léonard, comme l’avait déjà fait la National Gallery de Londres en 2011. Une note de bas de page, en caractères minuscules, dans une annexe très technique, émettra peut-être discrètement un léger doute, en priant pour ne pas être remarquée.
Peut-être même y trouvera-t-on, attribué également à Léonard, la belle princesse, ce dessin refusé en 2011 par la National Gallery, alors qu’il semblait présenter, il est vrai à grand renfort de documentaires et d’articles de presse sensationnalistes, des arguments d’authenticité plus probants que le Salvator Mundi.

Mais pour l’instant, à 6 mois seulement de l’exposition monumentale, un silence de tombeau pèse étrangement sur le site du Louvre, certainement par respect pour le grand génie. N’oublions pas qu'on célèbrera alors l’anniversaire de sa mort.



Léonard de Vinci, Codex atlantico, projets mécaniques, planches utilisées par Électricité de France pour construire la centrale nucléaire de nouvelle génération de Flamanville. Par chance, comme tous les projets de Léonard, celui d'EdF traine depuis 14 ans et n’est pas près de voir le jour (Milan, bibliothèque Ambrosienne).

3 commentaires :

Martin-Lothar a dit…

Cher Ostarc, pour ma part (mais ce n’est que de mon humble part, hein) je pense que notre bon Léonard était d’abord un scientifique, un physicien, un infatigable observateur, un sacré curieux, un parfait géomètre, avant d’être un « peintre du dimanche » (notez mes guillemets, SVP).
Pour s’en rendre compte un peu, relisons ses carnets (notamment édités en deux volumes et en français, de chez François Premier (& Mitterand, du reste) en 1987 dans la collection TEL de chez Gallimard) : nous nous apercevrons ainsi pourquoi il fut aussi un grand ingénieur en armement de tout poil, de toute chasse aéronavale et de tout missile — tout en étant ambidextre et barbu (si, si !), comme je l’ai appris récemment sur les modernes inter-tubes de notre joyeux Web.
Une question quand même, à vous qui semblez être un expert en faux ou en vrai : qu’en est-il de l’Annonciation, attribuée à Léo (vers 1472 ?), sans doute « un des plus « intéressants » voire « beaux » (notez mes guillemets, SVP) tableaux du monde (que j’ai eu la chance d’approcher et de scruter aux Offices florentines ; et du coup, cette bêtasse de Mona Lisa peut bien aller se rhabiller, ou se dénuder, comme l’on voudra), sachant que dans « l’école ou dans la confrérie des plagiats » de Vinci, il y eut aussi du très beau monde, connu ou pas, il me semble ?
Bien à vous.

Costar a dit…

Cher érudit,

Pour ma part également, Léonard était un des premiers vrais scientifiques, un siècle avant Galilée qui est souvent crédité de cet honneur un peu vain.
Il était sans doute prodigieux. Mais comme certains autistes (terme générique, il y aurait surement plus précis), son satané caractère l'a poussé à ne jamais rien terminer, ne rien confronter à la réalité (aucune de ses armes par bonheur n'a jamais été construite, de son temps), et surtout cacher ses découvertes et ne pas les partager (ce qui est un peu le principe de la science).
Résultat, personne n'a jamais su ses découvertes, et ont les a lues longtemps après, alors qu'elles n'étaient plus des découvertes.
Alors c'est un très bel exercice de style, émouvant même puisqu'un peu inutile, mais est-ce que cela mérite de le bombarder génie universel dont la moindre crotte de nez est mise aux enchères ?

Il me semble qu'on devrait laisser tout ça en paix et nous permettre de calmement admirer de près la délicatesse des arabesque de quelques dessins et panneaux, ce qui n'est plus possible depuis longtemps, tant il y a devant de gardiens armés, d'épaisseur de verre blindé et de touristes se selfiant.

Quant à l'annonciation de Florence, je n'ai vraiment rien d'un expert (seulement un peu fouineur), et me souviens qu'en le découvrant à Florence (une quinzaine d'années en arrière et dans de médiocres conditions d'éclairement), j'y ai trouvé ce qu'on peut appeler les prémices des grandes qualités de Léonard (ou les défauts selon les propres gouts de l’observateur) ; une grâce un peu maniérée des gestes, une froideur désincarnée des expressions, un souci précisionniste des cheveux et des fioritures, quelque chose d'atmosphérique dans les fonds... Si bien qu'en lisant le cartel, je n'ai pas été surpris de l'attribution à Leonardo. Mais bien incapable d'aller plus loin, et qu'il y ait dedans des morceaux de Verrocchio ou d'autres élèves, ou des faiblesses d'un Léonard moins expérimenté, peu importe.

Enfin, point le plus important, pourquoi attirez-vous mon attention sur vos guillemets, dans le but probablement de vous faire fustiger ? En bien il en reste un en suspension, qui n'a pas été fermé, et c'est une faute impardonnable, mon blog d'autiste est perdu ! M'en remettrai-je ? Heureusement, ses commentaires sont encore moins lus que les chroniques, ce qui n'est pas peu dire.

Martin-Lothar a dit…

Cher autre érudit, merci beaucoup pour votre réponse sur l’Annonciation. Ce qui m’a le plus frappé dans ce tableau (que j’avais vu dans de très bonne condition d’exposition), c’était l’extraordinaire lumière qui s’en dégageait. Une lumière fondamentale (qui vient du fond). Voilà. A tel point que la Sainte Famille de Monsieur Michel Ange, placée dans la même pièce de ce musée, m’avait semblé un peu triste. Et je ne vous parle pas des tags fluo d’un certain Sandro B. (que j’adore).
Ce fut donc une vision qui profondément marqué à jamais (et ce, indépendamment du thème de ce tableau, étant très païen sur les bords et même si la fin de Notre-Dame de Paris m’a fait pleurer et va me faire bientôt hurler à la mort)
Mais bon, c’était à un certain moment, dans un certain lieu, avec un observateur souvent un peu distrait, toujours nerveux, insatiable et sûrement trop jeune…

Toujours est-il que le dernier paragraphe de votre réponse m’inquiète beaucoup.
Oubliez mes guillemets ou remplacez-les par des points d’interrogation.
Sauf pour « peintre du dimanche » dont vous pouvez remplacer les guillemets par des points d’exclamation.
Pour moi quelques ! peintres du dimanche ! : Vinci, Vermeer, Bosch, Le Lorrain, Monet, Caillebotte. (etc.)
Un musicien du dimanche (matin pour l’office) : Jean-Sébastien Bach (220 cantates, messes, passions et autres pièces musicales plus ridicules et nulles, tu meurs)
Des poètes du dimanche : Villon, Rimbaud, Verlaine, Baudelaire, Valéry, Saint-John Perce (etc.)

Enfin, sachez que je lirai vos vivifiantes ! Vies des Cimetières ! (remarquez mes points d’exclamation) jusqu’à la mort.
Bien à vous.