samedi 5 octobre 2019

Un bilan des Degas

Quand on manque de génie, un moyen de devenir universellement connu est de publier le catalogue raisonné d’un artiste universellement connu. Cela exige tout de même rigueur et persévérance, mais si vos travaux deviennent une référence, votre nom sera cité dès qu’une œuvre du génie le sera.
On écrira sobrement D818 ou K415, mais à l’oral, votre nom résonnera à l’appel de chaque œuvre, et on dira « divertissement Deutsch 818 » de Schubert, ou « concerto Köchel 415 » de Mozart.

Cela se pratique moins chez les artistes plasticiens. Leurs catalogues sont souvent nombreux et les œuvres sont alors alignées dans de longues tables de concordance entre les différents inventaires.
Le recensement en ligne par Frank Seinstra des tableaux de Rembrandt récapitule 14 catalogues. Mis en ligne en 2007, il est toujours accessible à la même adresse depuis 12 ans, ce qui est miraculeux sur internet.

Michel Schulman s’est attaqué à l’œuvre d’Edgar Degas, dont il n’existait que 3 ou 4 catalogues sérieux, sur papier. Travail considérable qu’il vient de mettre en ligne en accès libre, et qu’il appelle « Le catalogue critique ». C’est impressionnant.
Les avantages de la chose sont nombreux, gratuité, efficacité comme outil de recherche, facilité de mise à jour et moyen commode de faire participer spécialistes et collectionneurs à sa révision.


Edgar Degas, Chapeaux chez la modiste, pastel sur papier H. 67 L. 52 cm. musée d'Orsay, Paris, non exposé.

Et Michel Schulman a bien mérité d’accoler ses initiales devant la numérotation des peintures et pastels de Degas, qu’on mentionnera donc « MS-numéro », au moins dans son propre catalogue, et dans le reste de l’univers si son souhait de devenir une référence se réalise.

Mais il n’explique pas les critères de sa numérotation. Ni chronologique, ni thématique, ni alphabétique, elle est… personnelle. Ainsi, le magnifique Chapeaux chez la modiste du musée d’Orsay (illustration) auquel Lemoisne - La référence, jusqu’à présent - donnait en 1946 le numéro 683, et qui se retrouvait en 1970 dans le catalogue de Minervino (classé par thèmes) sous le numéro 585, porte ici le MS-560. Mais un numéro est-il utile ?

Quant au support du catalogue, les œuvres de Degas, c’est un plaisir de les survoler avec cette aisance, par thèmes, par noms, par dates, et de constater - ce qui a été écrit à maintes reprises - que très peu sont achevées.
Il ne faut pas confondre l’inachevé avec le sous-entendu, l’allusif, l’épure, qui est le comble de l’achevé, ce qu'il reste quand tout l’inutile a été enlevé.
Il y a l’inachevé de l’artiste négligent qui laisse volontairement des lacunes par fainéantise, manque d’intérêt ou arrogance, et l’inachevé qu’il n’aurait pas imaginé exposer mais que la curiosité ou la cupidité des générations suivantes fait ressortir des fonds de tiroir et des poubelles, les essais, les chutes.
Dans le catalogue de Degas, on trouve certainement des deux.

Cela dit, de nos jours, l’incomplet, l’esquisse, le brouillon sont très prisés. Peut-être parce qu’ils laissent la plus grande liberté d’interprétation au spectateur, qui peut y voir, comme dans la forme d’un nuage, la matérialisation de ses propres fantaisies.
 

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