vendredi 4 décembre 2020

Escale à Francfort

De retour de 3 semaines virtuelles à Copenhague, faisons une halte en Allemagne à Frankfurt (Francfort-sur-le-Main). C’est une très grande ville riche, moderne, et son musée de peinture, le Städel museum, héberge une vaste collection qu’il présente sur internet, libre de droits et en très haute définition (quelquefois excessive : 17 000 x 18 000 pixels et 471 Mo pour le Géographe de Vermeer).
Le musée précise qu’en tant qu’institution publique, et comme il ne peut présenter aux visiteurs qu’à peine un centième de la collection, il se doit d’en partager la totalité dans de bonnes conditions sur internet. On ne saurait trouver meilleur argument contre la misère actuelle en ligne des grands musées publics français et italiens.

La consultation du site est agréable, fluide, richement documentée (en anglais et allemand). On déambule parmi 29 875 peintures, dessins, gravures, photographies, ou parmi une sélection de 1539, ou par artiste, ou avec des filtres de recherche.
 
Pour le voyageur qui ne fera qu’une rapide escale virtuelle à Francfort, voici quelques tableaux remarquables et pittoresques, avec leur lien direct sur le site du musée, présentés dans l’ordre à peu près chronologique de création, de 1435 à 1901.

9 détails d'œuvres du Städel museum décrites dans le florilège ci-dessous.

1. Comment peindre 12 manières de torturer des martyrs chrétiens en 1435 ? Stefan Lochner le sait. Il dépose un fond à la feuille d'or, ajoute des détails savoureux avec de jolies couleurs douces, et en fait une merveille (illustration 1).

2. Un bijou de Jan Van Eyck vers 1437. Comme tous les magiciens, cet homme-là doit avoir un « truc » (illustration 2).
 
3. Un Ecce homo de Jérôme Bosch, vers 1495. Le public s’exclame « crucifie-le », et une chouette, caméo que Bosch place soigneusement dans la plupart de ses tableaux, ajoutée dans un repentir final, observe la scène.

4. Elle lisait un roman de gare avant de se coucher. L’ange débarque, manifestement il hésite, il ne se souvient pas de ce qu’il doit lui annoncer. Elle reste interdite, inexpressive, ne sachant ce qui l’attend. Au dessus d’elle une colombe lampadaire attend également que l’ange se rappelle le message. Bref, tout le monde attend. Gerard David (peut-être) aurait peint ça vers 1509, dans une délicate gamme de gris et bleus.
 
5. De Joos van Cleve, un somptueux triptyque de lamentation sur le Christ mort, en 1524, dans un superbe décor très influencé par les paysages de Patinir, son contemporain à Anvers, comme dans cet autre beau tryptique de la crucifixion au Metropolitan de New York (illustration 3)

6. Une nativité insolite vers 1530 d’Hans Baldung Grien, où un ange un peu dégouté présente à la Vierge un enfant Jésus au teint de mort-vivant.
 
7. Une mise en scène très cinématographique et déjà surréaliste du Pseudo-Félix Chrétien (alias Bartholomeus Pons), en 1537.
 
8. Lucas Cranach, vers 1540, représente un Jésus très progressiste pour l'époque, qui va devoir garder une dizaine de bambins pendant que ces dames vont au cinéma (ou plus probablement avec des messieurs, les barbus qui se planquent, à gauche).
 
9. Un très joli portrait de Beatrix Pacheco par François Clouet ou assimilé, vers 1550.
 
10. Une scène de marché en 1559, avec parabole biblique, de Pieter Aertsen, hollandais de l’époque du père Brueghel, remarquable par sa superbe galerie d’étranges portraits songeurs, entre l’indifférence et l’ennui, et que le commentaire qualifie d’impudeur érotique !

11. Un paysage sylvestre féérique de Coninxloo, vers 1600. On distingue quelques chasseurs armés de fusils, et on verrait bien un accident de chasse, un peu de rouge dans cette obsession verte et bleue. (illustration 4).
 
12. Un dessin grandiose d’Abraham Bloemaert, l’Âge d’or, en 1603, où l’on remarquera que les « distanciations sociales » ne sont pas vraiment respectées et que Bloemaert était un dessinateur incomparable.
 
13. Un magnifique portrait de bergère en berger, d’un inconnu allemand, sans doute un maitre (monogramme A.V.D. 1665), accompagné d'un beau pendant.
 
14. En passant près du Géographe de 1669, avec son compas à la main, vous reconnaitrez nécessairement le peintre. Il a signé deux fois, sur l’armoire, discrètement, et sur le mur, avec ostentation. En réalité les deux signatures n’existaient pas lors d’une vente très documentée du tableau en 1872, alors que Vermeer est mort en 1675. (illustration 5).
 
15. Pieter Janssens, surnommé Elinga, peint vers 1670 cet autoportrait empreint de modestie. De fausse modestie. Il se représente au fond, de dos, en train de peindre (le commentaire dit qu’il était gaucher et tenait donc sa palette de la main droite), dans une belle maison dont il peint toujours la même pièce pour ses effets de soleil. Le sol est couvert d’un carrelage compliqué de marbre blanc et noir, et les murs de tableaux d’autres peintres. Les riches habits, la lumière, les dorures, tout respire la félicité. Au centre, au premier plan, légèrement dans l’ombre et vêtue de noir, la balayeuse rappelle discrètement que tout cela est en train de devenir poussière. (illustration 6).
 
16. Les toiles de Lingelbach, comme celles de Berchem à la même époque, vers 1670, fourmillent de personnages colorés et de détails observés sur le vif, dans des mises en scènes dignes des meilleurs moments des films de Spielberg (surtout coupez le son) ou Max Ophüls.
 
17. Peintre dans l’atelier d’un sculpteur à Rome vers 1760, peint par le jeune Hubert Robert. Peut-être un autoportrait. (illustration 7).
 
18. Johan Christian Dahl, un copain de Caspar Friedrich, était à Naples en 1820 et 21 quand le Vésuve faisait une de ses éruptions de routine, comme tous les 15 ans en moyenne, entre 1774 et 1944. Mais depuis 1944, rien, 76 ans de silence. La prochaine éruption risque d’être très violente. Pour mémoire plus de 5 millions d’être humains vivent dans le voisinage immédiat du volcan.
 
19. Une tempête avec son naufrage imminent, par Andreas Achenbach en 1837, en pleine crise d’acné romantique.
 
20. On a beaucoup dénigré la peinture réaliste, la jugeant bien inutile quand la photographie faisait la même chose, en plus économique. Mais en 1848, quand Hasenpflug peignait, la photographie couleur n’existait pas. Il était de ces peintres qui se gèlent les pieds et se ruinent la santé dans les courants d’air des ruines romantiques en attendant que les Maxwell, Ducos de Hauron et autres Lumière inventent bien au chaud dans leur laboratoire la photographie en couleurs.
En outre depuis qu’elle existe, la photographie moderne ne sait toujours pas, sans manipulations, apporter à la fois dans les ombres et dans les lumières les nuances et les détails que l’œil perçoit (au contraire des films Kodachrome, abandonnés en 2010), et elle ne sait pas non plus, sans outil de retouche, réorganiser la réalité, déplacer ou supprimer les éléments gênants. (illustration 8)

21. Un ciel d’orage de Chintreuil, en 1868, avant l’impressionnisme. Peut-être pas un chef d’œuvre, mais Chintreuil est trop rare pour ne pas être montré dès que possible.
 
22. De 1879, un des portraits incomparables de Renoir, ici triple, qui se passe de commentaire. (illustration 9).
 
23. Hans Thoma, peintre bizarre peu connu aux styles très disparates, des paysages les plus originaux au choses symboliques les plus pesantes. Le commentaire affirme que le livre ouvert est la Bible, dans cette plaisante vue d’une fenêtre de 1883.
 
24. D’une exposition marquante au Petit palais en 1987, suivie d’une rétrospective à Orsay en 1997, à quelques ventes médiatisées, jusqu’à une exposition en 2019 au musée Jacquemart-André, tout le monde (au moins à Paris) connait maintenant l’appartement au décor dépouillé du 30 Strandgade à Copenhague, que Vilhelm Hammershoi (Hammershøi) habita de 1898 à 1909, avant de s’installer en face au 25, qu’il peignit également rectiligne et gris. Sachant que le peintre avait les moyens de se procurer beaucoup de couleurs variées en tube, on imagine que cette grisaille mélancolique se situait plutôt dans sa tête, ici en 1901.
 
 

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