samedi 13 mars 2021

Investir sous le coronavirus, épisode 4

Carl Moll, Intérieur blanc, 1905, vendu par Freeman's en février 2021.
 
Depuis des siècles nous croisons dans la plus complète indifférence, en bronze sur les places publiques, portraiturés dans les musées, ou inscrits sur les plaques de rue, les hommages officiels que la nation rend à ses personnages historiques. Et nous savons maintenant qu’elle a dépensé des fortunes, en marbre, en bronze, et en honoraires d’artistes inspirés, pour entretenir la mémoire de citoyens parfois peu respectables, voire sanguinaires. Nous le savons parce que les encyclopédies en ligne nous renseignent si facilement. Ainsi l’internet a rendu l’époque soupçonneuse à l’égard du pouvoir et des institutions. C’est bien. Mais il l’a rendue émotive et sentimentale envers les symboles et les manifestations artistiques de ce pouvoir.
On s’informe, on s’indigne, puis on débaptise, on déboulonne, on renverse, on escamote un passé qui nous laissait hier indifférents.

Le marché des œuvres d’art, n’est pas touché par cette sensiblerie.
Le 23 février, à Philadelphie en Pennsylvanie, la maison d’enchères Freeman’s obtenait un double record par la vente d’un beau tableau d’un mètre carré de Carl Moll, « Intérieur blanc 1905 » (illustration).

Carl Moll était un peintre viennois maniaque du format carré (même du mètre carré). Formaliste - il privilégiait dans ses tableaux l’harmonie formelle - il fut un des fondateurs en 1897 du courant artistique sécessionniste viennois, avec le peintre Klimt et l’architecte Hoffmann. C’était un mouvement élitiste qui, sous l’influence des courbes et des enluminures gothiques, prêchait le purisme des formes artistiques et la primauté des arts décoratifs dans tous les domaines, de l’architecture à l’argenterie.
   
Le site de la Fondation Gustav Mahler fait de la vie de Moll une chronologie froide comme un rapport de police, illustrée de quelques photos et tableaux. Y sont inventoriées sa fréquentation des nazis par le mariage de sa fille à un dignitaire du parti en 1933, leur vie raffinée dans la haute société viennoise, le suicide des trois personnes susmentionnées le 13 avril 1945, jour où les Russes envahissaient leur résidence à Vienne, les intrigues successorales de la belle-fille de Moll, Alma Mahler…

On peut voir des tableaux de Moll dans quelques musées de Vienne et ne pas en voir un grand nombre (on parle de 900) dans des collections privées.
Rarement exposée, son œuvre survit dans une sorte de clandestinité que Jane Librizzi, dans son blog « Blue lantern », pense être le résultat, provisoire, de la personnalité détestable de Moll et de ses liens avec les nazis.
Ces choses n’arrêtent pas le marché et éveillent plutôt sa curiosité.
Le 23 février, « Intérieur blanc », alors généreusement estimé à 500 000$, ce qui aurait été un record pour Moll, a été adjugé pour 4,7 millions de dollars le mètre carré, constituant également un record de vente, depuis 2011, pour Freeman’s.  

Il parait que l’acheteur étasunien le prêtera pour l’exposer dans un musée.

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