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dimanche 7 janvier 2024

Ce monde est disparu (9)

Michael Sweerts, tableau d'une jeune femme priant présenté par un jeune homme qui pourrait être le peintre, vendu chez Christie's, sans le cadre, le 7 décembre 2023.

C’est peut-être sous l’influence de ses collègues à Rome, artistes venus comme lui des Flandres et qui peignaient avec fantaisie des scènes populaires de rues et de tavernes, ou de son caractère qu’on dit instable et inquiet, que Michael Sweerts, mort à 40 ans à Goa, n’a jamais peint de tableau banal ou conventionnel - à l’exception peut-être de son autoportrait du musée d'Oberlin. 
C’est ce qui fait une bonne part de l’attrait de ses tableaux, souvent ténébreux dans la lignée de Caravage, jusqu’à en être énigmatiques, mais ne l’a pas préservé de l’oubli.  

C’est en 1996 seulement que Rolf Kultzen publiait le catalogue raisonné du peintre, inventaire toujours en travaux puisqu’apparaissent encore sur le marché de l’art des tableaux de Sweerts inconnus. Découvertes ou réapparitions, c’est toujours un étonnement. 

En 2019 réapparaissait Le toucher, d’une suite de cinq portraits figurant les cinq sens, tous disparus il y a moins de 100 ans, à l’exception de L’odorat aujourd'hui à l’Académie des beaux-arts de Vienne (voir la photo des 5 tableaux dans cette courte vidéo instructive de 5 minutes).
Curieux tableau où l’on réalise, d’après l’expert M. Turquin, que le sens du toucher n’est pas illustré par la caresse du pelage du chat, vision traditionnelle que suggérerait une lecture un peu rapide du tableau, mais par le coup de griffes que le personnage simple d’esprit va provoquer inévitablement en touchant l’oreille de l’animal irrité. 

Et le 7 décembre 2023 disparaissait à Londres, contre une enchère de 2,2 millions de dollars (3 fois l’estimation), un tableau plus singulier encore, inconnu et absent du catalogue raisonné, ni signé ni daté mais attribué sans réserve à Michael Sweerts par Christie’s.
Il représente un jeune homme dans l’ombre - dans son descriptif la maison de ventes s’efforce d’y trouver une ressemblance avec les autoportraits de Sweerts - caché par un tableau qu’il présente avec ostentation et qui figure une jeune femme à mi-corps aux mains jointes - Christie’s affirme que c’est la Vierge de la croyance chrétienne.
Si les peintres se sont souvent représentés - ou leurs collègues - devant leur œuvre, ils se sont rarement cachés derrière. 

La mise en abyme du tableau dans le tableau est encore plus spectaculaire au fond du grand cadre gris sombre dans lequel il était exposé chez Christie’s (illustration ci-dessus), Christie's qui n’en oublie pas les affaires et précise que ce cadre, qui n'est pas l’original (peut-être est-ce celui-là), est vendu séparément.

Lors de la même vente, un autre tableau de Sweerts, une couturière et un serviteur emporté dans un insolite mouvement comme sur un instantané - procédé courant chez Sweerts - tableau pourtant connu et de qualité, restait invendu. 

Quelques Sweerts intéressants : L’atelier du peintre (Detroit Institute of arts), Joueurs de dames (Rijskmuseum Amsterdam), Garçon au chapeau (Wadsworth Atheneum), Portrait en vanité, Chasseur somnolent et chiens tristes (Ermitage Saint-Petersbourg), Fillette blessée (Boijmans Rotterdam), Portrait de jeune femme (en prêt au Mauritshuis, La Haye), Portrait de jeune fille à la coiffe blanche (Leicester museum) , etc.


Le tableau de Michael Sweerts sans cadre.

mardi 4 juillet 2023

Wadsworth ?

Nicolas Berchem, Maure offrant un perroquet à une dame, 90 x 94cm, Wadsworth atheneum.

Avez-vous jamais entendu parler du Wadsworth atheneum, musée et centre culturel parmi les plus riches des États-Unis, dans la capitale de l’état du Connecticut, Hartford ?

Il y a longtemps, peut-être, à l’occasion du vol du Van Gogh au musée Khalil du Caire, quand le petit monde de l’information apprenait qu’avait existé un tableau de fleurs de Van Gogh dans ce petit musée oublié même par la capitale qui l’hébergeait. Dans l’urgence les médias se mettaient en quête d’une reproduction pour en inonder la planète. La pioche tombait sur un tableau de fleurs attribué à Van Gogh, mais qui trônait alors sur les cimaises du Wadsworth atheneum, et que tous les experts (et un certain bon sens) excluaient du catalogue du peintre. 9 ans plus tard les mêmes experts le réattribuaient à Van Gogh, au grand soulagement du Wadsworth et à la consternation des tenants du bon sens.

Mais le Wadsworth détient bien d’autres tableaux, unanimement vantés, de Caravage, Zurbaran, Boudin, Harnett (le célèbre Faithful Colt), Monet (encore des nymphéas), Vigée-Lebrun, et même la désormais inévitable Artemisia Gentileschi.

Une place particulière y est faite aux peintres paysagistes de l’école de la rivière Hudson, parce que le fondateur du musée, Daniel Wadsworth (évidemment), millionnaire par héritage, amateur d’art dilettante, vaguement peintre et architecte, avait beaucoup admiré et soutenu Thomas Cole (ill. détail 3), Alvan Fisher et Frederic Church (ill. détail 4).
Après Wadsworth, les donateurs défiscalisés se succèderont, le banquier JP Morgan qui se défera de son encombrante collection de meubles de la Renaissance et de ses faïences de Sèvres, la veuve de Samuel Colt qui lèguera la collection d’armes de feu son mari, et ainsi de suite, jusqu’à constituer aujourd’hui le plus grand musée du Connecticut.

Son site internet n’a pas la qualité de celui des grands musées, les reproductions sont correctes mais de dimensions insuffisantes pour les détails et son ergonomie date un peu. Rien de bien attirant.
Néanmoins une déambulation dans ses salles virtuelles fera découvrir aux touristes immobiles quelques chefs-d’œuvre méconnus, des curiosités distrayantes et des scènes indéfinissables qui font tout le plaisir de ces promenades dans des lieux inconnus d'où l'on rapporte plus de questions que de certitudes. 


Petit florilège d’œuvres du Wadsworth qui méritent un détour :

L’étonnante mise en scène par Orazio Gentileschi (le père) du thème pourtant rebattu de Judith et la tête d’Holofernes, une série de beaux portraits dans le Fils prodigue de Cornelius van Haarlem, le plus fantastique des Berchem (avec celui du musée de Rouen) (ill. d'entête), d’un anonyme une architecture inutile pleines de statues, de balcons et de personnages aux gestes incompréhensibles, une série des paysages les plus populaires de Bierstadt, une rare annonciation nocturne de Caracciolo (ill. détail 1), de Lucas Cranach une scène de repas où un aristocrate manifestement rassasié refuse un dernier fromage de tête qui lui est présenté avec amabilité, un rêve de Salvador Dalì (ill. détail 5), de Pieter Elinga Janssens une scène d’espionnage libertin (hélas abandonnée à la poussière - ill. détail 2), un Pietro Longhi aussi léger, quelques beaux paysages de DC Johnson, Jongkind, Kensett, une étude ou copie d’une partie de l’extase de François d’après Georges de La tour, de Magnasco une scène de chasse, ou peut-être de vengeance si l'on considère le gibier pointé, de Pynacker une de ses scènes sans pareilles, fluviale et sylvestre, deux Michael Sweerts dont un portrait aussi beau qu’un Vermeer, de Traversi une partie de dames qui finira mal, la vue de Delft de Vosmaer après l’explosion de la poudrière en 1654, un allégorie bien ratée de la mort par Wright of Derby, une belle série d’Andrew Wyeth (ill. détail 6), et tant d’autres choses…


Détails dans les salles du Wadsworth atheneum, Caracciolo, Elinga Janssens, Thomas Cole, Frederic Church, Salvador Dali, Andrew Wyeth.