dimanche 29 juillet 2012

Nul n'est prophète...

Au delà de la Terre, au delà de l’infini,
Je cherchais à voir le paradis et l’enfer.
Une voix solennelle m’a dit :
Le paradis et l’enfer sont en toi.
Referme ton Coran. Pense librement,
Et regarde librement le ciel et la terre.
Omar Khayyam (1048-1131), extraits des Quatrains (Robaiyat)

La Turquie est bienheureuse.
Elle a depuis bientôt 20 ans Fazil Say, impressionnant virtuose qui fait la renommée de l'art du piano et de son pays dans le monde entier. Comme György Cziffra ou Alexis Weissenberg en leur temps, sa technique est éblouissante, son style fantasque, et son succès considérable.
Il compose également, quantité d'oratorios et de symphonies qui réclament une exubérance d'instruments et beaucoup de résignation de la part de l'auditeur, qui a l'impression d'écouter l'accompagnement musical des pesants films de science fiction américains, comme avec les symphonies d'Anton Bruckner ou de Gustave Mahler.

Mais la Turquie est déchirée.
Car elle organise le 18 octobre une sorte de procès galiléen en miniature, contre son idole Fazil Say pour avoir insulté les valeurs de l'Islam. Trouvant en effet amusante une évocation du poète perse Khayyam, reçue par le réseau Twitter, qui comparait le paradis des musulmans à un rade pour ivrognes garni de prostituées, Fazil a commis le blasphème irréparable de retweeter le tweet. C'est à dire qu'il a transmis le court texte, d'une légère pression sur le bouton idoine de son téléphone, à ses milliers de fans suiveurs. Erreur fatale qui pourrait bien l'enfermer 18 mois dans les prisons turques, dit la loi « pénale ».

Fazil Say n'a jamais caché son athéisme.
La Turquie n'a jamais caché sa laïcité, depuis la révolution de Mustafa Kemal en 1922. Jusqu'à l'inscrire dans sa Constitution.
Mais elle la pratique de moins en moins.

Mise à jour du 21.11.2012 : le tribunal étudie le dossier de la défense. Prochaine audience le 18.02.2013 15.04.2013.
Mise à jour du 16.04.2013 : le verdict clément, 10 mois de prison, ne sera exécuté qu'en cas de récidive dans les 5 ans. Encore un petit effort vers la civilisation...
Mise à jour du 14.11.2018 : l'affaire traine. Le jugement, confirmé en appel en 2013, annulé en 2015 par la Cour suprême, est renvoyé devant un autre tribunal et annulé définitivement en septembre 2016 alors que la presse, les instances européennes et le public éclairé réclament que le pianiste ait le droit de s'exprimer. Pendant ce temps, le pays s'enfonce doucement dans une autocratie réactionnaire, comme bon nombre d'autres pays dans le monde.



Le palais de l'Alhambra à Grenade, en Espagne. L'intérieur du palais (ici la tour de Comares) est totalement recouvert de grouillantes arabesques et d'innombrables inscriptions affirmant qu'Allah est le seul vainqueur. Fazil Say qui est musicien aurait pu se douter qu'en matière d'opinions les murs ont aussi des oreilles.

7 commentaires :

Tilia a dit…

Étonnant comme depuis quelques décennies, le jeu des pianistes virtuoses tend à se théâtraliser, vous ne trouvez pas ?
J'avais déjà remarqué cela chez Lang Lang et chez Maksim Mrvica. Aujourd'hui je découvre, grâce à vous, un Fazil très inspiré.

Costar a dit…

Je ne connaissais pas l'imprononçable Mrvica ! C'est extraordinaire. Son vol du bourdon est tellement kitsch qu'il dévalue l'adjectif même ! Comparé à lui, Fazil say est Brahms ! Décidément les merveilles de la nature m'émerveilleront toujours.

Tilia a dit…

Bizarre ce que vous me dites là à propos du Vol du Bourdon par Maksim.
Je trouve son jeu beaucoup plus sobre dans ce Vol là que dans la Rhapsodie Hongroise, où il en fait des tonnes.
Par moments j'ai l'impression qu'il cherche à imiter les expressions de Glenn Gould, dans ce Nocturne notamment...

Pour le Bourdon kitschissime, vous avez dû tomber sur cette version, que je ne connaissais pas et qui est effectivement d'un goût atroce. Peut-être pas le plus abominable qu'on puisse trouver en matière de vidéo, mais pas loin !

Ou alors, vous êtes allergique au style vestimentaire du personnage :)

Costar a dit…

Non c'est encore une autre version en public entouré de ballerines. Mais de toutes manières, quelle que soit la version ce type est un clown ridicule, et de plus techniquement à mille lieues de Fazil Say. Je ne comprends pas votre comparaison avec Gould. C'est le pianiste le plus éloigné dans sa rigueur et son ascétisme de toutes ces bouffonneries mercantiles.

Tilia a dit…

Il n'y a aucune comparaison possible entre Gould et Mrvica !
S'il vous plaît, cher Scaphandrier, relisez ce que j'ai écrit. Mrvica cherche à imiter Gould dans ses expressions faciales. Point.

Costar a dit…

Désolé ça ne me semblait pas si clair (sans l'adjectif "faciales" que vous ajoutez depuis, les "expressions" d'un artiste ne sont pas nécessairement des mimiques mais peuvent être des phrasés par exemple).
Mille excuses.

Tilia a dit…

Excuses accordées :)
À mon tour d'être désolée d'avoir répondu un peu sèchement. La communication n'est pas toujours évidente quand on tente d'exprimer par écrit ce que l'on dirait plus facilement de vive-voix.