lundi 3 août 2020

Le mystère Van Gogh de l'été

Les finances des musées sont au plus bas. Ils ont été fermés plus de 4 mois et quand ils rouvrent, avec circonspection, c’est entravés de contraintes de visite telles qu’on se demande si les précautions mises en place ne coutent pas plus que ce que rapportent les quelques touristes méfiants qui se hasardent à les visiter.
 
Alors il faut sortir le grand jeu. Juillet-aout c’est l’été, les champs de blé, le jaune citron, et Van Gogh. Ça tombe bien, un expert du peintre vient de découvrir le lieu où il aurait peint son dernier tableau, laissé inachevé dans sa chambre d’Auvers-sur-Oise. Il représente un sous-bois, peut-être un talus, avec des arbres au tronc noueux.

La chose n’était pas simple. Il fallait disposer de cartes postales d’époque (ici vers 1900), d’Auvers-sur-Oise ou alentour (ici à 200 mètres de l’auberge où Van Gogh logeait), et avec des arbres. Puis, faire coïncider l’image avec le tableau en le contorsionnant et le maquillant à l’aide d’un outil de dessin sur ordinateur et de manipulations expertes. Le résultat est bluffant.  


Le spécialiste affirme, approuvé par la directrice du musée Van Gogh d’Amsterdam et l’arrière-petit-neveu du peintre, que l’endroit est à 99% celui où l’artiste se serait assis le 27 juillet 1890 (exactement à l’emplacement de la flèche, qui n’y était pas à l’époque), face au 49 rue Daubigny.
Il aurait attendu que passe le cycliste (qui était en réalité arrêté pour que son image reste nette), puis, contemplant les racines erratiques des vieux arbres, se serait abimé dans des pensées sans illusion sur la destinée humaine, et aurait transcrit ses idées noires d’un pinceau décidé, histoire de laisser un testament aux experts de l’avenir (les racines sont des choses hautement symboliques dans les bistrots que fréquentent les spécialistes en Van Gogh).
En fin de journée, après un bref retour à l’auberge, sans saluer personne, il serait parti d’un pas inflexible dans les champs pour se rater à moitié, mais méthodiquement, et finir par mourir 2 jours plus tard.

C’est une belle histoire édifiante. Van Gogh, dont on estime sans doute qu’il aura raté sa vie parce qu’il n’a pas vécu de sa peinture, aurait tout de même réussi quelque chose, son suicide.
Si l’emplacement de la rue Daubigny est plausiblement celui du tableau, le récit d’un Van Gogh en pleine période créative mais déterminé à se supprimer en laissant un message d’adieu au monde est un conte de fée pour journal télévisé. Il renforcerait même involontairement certains arguments des défenseurs de l’hypothèse du coup de révolver accidentel lors d’une beuverie.

C’est cependant la version enchantée qui sera reproduite par les médias, convoqués en fanfare le 28 juillet dernier au 49 rue Daubigny, pour apprendre au monde la bonne nouvelle. Nous n'en savions rien, il y avait pourtant un mystère, mais il n'était plus mystérieux.

Ainsi dans ce village où le peintre ne passa que deux mois mais où chaque pierre, chaque feuille, chaque nuage, chaque affiche, évoque, respire, irradie l’art de Van Gogh, comme on le lit dans les réseaux sociaux, un nouveau lieu de pèlerinage ouvrira bientôt.
Pour l’instant protégé de l’avidité idolâtre du public, qui pourrait bien s’y tailler des allumettes ou des cure-dents, les officiels cherchent encore que faire de ce tronc d’arbre pourri par les intempéries, au pied d’un raidillon poussiéreux au bord de la route.
 

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