Il n’y a plus d’Antidote (billet d’humeur)
Distributeur de sodas dans un monde sans dictionnaire (c'est assez terrifiant), Demeure du chaos, 2015.
Il est malheureux, pour un blog considéré en moyenne par 100 à 200 visites hebdomadaires (1), de perdre du jour au lendemain sa principale source d’inspiration, un bon dictionnaire, et pour un motif certes classique, mais vulgaire, la cupidité !
(1) Les statistiques de Gougueule déclarent 630 visites par chronique, mais étalées sur 15 ans. Et doit-on croire des chiffres fournis par l’entreprise qui en est la première bénéficiaire, et qui envoie systématiquement dans le piège sa cohorte de robots de surveillance et parfois un internaute égaré, qui presse immédiatement, éberlué, le bouton de retour en arrière ?
Un peu de technique pour les profanes.
Pour être agréable à lire, un texte doit être fluide comme la pensée, mais plus précis qu’elle, qui cahote généralement dans une mare de confusion. Il faut, dans ce but, la figer dans le mot exact, qui aura bien entendu un sens différent à la lecture de chacun, mais on n’y peut rien.
Le vieux Boileau peut toujours affirmer fièrement, au vers 153 de son art poétique, « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement », pour l’auteur d’un blog qui ne dispose que d’un cerveau moyen de 1300 grammes tout mouillé et dont la rumeur dit qu’il n’en utilise que 130, les outils informatiques, qui apportent instantanément orthographe, synonymes, antonymes, définition, genre, citations et conseils grammaticaux, sont vitaux.
Antidote, outil linguistique produit par les Canadiens (2), était le couteau suisse de ce blog depuis presque 10 années. Les adeptes comprendront pourquoi.
(2) Les Canadiens du Québec, peut-être parce qu’il sont menacés de l’intérieur par l'anglais, défendent mieux la langue française que les grands classiques français, Robert ou Larousse, dont l’offre numérique est indigente (à l’exception du CNRTL, mais qui aurait besoin d’un bon renouvèlement).
Or à l’instar de Photoshop, puis de la suite Microsoft, et maintenant de la plupart des logiciels à qui la réussite financière a montré le début d’un orteil, Antidote change aujourd’hui de modèle économique.
Afin de racler définitivement les phynances du brave blogueur bénévole, il cesse de maintenir le dictionnaire acheté (et qui mourra doucement d’obsolescence en peu d’années, ou quelques mois) et le transforme en un rutilant droit d’utilisation du logiciel (3), payé par un abonnement à prélèvement, renouvellement et résiliation automatiques.
(3) Cette année, Antidote supprime le logiciel sans abonnement sur les téléphones et tablettes seulement, pas encore sur ordinateur (où subsiste l’achat de la mise à jour en option).
Vous trouverez la description des avantages de ce nouveau modèle économique abusif et totalement déséquilibré dans notre chronique de 2013, Légère retouche au modèle, à propos de Photoshop.
5 euros par mois ! Un détail, direz-vous. Mais un détail de plus. C’est ainsi qu’on tolère sans le remarquer, jour après jour, le resserrement des chaines de notre propre captivité.
Écoutons plutôt Étienne de la Boétie et abandonnons rondement ce dictionnaire pour un autre, peut-être moins agréable, moins commode, mais notre indépendance vaut bien ce petit effort, sans quoi Ce Glob serait vite contaminé par l’anarchie ; la faute d’orthographe, la pauvreté des épithètes, les clichés de langage, les barbarismes y pulluleraient.
Et à cela, à l’image du sort inéluctable du climat de la Planète, il n’y aurait plus la moindre antidote.
10 commentaires :
Oui, je sais, antidote est du genre masculin. Je vous avais prévenus, ça commence mal !
Ah, je comprends maintenant l'absence (regrettable) du circonflexe sur le i dans vos chroniques : c'est ce logiciel nord-américain qui vous corrigeait automatiquement !
Dômmage :-/
Ah, c'est un grand malheur ! Mais sur la plupart des "u" également. Une calamité ! Le mois d'aout sans accent est particulièrement répugnant !
Non je plaisante, c'est par pure fainéantise. Il fallait appuyer chaque fois sur 2 touches du clavier pour un seul caractère. Que le français est ardu !
Et j'aurais apprécié qu'Antidote se charge de poser lui-même l'accent vrai, l'accent ancestral mais, comme les correcteurs automatiques d'Apple ou de Microsoft, respectueux des principes des Rectifications orthographiques de 1990, il sait que les deux graphies sont autorisées (notre société est tellement laxiste), alors il ne proteste même plus.
On en a déjà parlé, je connais votre position.
Ce n'est pas maintenant que vous vous déjugerez, j'imagine.
Au demeurant, je m'en contrefiche. Pas la peine d'ironiser, vous ne vous adressez pas à un lecteur du Figaro, je n'en fais pas mon cheval de bataille ;-)
Seulement, une réforme qui propose de supprimer le i de "oignon" au prétexte qu'il ne se prononce pas ne saurait susciter mon adhésion. (adésion ?)
pi
Oh l'ironie ne vous était pas vraiment destinée. Je respecte votre point de vue que je partage même un peu, et qui ne vous a jamais empêché de lire Ce Glob. Elle m'était un peu destinée parce que, trop rigide probablement je ne peux plus que respecter cette vieille décision irréfléchie (enfin pas totalement...).
Quant au mot Adésion, c'est une bonne idée que vous avez là. Méfiez-vous, les réseaux sociaux sont prompts à réagir, et ils pourraient bien vous attribuer la paternité de l'abitude qu'ils ont déjà de longue date d'escamoter les lettres qu'ils ignorent et qui ne se prononcent.
Un "point de vue", c'est me faire trop d'honneur. Un vague sentiment, tout au plus. Je n'arrive pas à me résoudre que ma langue natale n'ait d'autre vertu que fonctionnelle. Ses archaïsmes, ses absurdités, ses faiblesses, ses complications me plaisent. Je l'aime comme elle est, mais aussi comme elle va. Je dénie au législateur le droit de dire ce qui doit, ni même ce qui peut. Et j'emmerde aussi bien les puristes que les réformateurs.
Cela dit, vous lire est toujours un régal, car vous écrivez de façon remarquable. "Un sot trouve toujours..." la suite est aussi chez Boileau ;-)
Bien cordialement,
pi
La langue est plus qu'un outil, certainement. Elle porte les marques de son histoire, et de notre long apprentissage. Mais c'est aussi un outil qui devrait être accessible à tous.
Et surtout les rectifications de 1990 sont principalement des simplifications logiques, ne touchent qu'un peu plus de 1300 mots et ne sont pas obligatoires. L'usage fera le tri et n'en gardera peut-être rien.
Le français a subi pire dans son histoire, et aujourd'hui encore il me semble plus menacé par les anglicismes envahissants que par la perte de quelques accents.
Bon je m'étais promis de ne plus en parler... C'est raté.
Savez-vous, oui certainement, que Proust qui dans son œuvre parle si souvent de Claude Monet, de jardins, et de nymphéas n'a écrit que deux fois le mot nénuphar, presque sur la même page du premier volume de À la recherche du temps perdu, mais orthographié nénufar, ce que les imprimeurs ont toujours respecté ?
J'ai lu un article de 2016 fort documenté d'abondantes références et qui prétendait que cette orthographe due à l'origine persane du mot se pratiquait déjà avant lui, ce que je veux bien croire, notamment chez Balzac et Baudelaire.
Par taquinerie j'ai fouillé leurs œuvres complètes : eh bien, chez Baudelaire, ni nénufar ni nénuphar, et chez Balzac pas un seul nénufar, mais tout de même cinq nénuphars.
J'ai des occupations passionnantes.
"En quoi consiste l'Imperfection de l'ortografe dont on se servoit comunémant il y a 50. ans ou anviron, & dont quelques gens se servent ancore, & que je nome vieille ortografe." (Louis de Courcillon de Dangeau, "Sur l'ortografe françoise", fin du 17e siècle)
45 000 occurrences pour "ortografe" sur Gallica ! (J'ai des occupations non moins passionnantes que les vôtres :-)
Pourquoi dès lors "nénufar" et pas "ortografe" ?
"Réforme ortografique", voilà qui aurait de la gueule, non ?
L'étymologie - que je connais assez peu, ayant jadis écrit le mot avec un h, trouvant le résultat bien plus scientifique - me semble remonter au 18ème siècle, ou peut-être au 17ème, quand les f des mots qu'on pensait d'origine grecque ont été transformés en ph pour faire savant. En cherchant justement une réponse plus précise je viens d'atterrir sur ces trois billets de Danièle Sallenave qui me semblent promettre une lecture plaisante : L’orthographe, histoire d’une longue querelle (billet1, billet2, billet3).
À propos de la réforme, il y a presque 14 ans, aux débuts du blog, je découvrais ces rectifications et pondais cette chronique dont je reconnais être rétrospectivement plus satisfait des illustrations - que j'utiliserai peut-être un jour dans un tableau - que du contenu.
Aïe, aïe, aïe !
Vous noterez que les Académiciens on quelques difficultés avec l'informatique. Le lien du 3ème billet conduit bien à un 3ème, mais il porte le même titre et surtout le même contenu que le 2ème. En cherchant dans les bloc-notes, on trouve ce qui est peut-être le vrai 3ème billet, au moins pour le contenu, mais qui porte toujours le titre du 2ème.
Par ailleurs l'auteure y promet en novembre 2016 une suite qui n'est jamais venue.
L'âge, la fatigue ? Ces gens travaillent trop à essayer de contenir une langue qui n'en fait qu'à sa tête.
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