Affichage des articles dont le libellé est Dollar. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Dollar. Afficher tous les articles

jeudi 23 mai 2024

Avida Dollars (1 de 2)

Salvador Dalí et sa cour à la télévision française le 21 avril 1967. On y prononçait beaucoup les mots or et dollars. Le maitre répliquait à propos de l’anagramme de Breton "Salvador Dalí = Avid à dollars".
- C’est un[e] anagramme qui était magique et qui m'a apporté une chance extraordinaire car depuis qu’il m’a appelé Avida Dollars, la pluie d'or a commencé à tomber sur ma tê-te comme une divine diarrhée monotone et réellement su-blime.

Si on a la bonté de croire les chiffres autoproclamés de fréquentation des expositions, l’œuvre du peintre Salvador Dalí (en français Dali) serait appréciée par un nombre considérable de français ; ses deux rétrospectives au centre Pompidou auraient attiré à Paris 840 000 visiteurs en 1979 et 790 000 en 2012 (le pompon, pour une exposition monographique, est toujours détenu par Monet en 2010 avec 913 000).


Rappelons que ce n’est pas parce qu’on aime les œuvres d’un artiste qu’on partage nécessairement ses idées, seraient-elle réactionnaires, provocatrices, opportunistes et méprisables. Dalí a toujours été du côté de l’argent donc du pouvoir. C’est la fatalité de tout artiste à la mode de son vivant, qui l’incite à la surenchère dans le kitch et la vulgarité. Dalí le faisait avec ironie et un certain éclat, en débitant les pires absurdités devant les médias subjugués.


Le programme d'archives Les nuits de France-Culture vient de regrouper 17 épisodes radiophoniques (d’une trentaine de minutes) sur Dalí.

Les 9 premiers sont truffés d’entretiens savoureux avec le peintre, les suivants sont des commentaires convenus, par des spécialistes de la psychanalyse qui débitent avec sérieux leur glose doctrinaire sur les délires contrôlés du peintre.  


Voici un petit florilège de saillies et de pensées par Dalí avec le lien vers l’épisode de la citation (mais il est plus amusant de les entendre déclamées dans les entretiens, avec l'élocution de Dalí, et puis il n’y a pas que des sottises) :


Breton pensait que Dali n’était plus un peintre surréaliste et l’a exclu du mouvement "parce que je n’étais pas de ceux qui se groupaient de façon habituelle à sa table de café".


Je remercie Picasso d’avoir assassiné la peinture académique mais aussi toute la peinture moderne […] Avec son génie ibérique il a produit en 3 semaines les tableaux les plus laids du monde, les portraits de la série Dora Maar d’une laideur surhumaine et on ne peut plus aller plus loin dans ce sens, il faut donc faire maintenant des choses très belles si on veut faire des choses nouvelles.


La peinture abstraite a toujours existé, on l’appelait la peinture décorative.


C’est aux critiques, pas à moi, d’expliquer ce que je fais, que la plupart du temps je ne comprends pas du tout […] Il me suffit de le faire minutieusement.

Je suis un peintre ex-surréaliste



Dans le pointillisme tous les points sont posés les uns à côté des autres bu-reau-cra-ti-que-ment.


Je crois que je suis un peintre assez médiocre dans ce que je produis. Ce que je considère génial c’est la vision de ce que ça devrait être.

Toute ma jeunesse j'ai joué à être un génie sans y croire et je le suis devenu


Le commentateur cite un texte de Dalí qu’il dit trouver déchirant "Le ciel n’est pas en haut, en bas, à gauche, à droite, il est au centre de la poitrine de l’homme qui a la foi. À cette heure je n’ai pas encore la foi et je crains de mourir sans ciel". 

Dalí réconfortant lui rétorque "Mais ça va mieux".

Dans l’art il y a encore moins de progrès que dans le reste


La chanson est un moyen de crétinisation générale pour les foules et je m’en sers dans ma méthode paranoïaque critique pour faire partir les gens ou les faire revenir.


Ce que j’aime le plus au monde c’est gagner de l’argent. Je suis la plus grande courtisane de cette époque.

La chanson est un art très mineur


Si dans la vue de Delft il y avait eu une cabine téléphonique, alors Vermeer aurait peint exactement la cabine téléphonique.


Je suis un mys-mixtificateur, un peintre est mixtificateur parce qu’il ne fait que mixter, faire des mixtions entre l’huile, les terres de Sienne…

Je suis un mystificateur


vendredi 25 février 2022

Non, ça n’est pas la Joconde

Joseph Duplessis, portrait de madame Lenoir c.1764 (musée du Louvre)

Lecteur averti, lectrice avisée, quel est pour toi le plus beau portrait du Louvre, celui qui t’attire irrésistiblement quand tu flânes dans le musée ?
Naturellement, tu n’a pas versé dans le piège, tu as répondu sans hésiter « le portrait de madame Lenoir par Duplessis ». 
Tu as raison. Il y a au Louvre peu de portraits comme celui-ci - un ou deux Rembrandt peut-être - dont on peut dire qu’il n’est pas une figure arrangée pour flatter le modèle ou sa gloire, ni un stéréotype sorti des chimères d’un peintre, mais un être humain, une personne qui vit, un peu à l’étroit dans son cadre doré et ses deux dimensions, mais qui a la courtoisie de reprendre à chaque visite notre conversation silencieuse exactement où on l’avait interrompue. 

Sur son site, le Louvre reproduit madame Lenoir plongée dans un bocal enfumé, jaunâtre, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La photo date probablement. Joseph Duplessis l’a peinte peu avant 1764. Il n’était pas encore l’un des portraitistes les plus appréciés des personnalités et de l’aristocratie, de Paris à Versailles. Il faudra attendre la décennie suivante pour les portraits de Necker, Gluck, Vien, Louis 16, mais on parlait déjà de la grande ressemblance de ses portraits, franche mais bienveillante.

Catherine Louise Lenoir, née Adam, tenait à Paris un commerce de bas (et visiblement aussi de nœuds papillon, falbalas et fanfreluches). Le Louvre, jugeant le métier peu digne du plus grand musée mondain de l’univers, a préféré titrer le portrait « Madame Lenoir, mère d'Alexandre Lenoir, fondateur du Musée des Monuments français ». En réalité, quand Joseph Duplessis portraiturait sa maman, le petit Alexandre, né en 1761, avait à peine piétiné quelques châteaux de sable.
Le peintre avait alors un peu plus de 35 ans, ce qui rend étrange le commentaire du musée qui attribue le tableau à une supposée « École de Duplessis » - ou alors École de est un terme fourretout quand on n'est pas certain d'une attribution.
  
J’entends, lecteur cynique, lectrice perverse, ta question sournoise « c’est peut-être le plus beau portrait du musée, mais pourquoi est-il absolument inconnu, quand l’auteur a peint des banquiers, des musiciens classiques, même un roi, raccourci depuis et mondialement célèbre pour cette raison, alors que l’autre portrait du Louvre, celui qui attire quotidiennement sur place des milliers de fanatiques, est tellement célèbre qu’il est reproduit par millions, aimanté, sur les réfrigérateurs de la planète entière ? »

À cela je répondrai que, même d’un vulgaire point de vue quantitatif, Duplessis n’a aucune leçon à recevoir d’un équivoque émigré italien. 

Tu sais, lecteur sceptique, lectrice incrédule, qu’un portrait de Benjamin Franklin, Père fondateur du libéralisme étasunien et entrepreneur exemplaire pour tout américain, orne depuis 100 ans presque sans interruption les billets de banque de 100 dollars. 
Sache que cette effigie était jusqu’en 1993 une gravure fidèle d’un tableau dit Franklin au col de fourrure, et depuis 1996 d’un autre tableau dit Franklin à la veste grise, le préféré du modèle.
Sache que ces deux portraits ont été peints par Joseph Duplessis en personne, en 1778 pour le premier quand Franklin était en France (la toile est actuellement au Metropolitan Museum de New York) et en 1785 pour le second, d’après son pastel de 1778 (à la National portrait gallery de Washington depuis 1987, et dans le bureau ovale de la Maison blanche depuis 2017).

Sache donc que cette tête de Benjamin Franklin par Joseph Duplessis circule aujourd’hui dans les poches et entre les mains (pas toujours propres) des habitants de tous les pays de la planète en 14.000.000.000 d’exemplaires… 
Ce qui se lit quatorze milliards.

Na !