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jeudi 4 juillet 2019

HEY! 4, l’apothéose de mad meg

mad meg, Patriarche n°40, Le conservateur - détail (dessin à la plume, 2016). Notez, dans le bocal, l'élégance raffinée de la langue française.

Il existe des artistes pour qui la création est un soulagement.

On les rencontre dans la Halle Saint Pierre, 2 rue Ronsard, à Montmartre, où les créateurs de la revue d’art HEY! exposent pour la 4ème fois après 2011, 2013 et 2015, une trentaine de ces artistes inclassables affublés de qualificatifs qui ne les définissent pas, mais les excluent : en marge, outsiders, contre-culture, figuratifs hors-norme, art brut populaire.

Leur point commun est de fabriquer leur œuvre dans un état obsessionnel qu’ils ne savent pas contenir, et souvent avec un humour (un peu funèbre) qu’on pressent au bord de la crise d'angoisse.

Cette année, et jusqu’au 2 aout encore, voisinent rue Ronsard, les dessins macabres et pointilleux de Lizz Lopez, les troublants masques taxidermistes du duo Mothmeister, les délires en bandes dessinées du québécois Henriette Valium, et surtout trois immenses dessins à la plume de mad meg ; mad meg (les minuscules sont délibérées), Dülle Griet en néerlandais, Margot la folle (référence au tableau de Brueghel), est un peu une Laurie Lipton à la française.

Comme Lipton, fascinée par les miniaturistes flamands, Bosch, Brueghel, Van Eyck, elle besogne des mois durant, parfois des années, sur de gigantesques dessins satiriques.

Alt Quand Lipton couvre, pour chaque dessin, plusieurs mètres carrés de fins traits de crayon noir (plus ou moins denses pour faire des gris, mais jamais estompés), mad meg les remplit de petits traits d’encre noire, plus ou moins courts ou rapprochés, avec une plume Sergent-Major.

Quand Lipton invente des architectures grouillantes de fils électriques, de curseurs et de boutons, au service d’êtres humains rendus à l’état de squelette ou de spectre, mad meg caricature les grandes œuvres de l’art occidental qu’elle fait pulluler de scènes qui parodient toutes les outrances de notre civilisation, patriarcale (*), inhumaine et suicidaire.

Leurs idées se rejoignent dans un dessin de 2 mètres intitulé Zuckerberk réalisé par mad meg en 2017.

Toutes deux dessinent de la main gauche.

Féministe militante, mad meg a commencé, vers 2001, en traçant sur des petits carnets de minutieux squelettes d’animaux du Muséum d’histoire naturelle de Paris, et des scènes goyesques tourmentées par ses indignations politiques.
Et comme ses protestations étaient inaudibles, elle a peu à peu agrandi ses formats jusqu’à la démesure. Aujourd’hui elle crie, sur 20 mètres carrés dans la Halle Saint Pierre.

En est-elle plus écoutée ? Au moins ses cris la soulagent-ils sans doute un peu.

Dans sa spectaculaire parodie de la Cène de Léonard de Vinci et ses insectes en costume de banquier, apothéose de l’exposition qui mesure presque 9 mètres, plus intense que l’original, le fin motif de la nappe est fait de la recopie manuscrite de plus de la moitié du Talon de fer, roman révolutionnaire de Jack London.

Et pour que ses sortilèges vous poursuivent longtemps après la visite de l’exposition, le site de mad meg est un des plus beaux d’internet, un délice de navigation, un modèle d’interface. Tout mad meg s’y révèle, au moyen seulement de la souris, les détails les plus infimes des dessins, les textes, les références (sauf la reproduction intégrale de ses carnets de dessin, hélas en petit format).

Les voyageurs immobiles y passeront des jours d'investigation et de vagabondage.

***
(*) Les Patriarches est une série depuis 2004 de 20 grands dessins de personnages en pied.
« Les patriarches ne sont pas des hommes déguisés en insectes, ce sont des insectes qui essayent de se faire passer pour des hommes. Ils n’ont pas de nom, ils n’ont qu’un numéro et un titre. Ils ont abdiqué toute humanité afin de servir la fonction que leur confère le système patriarcal. Ils sont leur carrière, leur situation, leur rôle… […] Leur ministère est d’anéantir. Leur vocation est de faire de nous de la viande, du profit, de la productivité, de la statistique. Ce sont des thanatocrates. Des psychopompes qui fauchent la vie… »
mad meg
(citée dans le catalogue HEY! #4)



mad meg, Le phoque mort - détail (dessin à la plume, 2014).

mercredi 15 mai 2013

HEY! 2, la suite


« Quoi qu'on dise...
Les oiseaux ont eux aussi le vertige. »
Camille (Chanteuse, 1978-)

Vous aimez les oiseaux, les lapins, peut-être même les anges, alors l'exposition « HEY! part.2 » est faite pour vous. Elle se tient, comme la première exposition de 2011, dans la Halle Saint Pierre de Paris, 2 rue Ronsard, depuis le 24 janvier 2013 pour sept mois.
L'exposition HEY! c'est le cabinet des curiosités, la sous-culture, celle qu'on ne montre pas aux enfants. C'est l'art brut, compulsif, pathologique. On y trouve effectivement des oiseaux, mais ils sont pendus par le col aux branches des arbres, sur les tableaux minutieux d'Heather Nevay, et aussi des lapins, crucifiés, et des anges, qui régurgitent, dans les sculptures grandeur nature de Paul Toupet.

On y franchit parfois le seuil de la normalité, voire de la perversité, surtout dans la pénombre du rez-de-chaussée. On croise les céramiques écorchées de Carolein Smit (notre illustration, Skinned ram's head 2008), les obsessions de Giger, les montages photographiques goyesques et parfois malsains de Joel-Peter Witkin, et des choses pires encore que la morale réprouverait certainement.
Et puis une pièce isolée est consacrée à une dizaine de grands panneaux peints à l'acrylique et méticuleusement fouillés de Joe Coleman. Chaque panneau est un livre. Il faut des heures pour examiner les détails obsessionnels et les textes microscopiques qui les couvrent. On s'en fera une bonne idée sur son site où on peut détailler à loisir certains tableaux, notamment Coleman et ses maladies.

À l'étage on se détendra un peu avec des réalisations plus légères, comme les parodies désopilantes de Mariel Clayton, mises en scène miniatures et sanguinaires de la poupée Barbie qui se venge enfin sur son partenaire Ken, ou les détournements humoristiques des grands thèmes iconographiques par Tod Schorr, entre Tex Avery et Jérôme Bosch. Et on notera au passage, parmi des dizaines d'autres artistes, quelques pages originales de la bande dessinée Little Nemo in Slumberland de Winsor Mac Cay, incongrues, et des instantanés au lavis d'encre noire d'Angelo Di marco, étonnant illustrateur des faits divers.

Enfin, un légitime réflexe d'autodéfense viendrait-il effacer de notre esprit toutes les images de cette exposition qu'on ne pourrait certainement pas oublier les quatre gigantesques dessins minutieux au crayon noir du croate Davor Vrankić (Heaven, Hell 2001, la grande collectionneuse 2009, Silent dancer 2010). Vrankic dessine depuis vingt ans à Paris, exclusivement à la mine de graphite de 0,9 millimètres de diamètre et de dureté 2B, une profusion irrépressible de formes, un jaillissement qui n'a pas d'autre raison que son existence propre. La création pure.

Nulle part ailleurs qu'à HEY! vous ne ressentirez aussi clairement cette obsession de la création qui déchire les êtres de l'intérieur, après quoi les belles expositions à la mode que Paris prodigue habituellement vous sembleront tristes et insipides et vous retournerez souvent vers la Halle Saint Pierre, jusqu'au 23 aout 2013, pour y éprouver la vie même, surgissant comme d'une source, grouillante, cruelle et fatale.

samedi 7 janvier 2012

HEY! ou l'art ironique

De loin ça ressemble, perçant l'obscurité, à un grand vaisseau fait de mécanismes compliqués, de tuyauteries, de poulies, d'échelles et de roues, d'une matière pierreuse, et d'où émergent, en gloire comme sur un monument aux morts (1), une statuaire de squelettes, de formes humaines et d'animaux chimériques. Puis en approchant le regard, la scène grouille de personnages minuscules, souvent difformes, mutilés, fondus, comme sur les panneaux peints par Jérôme Bosch, et qui arborent des poses héroïques dans cet immense pandémonium.
Kris Kuksi amasse les jouets minuscules et les personnages miniatures, généralement de plastique. Il les découpe, les déforme, les peint et les assemble. Comme il les récupère dans le commerce ou dans des greniers, on y trouve toutes les figures de nos mythologies modernes, des soldats de toutes les époques, des naïades, des moines, des cosmonautes, des papes, des déesses antiques, et encore des soldats. Et c'est ce qui fait de chaque sculpture une mise en scène infernale et méticuleuse des vanités humaines (2).

Plus loin, soigneusement empaquetées en boites vitrines, sont exposées des poupées Barbie un peu dévoyées, avec organes génitaux externes apparents. Celle-ci est vêtue de latex, celle-là urine dans sa boite. Carmen Gomez les a nommées Barbitch. Elles avoisinent les PsychoToys explicites et turgescents de Misha Good, que la rigueur morale de ce blog empêche de décrire.
Ailleurs, deux vitrines alignent une série de vingt petites porcelaines, gracieuses figures en robes de marquise, alanguies ou dansantes. De près, on remarque que chacune a essuyé un léger accident anatomique qui empourpre la céramique. Sur une des plus divertissantes, la figurine se rafraichit d'un souple mouvement d'éventail. La tranche de l'instrument est rouge et la gorge de la marquise béante comme un sourire sincère. Jessica Harrison appelle cette série «mise en pièces».

Mais l'exposition n'est pas réservée à la sculpture. On y présente nombre de graphistes et de peintres. Chris Mars et ses personnages entassés, burlesques, fossilisés vivants, peints d'une chair onctueuse et mordorée (3).
Turf One (Jean Labourdette), peut-être le plus iconoclaste, respectueux à l'excès de la technique méticuleuse, du style raffiné et de l'iconographie religieuse des peintres flamands du siècle de Van Eyck, mais qui remplace les personnages sacrés par des portraits caricaturaux et populaires, ou par des singes et des chiens. Un Van Eyck façon Louis-Ferdinand Céline ou Michel Audiard.

Et puis Erró l'islandais, et l'inénarrable, truculent, libidinal et libertaire Clovis Trouille, qu'on voit si rarement (4).

En tout, 64 créateurs singuliers, monomaniaques, qui pratiquent la transgression sans retenue. C'est à Paris, à Montmartre, dans la Halle saint Pierre. C'est organisé par les très éclectiques créateurs de la revue HEY!, luxueuse publication trimestrielle consacrée aux arts alternatifs, bruts, décalés, insolites
, marginaux, populaires ou underground (rayez les mentions inutiles).

Cascabel, de Vincent Glowinski, exposition HEY!
Musée de la Halle saint Pierre, Paris, 2011-2012

Vous hésitiez encore entre la lumineuse exposition consacrée par le musée Jacquemart à Fra Angelico et son temps (apothéose des Bisounours mais avec quelques décapitations tout de même), et la réalité contemporaine, sombre et fantasque de l'exposition HEY!. C'est inutile, il est déjà trop tard pour le radieux prêtre florentin, alors que l'exhibition HEY! ne ferme que le 4 mars 2012. Allez la voir tant que vous êtes encore vivants.
Après quoi vous aurez la sensation, errant dans le quartier de Montmartre, au milieu des rues étroites pullulant d'escrocs au bonneteau, de trafiquants divers, de commerçants moroses et de touristes ébahis, de poursuivre la visite de l'exposition. Vous pensiez sortir d'un monde imaginaire. C'était une représentation fidèle de la réalité.

***
(1) Il est possible que ce lien ne fonctionne pas sur certains systèmes. Dans ce cas copiez l'adresse du lien http://artboom.info/wp-content/uploads/2011/07/Kris-Kuksi-The-Art-of-The-Macabre-6.jpg et ouvrez-le dans un nouvel onglet.
(2) Le site de Kris Kuksi est sidérant. Près de 80 sculptures photographiées en vues d'ensemble et en détails. Prévoyez des heures de contemplation. N'oubliez pas de zoomer avec la molette de la souris.
(3) Chris Mars présente sur son site une grande partie de son œuvre. Sélectionnez Paintings, puis choisissez une année et naviguez.
(4) Sont exposés Mon enterrement, Mon tombeau, Le bateau ivre et Le Magicien.