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lundi 17 avril 2023

Mais où est l'erreur ?

À qui sont ces pieds ?
 
Comme nous venons de le voir avec l’Étalon de Vitruve, célèbre dessin de Léonard de Vinci, l’art est une chose mentale, et l’artiste parfait sait dessiner des personnages aux proportions parfaites. 
Mais ça, c’est la théorie. Dans la vraie vie la plupart des peintres, et pas des plus manchots, font couramment des erreurs dans leurs anatomies. Pourtant l’enseignement classique ne lésinait pas sur le nombre d’heures que passait l’apprenti artiste à reproduire l’anatomie des modèles vivants ou de pierre, non que le corps humain fût plus difficile à dessiner que celui d’une girafe ou d’un tardigrade, mais parce que l’œil humain repère instantanément le plus petit défaut physique chez un congénère, quand il ne ferait même pas la différence entre un tardigrade au long cou et une girafe asthénique.
Or, la faiblesse de la peinture réaliste, c’est qu’à la moindre erreur, à la première infidélité envers la réalité, l’ensemble soudain sonne faux, se révèle fabriqué. Qui découvre ce type de défaut dans un tableau pourtant admiré depuis des années ne pourra plus le regarder sans trouble et maudira le peintre pour cette trahison.

Par exemple, pouvez-vous désormais regarder sans malaise l’apôtre de Caravage à la National Gallery depuis qu’on vous a charitablement signalé cette disproportion de sa main droite ?
C’est pourquoi, pour ne pas gâcher vos futurs plaisirs dans les grands musées du monde nous illustrons aujourd'hui cette leçon sur les problèmes d’anatomie par un exemple inoffensif, une badinerie de Jean-François de Troy. 

Quelle capitale dans le monde, quel musée de la province française, n’a pas son tableau de Jean-François de Troy ? Cependant il est probable qu’ils ne les exposent pas. Le Louvre en montre 2 sur 28 (et en prête 11).
Serait-il exposé qu’on le regarderait à peine, ou alors avec dédain. On a soupé de ses quelques 200 ennuyeuses scènes de mythologie grecque, romaine, chrétienne, molles et sans invention, de ses piqueniques élégants, de ses bombances d’huitres, et même de ses 11 "tableaux de mode" qui décrivent avec force soieries, fanfreluches, falbalas et porcelaines les divertissements délicats de l’aristocratie et qui eurent leur petit succès (auprès de l'aristocratie) dans les Salons des arts autour de 1730.

La maison d’enchères Christie’s vient malgré cela de dénicher un millionnaire décidé à débourser 3,6 millions de dollars pour un de ces tableaux de mode, la Partie de lecture de 1735, 65 centimètres par 82 (détail en vignette)

Alors, de votre point de vue, à qui sont les deux pieds et les mules à talon brodées qui les chaussent, au centre du tableau ?
À la lectrice, dites-vous ? Admettons. On sait que l’anatomie, comme l’inspiration, n’était pas la spécialité de De Troy.
Ne riez pas, c’est beaucoup plus fréquent que vous ne le pensez ! 
Ah non, on ne dénoncera personne, n’insistez pas.

À moins que… On pourrait inaugurer un jeu des erreurs dans la grande peinture réaliste. Dénicher les fautes de perspective, d’ombres, d’anatomie, les incohérences en tout genre…


mercredi 5 avril 2023

Le tirebouchon de Vitruve (épisode 1 de 2)

Léonard de Vinci, étude anatomique sur le vol humain
(voir le commentaire plus bas)


C’est un fait maintenant reconnu, le Dieu (ou la Nature diront les sceptiques, mais c’est la même chose) a créé la banane pour qu’elle s’adapte parfaitement au nombre de phalanges de la main de l’Homme, afin qu’il puisse la saisir fermement, rompre sans effort son extrémité dont la résistance a été soigneusement calculée (c’est une des constantes fondamentales de l’univers), et déployer harmonieusement les pans de l’épluchure autour de ses phalanges. Ce réglage fin de la banane était rendu nécessaire par la précision avec laquelle le Dieu avait ajusté les proportions de l’Homme même, son chef-d’œuvre.

En effet il y a 2500 ans le sculpteur Polyclète découvrait les proportions du corps humain idéal, confirmées 500 ans plus tard par l’architecte romain Vitruve qui en détaillera les valeurs au complet dans son traité De Architectura.
1500 ans plus tard Taccola (Mariano di Jacopo), ingénieur italien, les illustrera en dessinant l’Homme dans un carré inscrit exactement dans un cercle.
Ce que constate cette inflexible tradition, c’est que le sexe de l’Homme - ou le nombril comme on le verra pour une certaine mouvance - se trouve pile au milieu d’un carré qui s’inscrit précisément dans un cercle, et que les proportions entre les différentes parties de l’Homme, tête, buste, bras, main, doigt, et… le reste, sont très rigoureusement combinées, non seulement pour un fonctionnement optimal, mais surtout pour faire de l’Homme le centre du monde et la mesure de toute chose.

Quelques décennies plus tard, héritier de cette tradition millénaire, Léonard de Vinci, s’inspirant du dessin de Taccola et recopiant scrupuleusement les valeurs des proportions de Vitruve, faisait de tout cela un dessin ne respectant pas lesdites proportions mais appelé communément "l’Homme de Vitruve", jalousement caché aujourd’hui dans les réserves du musée de l’Académie à Venise et rendu visible seulement dans une médiocre reproduction
Mais, alors que Taccola avait dû, à la manière de Procuste, faire dépasser la tête et les pieds du carré pour les accorder au cercle, le génial inventeur toscan évita la décollation en abaissant le carré qui tombe désormais un peu au jugé dans le cercle. Néanmoins le sexe de l’Homme est toujours précisément au milieu du carré, et c’est le nombril qui vient alors se placer au centre du cercle. Ainsi, après Léonard, l’Homme aura désormais deux centres, concept original, reconnaissons-le, mais c’était l’effervescence intellectuelle de la Renaissance.

Illustration : Dans sa lancée, persuadé que l’homme fonctionne comme une machine, Léonard mettait ses théories à l’épreuve en réalisant dit-on des expériences mécaniques de vol humain assisté. Il échoua, comme d’habitude, mais inventa tout de même à cette occasion le tirebouchon, qui s’inscrit également dans un carré et à peu près dans un cercle (notre illustration originale est une reconstitution fidèle d'après les dessins du maitre dans le fameux "codex à rondelles").

Ce croquis d’un homme emboité au chaussepied dans des formes géométriques, opinion de Léonard sur le monde, deviendra inexplicablement, à partir de sa redécouverte après 300 ans, mais surtout depuis 1965, plus qu’un dessin, une icône de notre civilisation.
Inexplicablement, vraiment ?
En 1965 la société Manpower, pourvoyeuse de ressources humaines temporaires, le choisissait comme logo et en inondait la planète pour les 40 ans à venir.