Nul n'est prophète...
Au delà de la Terre, au delà de l’infini,
Je cherchais à voir le paradis et l’enfer.
Une voix solennelle m’a dit :
Le paradis et l’enfer sont en toi.
Referme ton Coran. Pense librement,
Et regarde librement le ciel et la terre.
Omar Khayyam (1048-1131), extraits des Quatrains (Robaiyat)
Elle a depuis bientôt 20 ans Fazil Say, impressionnant virtuose qui fait la renommée de l'art du piano et de son pays dans le monde entier. Comme György Cziffra ou Alexis Weissenberg en leur temps, sa technique est éblouissante, son style fantasque, et son succès considérable.
Il compose également, quantité d'oratorios et de symphonies qui réclament une exubérance d'instruments et beaucoup de résignation de la part de l'auditeur, qui a l'impression d'écouter l'accompagnement musical des pesants films de science fiction américains, comme avec les symphonies d'Anton Bruckner ou de Gustave Mahler.
Mais la Turquie est déchirée.
Car elle organise le 18 octobre une sorte de procès galiléen en miniature, contre son idole Fazil Say pour avoir insulté les valeurs de l'Islam. Trouvant en effet amusante une évocation du poète perse Khayyam, reçue par le réseau Twitter, qui comparait le paradis des musulmans à un rade pour ivrognes garni de prostituées, Fazil a commis le blasphème irréparable de retweeter le tweet. C'est à dire qu'il a transmis le court texte, d'une légère pression sur le bouton idoine de son téléphone, à ses milliers de fans suiveurs. Erreur fatale qui pourrait bien l'enfermer 18 mois dans les prisons turques, dit la loi « pénale ».
Fazil Say n'a jamais caché son athéisme.
La Turquie n'a jamais caché sa laïcité, depuis la révolution de Mustafa Kemal en 1922. Jusqu'à l'inscrire dans sa Constitution.
Mais elle la pratique de moins en moins.
Mise à jour du 21.11.2012 : le tribunal étudie le dossier de la défense. Prochaine audience le
Mise à jour du 16.04.2013 : le verdict clément, 10 mois de prison, ne sera exécuté qu'en cas de récidive dans les 5 ans. Encore un petit effort vers la civilisation...
Mise à jour du 14.11.2018 : l'affaire traine. Le jugement, confirmé en appel en 2013, annulé en 2015 par la Cour suprême, est renvoyé devant un autre tribunal et annulé définitivement en septembre 2016 alors que la presse, les instances européennes et le public éclairé réclament que le pianiste ait le droit de s'exprimer. Pendant ce temps, le pays s'enfonce doucement dans une autocratie réactionnaire, comme bon nombre d'autres pays dans le monde.