dimanche 8 septembre 2013

Légère retouche au modèle

Depuis quelques années est apparu un mode de consommation où les biens sont remplacés par des services immatériels. Vous payez un droit d'accès mensuel et ce qui était auparavant un livre, un disque, un objet que vous pouviez donner ou prêter est devenu un droit d'usage non cessible, un usufruit personnel et temporaire.
Si vous cessez un jour le paiement de vos mensualités, si l'entreprise change de politique, de tarifs, de catalogue, ou disparait, vous n'avez plus rien.
C'est le chef d'œuvre des modèles économiques, le mouvement perpétuel, la rente sans fin. C'est ainsi qu'Amazon vend ses livres numériques et Deezer ou Spotify leur musique.
Et le système semble trouver ses clients, ce qui fait des envieux.

En 1987, Thomas Knoll, étudiant à Ann Arbor (Michigan), écrivait un petit programme informatique de création et retouche d'images en noir et blanc. En 1990 il en vendait la licence à la société Adobe, et Apple le distribuait alors sur son ordinateur Macintosh, sous le nom Photoshop.

Aujourd'hui le logiciel est tant prisé pour ses riches fonctionnalités et son interface efficace, notamment pour la retouche photographique, que les écoles d'art graphique ont créé des formations dédiées et que le verbe photoshoper, signifiant retoucher numériquement (participe passé shopped en anglais), est sur le point d'entrer dans les dictionnaires.

Comme le logiciel est vendu très cher, 1000 euros ou 300 la mise à jour, Adobe est très riche. Mais après 20 ans, le logiciel sachant tout faire, il est devenu difficile d'innover assez pour maintenir un niveau de ventes régulières et contenir la concurrence qui s'améliore.

C'est pourquoi Adobe annonçait en mai 2013 que la nouvelle version, la 14ème (CC, pour Creative Cloud), serait disponible uniquement au prix d'une redevance mensuelle de 25 euros (300 par an). Le procédé équivaut, économiquement, à contraindre tous les utilisateurs à acheter la mise à jour annuelle (rarement indispensable), et aussi à bafouer l'acheteur fidèle puisque toute cessation de paiement se soldera par un arrêt immédiat du droit d'utilisation du logiciel.

Depuis lors les noms d'oiseaux les plus délicats ont fleuri sur les sites spécialisés d'Internet à l'encontre du président de la société, et on ne compte plus le nombre de commentaires indignés ou amers.
La campagne de dénigrement a probablement influencé les ventes puisque le brave commerçant vient juste de déclarer que le prix de l'abonnement bas (20$ US, 25€ en Europe) serait bientôt divisé par deux, sous certaines conditions (anciens clients).
Mais ce recul timoré ne fait pour l'instant que susciter des commentaires méfiants ou incrédules. Les utilisateurs ne seront satisfaits qu'au retour d'une version exploitable jusqu'à l'obsolescence, sans avoir à redouter les changements de tarif intempestifs et la menace de la perte instantanée d'un outil de travail.

Certains prédisent le rétablissement de l'ancien modèle avant six mois. C'est à espérer, car si le nouveau réussit à s'imposer tous les éditeurs de logiciels un peu originaux se précipiteront dans cette ouverture.
Photoshoper signifiera alors « pigeonner le client », un sens finalement assez commun et qui figure déjà dans les dictionnaires.

Mise à jour du 14 juillet 2015 : il fallait s'y attendre, le modèle scélérat a tenté Microsoft qui loue maintenant l'ensemble de ses logiciels (Excel, Word, etc) pour 69€ par an, mais n'a pas renoncé à les vendre aussi. Adobe, de son côté, a un peu réculé. La location à 143€ par an est aujourd'hui accessible sans conditions. Rappelons cependant que toutes les fonctions de Photoshop utiles aux retoucheurs photographes sont disponibles dans le logiciel Photoshop Elements vendu (et non loué) moins de 100€.

1 commentaire :

Tilia a dit…

Pour l'instant "photoshoper" n'est pas dans le dico. Par contre on y trouve le verbe corréler (jdçjdr)