lundi 11 mars 2019

Améliorons les chefs-d'œuvre (14)


Un peintre consciencieux n’est jamais pleinement satisfait de son travail. Et il n’est pas rare qu’il retouche son œuvre jusqu’au dernier moment, même après l’avoir vernie, qu’il ajoute des ombres, accentue un effet. Turner était renommé et abondamment moqué pour modifier sensiblement ses tableaux jusqu’au dernier des jours de vernissage.
Il devient alors quelquefois délicat, pour un restaurateur qui rafraichit un vernis trop obscur, de distinguer une ombre tardive, sciemment ajoutée par le peintre, de l'effet de la crasse déposée par le temps.
Il aura tendance à forcer l’amélioration parce qu’il faut bien montrer son habileté et rentabiliser le temps passé. Les effets de volume et de profondeur en souffriront.

Qui a admiré la « Jeune fille au turban - ou à la perle » de Vermeer, avant sa rénovation à la veille de la grande rétrospective à La Haye en 1996, et l’a revue plus récemment, ne peut réprimer une sensation de fraicheur, certes, mais aussi une impression de platitude. Le regard étonné de la jeune fille ne semble plus se tourner vers ce peintre hollandais oublié pendant plus de trois siècles qui l’a surprise près de parler, mais vers le spectateur moderne, à la lumière un peu crue d’un vernis encore frais.
Il y a sans doute, dans cette impression, une part de subjectivité, mais les preuves du décapage parfois exorbitant des chefs-d’œuvre ne sont pas rares.

Rappelons l’étude de Michael Daley, sur ArtWatch, où l’on voit des volumes, jusqu'à certaines pièces de tissu, disparaitre du monumental plafond de la chapelle Sixtine de Michel-Ange, dans les années 1980, sous des mains expertes, et l’innombrable cohorte de personnages bibliques transformée en un joli catalogue de mode décoré de corps athlétiques plus ou moins déshabillés et d’aplats bleus et roses.
Rappelons également ce vapeur en train de sombrer au large dans le tableau de Turner « Rockets and blue lights » et que le restaurateur a fait couler définitivement, avec tous ses passagers, en l’effaçant derrière un nuage de fumée.

Hier, le grand musée de peinture ancienne de Venise, l’Accademia, présentait fièrement le résultat de la restauration du célèbre portrait de vieille femme de Giorgione, « la vecchia ».
C’est l’occasion, au moyen d'une habile superposition d’images fournies par un article de presse admiratif, d’en comparer les effets. Et comme dans une réclame dermatologique, la différence est aveuglante (voir l'illustration animée, va-et-vient de 2 secondes).

Avant l’opération, la vieille femme souriait d’une sorte de rictus espiègle, le regard était ironique, les rides marquées.
Après l’opération, le sourire a disparu, remplacé par une béance hébétée, les yeux ne clignent plus, le visage est lisse. La grand-mère encombrante a été lavée, maquillée, bourrée de calmants, et enfermée dans un « établissement pour personne âgées dépendantes ».

Mais ne le dites pas aux restaurateurs. Froissés qu’on ait douté de leur savoir-faire, ils affirmeront qu’ils n’ont fait qu’enlever des retouches tardives ajoutées par d’autres mains. Et après tout, peut-être ont-ils raison. On finira bien par s’accoutumer à cette vision renouvelée de l’œuvre. On ne l’appellera plus « la vieille », mais « le légume ».
 

1 commentaire :

Anonyme a dit…

A quand le botox et le bec de canard ? Sachons vivre avec notre temps, que diable !

pi