vendredi 13 mars 2020

Le musée de l'avenir

Turner, le lac de Genève vu de Montreux, vers 1810, détail 
(localisation : quelque part dans une caisse dans la région de Los Angeles).

Dans une société moderne menée par l’économie libérale, le rôle des musées, très conservateurs par définition, et peu rentables, fait un peu tache. Ils ont bien du mal à se libérer de leurs habitudes méthodiques et poussiéreuses. L’objectivité, la neutralité scientifique sont de séduisantes mais inaccessibles chimères, alors laissons entrer dans les musées les grands courant populaires et lucratifs du moment, pensent certains.

Certes il y a eu des évolutions, on ne visite plus un musée sans être obligé de passer par la boutique, et la gestion des collections publiques ne peut plus se passer du soutien calculateur des grands mécènes, mais quasiment tous les musées du monde sont encore des endroits où l’on conserve, classe, étudie, apprend (et s’émerveille parfois).
Une mouvance progressiste avait bien tenté, en 2019, une nouvelle définition du musée plus inclusive, polyphonique, participative, critique, égalitaire et transparente. Mais, aurait-elle abouti, on sait bien que ce ne sont que déclarations, et que les sociétés humaines n’ont jamais réellement pratiqué les principes de leurs textes fondateurs.

Pourtant il arrive quelquefois que des Colomb, des Pizarro, des Gengis Khan ou des Napoléon, hantés par un idéal, piétinent toutes les idées reçues.
M. Govan, président du musée des Arts du comté de Los Angeles (LACMA), est de ces aventuriers téméraires sans qui notre monde ne serait pas où il en est. Et il est épaulé par P. Zumthor, architecte fameux dont B. Pitt, acteur à succès et généreux donateur, aurait déclaré qu’il « construit des moments, à partir de l'âme, pour l'âme ! ».

Tout le monde pensait que l’évacuation, à la frustrante surprise des visiteurs étrangers, de la plupart des œuvres du LACMA en 2019, notamment américaines et européennes, ne durerait que le temps, déjà trop long, de la refonte architecturale du musée, mais sous la pression d’une opposition qui s’organise le duo Govan-Zumthor a laissé filtrer un minimum d’information sur le projet muséal.
Et leur objectif est clairement de faire évoluer le musée vers une sorte de forum, de lieu de rencontre multiculturel. L’immeuble devient transparent et les espaces actuellement réservés à l’étude, la recherche et l’éducation disparaissent, ainsi que l’exposition des collections permanentes.
Les expositions, temporaires donc, ne sont plus conçues par les conservateurs du musée et ne se font plus autour de thèmes traditionnels comme les périodes, les civilisations, les matériaux, mais selon de mystérieuses affinités non précisées et par des personnalités invitées.

Alors ajoutés à la majorité des 1,5 ou 2 millions de visiteurs annuels qui écoutent les guides internationaux et pensent visiter un grand musée permanent, et aux conservateurs et experts du musée qui n’ont jamais été consultés, les plus contrariés sont les donateurs, fondations, prêteurs, qui ont jusqu’à présent fourni toute la collection du musée, qui ne sera plus exposée qu’épisodiquement et parcimonieusement.
Le plus important d’entre eux, la fondation Ahmanson, se lamente dans la presse de ne pas avoir prévu de clause de visibilité des œuvres dans l’acte de donation, et a décidé de suspendre toute acquisition (on trouve dans sa donation les noms de Chardin, Robert, Rembrandt, Honthorst, de La Tour, et un des bâtiments détruits - ou incessamment - était baptisé de son nom).

Le comté de Los Angeles, qui finance 18% du projet (et en prête 40%) et attribue toutes les autorisations, a donné en 2019 son accord pour les travaux. Dans les faits, ce sont les citoyens de Los Angeles, jamais interrogés sur le sujet, qui paieront.
Le budget du projet, aujourd’hui de 750 millions de dollars, n’est pas encore consolidé. Les travaux préparatoires à la destruction ont néanmoins commencé pour les principaux bâtiments. Tout le musée est fermé à l’exception de quelques salles. Les collections fragiles sont en caisse, probablement loin. Il n’y a presque plus rien à voir (53 œuvres aujourd'hui). Les visiteurs n’en sont pas clairement informés. Le prix du ticket d’entrée est toujours de 25 dollars.

L’avenir de la planète venant souvent de la Californie, tout est en place pour que la nouvelle définition du musée se propage bientôt, tel un virus.

Mise à jour le 21.04.2020 : Malgré le confinement général d'une Planète qui ne s'emploie plus qu'aux urgences vitales, et malgré un budget qui ne tient que par des promesses alors qu'une crise économique s'annonce, à Los Angeles, les travaux de destruction du LACMA continuent de plus belle.

2 commentaires :

Anonyme a dit…

Costar, oui, certes, mais selon vous, quel serait « désormais » le musée idéal ?
Bien à vous.
Martin-Lothar

Costar a dit…

Probablement celui qu'il a été dans ma jeunesse, un endroit au parquet fraichement ciré, qu'on parcourait avec précaution pour ne pas trop le faire craquer, des vitrines un peu poussiéreuses où se côtoyaient des choses magnifiques et effrayantes, qu'on avait rapportées de très loin et soigneusement rangées et étiquetées pour notre instruction, des grandes salles fraiches et désertes où on découvrait tout un univers dans un tableau qu'on contemplait de longues minutes...
Certainement le silence. Il me semble que c'est le silence qui faisait réapparaitre le passé, et en imprégnait tout le présent, et on comprenait alors qu'on n'était qu'un atome, et que d'autres l'avaient compris comme nous, avant nous.
Évidemment ce musée ne peut pas survivre dans un monde où le moindre service public doit être un centre de profit. Ou peut-être ce monde deviendra-t-il lui-même un musée quand le virus de la rentabilité aura rempli son office, mais il n'y aura plus personne pour en faire craquer le parquet.