Tableaux singuliers (14)
« Parrhasios, dit-on, proposa la dispute à Zeuxis. Celui-ci apporta des raisins peints avec tant de vérité que des oiseaux vinrent pour les becqueter ; l'autre apporta un rideau si naturellement représenté, que Zeuxis, fier de la sentence des oiseaux, demanda qu'on tirât enfin le rideau, pour voir le tableau. Alors, reconnaissant son illusion, il s'avoua vaincu avec une franchise modeste, attendu qu’il n'avait trompé que des oiseaux, alors que Parrhasios avait trompé un artiste, qui était Zeuxis. »
Pline l’ancien (23-79), Histoire naturelle (livre 35, sur Zeuxis, peintre au 5ème siècle avant notre ère)
Les peintres de trompe-l’œil pensent souvent que l’illusion est d’autant plus crédible que le motif peint est commun, d’où une profusion de pommes, de verres d’eau, de pinceaux, et de diverses choses banales et immobiles qui renseignent avant tout sur le contenu du grenier de l’artiste, de son atelier ou de sa cuisine.
Pour éviter l’ennui devant ces objets répétés à l'infini, quelques peintres plus subtils ajoutent à leurs assemblages des choses insolites, des rébus, ou des points de vue inattendus, dignes quelquefois des géniales inventions de Cornelius Gysbrechts.
Jacques Poirier (Paris 1928-2002), qui a longtemps été illustrateur notamment de livres pour la jeunesse, a consacré ses 20 dernières années au trompe-l’œil virtuose et ironique.
Didier Leplat lui rend hommage dans une galerie de 35 reproductions hélas trop petites pour deviner avec précision les rébus peints et en comprendre les multiples sous-entendus.
Remarquons néanmoins l’exhaustif « J’ai ce qu’il te faut », la triste « Vanité » en bien mauvais état, ou encore le « saint Sébastien » transpercé avec ce que Poirier avait sous la main.
Notant les prix (assez représentatifs) atteints la semaine dernière, en vente publique à Lyon chez De Baecque, par deux extraordinaires petits tableaux (20,5 x 16cm) de Poirier, 2800€ et 6000€ hors frais, on s’interrogera sur la rentabilité de la discipline.
Notant les prix (assez représentatifs) atteints la semaine dernière, en vente publique à Lyon chez De Baecque, par deux extraordinaires petits tableaux (20,5 x 16cm) de Poirier, 2800€ et 6000€ hors frais, on s’interrogera sur la rentabilité de la discipline.
Un trompe-l’œil de dimensions moyennes demande 400 à 500 heures de travail (plusieurs mois) d’une déraisonnable et incessante concentration.
Le tableau en illustration, le plus cher, est intitulé « Jacques Poirier s'excuse de n'avoir pas eu le temps d'exécuter le motif de ce panneau ». C’est le texte manuscrit peint sur la carte de visite peinte sur l'envers du panneau, peint lui-même sur l'endroit.
Y a-t-il plus jubilatoire ?
5 commentaires :
Génial ! Que c'est fort, que c'est drôle !
Merci pour la découverte, ça fait du bien.
Je vais me mettre en quête d'un catalogue.
pi
Bonjour Costar,
Vous comptez sans doute publier une chronique sur le tout nouveau site web du Louvre et la déception qu'il suscite. Je vous signale donc ce joli pataquès, qui augure assez mal du reste :
https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl020542746
Cordialement,
pi
Bonjour M. Pi
J'envisage effectivement un court billet le mois prochain, pas plus que ça ne mérite.
Sur cette gaffe, ne pensez-vous pas que des erreurs sont inévitables sur une base de données de 500 000 fiches constituée on ne sait trop comment à partir de nombre d'autres bases ?
Et voilà la deuxième loi de la thermodynamique en pleine action, la seule source d'une série de tableaux de Poirier visibles sur internet, le site de Didier Leplat en hommage au peintre, est devenu indisponible. Et rien ne le remplace. C'est désolant.
Hello niice post
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