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dimanche 14 novembre 2021

Les grandes questions du siècle (1)

Aujourd’hui, la réponse à la question « peut-on rire de tout ? »

Bien que Daniel Goossens ait répondu définitivement à cette question, on trouve encore des penseurs pour proposer leur point de vue, comme l'avait fait vers 1900 ce fameux philosophe français, Henri Bergson, en 55 000 mots dont aucun n’est réellement rigolo, et comme ce monsieur Boris Cyrulnik qui avance dans les médias populaires que personne ne peut rire le jour d’un enterrement, et qui l’interdit presque. C’est qu’il n’a rien retenu des films de Jacques Tati, notamment Les vacances de monsieur Hulot.


N’insistons pas et revenons à Daniel Goossens.
Auteur de bandes dessinées décapantes et désopilantes, mais scientifiques, où il se moque essentiellement des ambitions spirituelles de l’être humain (Georges et Louis écrivains, Sacré comique, Voyage au bout de la Lune, La vie d’Einstein, Laisse autant le vent emporter tout), Daniel Goossens ne respecte pas grand chose, reconnaissons-le, même pas l'intelligence artificielle, c'est dire (écoutez cet entretien de 19 minutes).
Si bien que nombreux, débordés par son art de la dérision, le qualifient d’humour absurde, comme ils l'avaient fait en leur temps des Shadoks de Jacques Rouxel, ce qui est bien pratique pour ne plus avoir à y réfléchir. 

Or voici la réponse sage et pondérée que donna un jour ce grand homme à cette grande question posée par un journaliste grandement inspiré :

« Peut-on rire de tout ? Non. Il y a des limites. La plus connue est celle de la loi de la gravitation universelle. On ne peut pas en rire. Ça ne sert à rien. La grande majorité est d'accord à ce sujet. Quelques grands penseurs y arrivent encore peut-être, mais le commun des mortels a renoncé. En fait, il faut se résigner, les sujets dont on peut rire forment une liste restreinte : les croyances, les convictions intimes, la générosité, la politesse, l'intelligence, la gentillesse et la beauté. »
(La source de cette citation immémoriale, généralement tronquée de sa dernière phrase, demeure inconnue. Toute information sera bienvenue).

samedi 20 mars 2021

Tableaux singuliers (14)

« Parrhasios, dit-on, proposa la dispute à Zeuxis. Celui-ci apporta des raisins peints avec tant de vérité que des oiseaux vinrent pour les becqueter ; l'autre apporta un rideau si naturellement représenté, que Zeuxis, fier de la sentence des oiseaux, demanda qu'on tirât enfin le rideau, pour voir le tableau. Alors, reconnaissant son illusion, il s'avoua vaincu avec une franchise modeste, attendu qu’il n'avait trompé que des oiseaux, alors que Parrhasios avait trompé un artiste, qui était Zeuxis. »
Pline l’ancien (23-79), Histoire naturelle (livre 35, sur Zeuxis, peintre au 5ème siècle avant notre ère)

Les peintres de trompe-l’œil pensent souvent que l’illusion est d’autant plus crédible que le motif peint est commun, d’où une profusion de pommes, de verres d’eau, de pinceaux, et de diverses choses banales et immobiles qui renseignent avant tout sur le contenu du grenier de l’artiste, de son atelier ou de sa cuisine.

Pour éviter l’ennui devant ces objets répétés à l'infini, quelques peintres plus subtils ajoutent à leurs assemblages des choses insolites, des rébus, ou des points de vue inattendus, dignes quelquefois des géniales inventions de Cornelius Gysbrechts.


Jacques Poirier (Paris 1928-2002), qui a longtemps été illustrateur notamment de livres pour la jeunesse, a consacré ses 20 dernières années au trompe-l’œil virtuose et ironique.
Didier Leplat lui rend hommage dans une galerie de 35 reproductions hélas trop petites pour deviner avec précision les rébus peints et en comprendre les multiples sous-entendus.
Remarquons néanmoins l’exhaustif « J’ai ce qu’il te faut », la triste « Vanité » en bien mauvais état, ou encore le « saint Sébastien » transpercé avec ce que Poirier avait sous la main.

Notant les prix (assez représentatifs) atteints la semaine dernière, en vente publique à Lyon chez De Baecque, par deux extraordinaires petits tableaux (20,5 x 16cm) de Poirier, 2800€ et 6000€ hors frais, on s’interrogera sur la rentabilité de la discipline. 
Un trompe-l’œil de dimensions moyennes demande 400 à 500 heures de travail (plusieurs mois) d’une déraisonnable et incessante concentration.    
 
Le tableau en illustration, le plus cher, est intitulé « Jacques Poirier s'excuse de n'avoir pas eu le temps d'exécuter le motif de ce panneau ». C’est le texte manuscrit peint sur la carte de visite peinte sur l'envers du panneau, peint lui-même sur l'endroit.
Y a-t-il plus jubilatoire ?

dimanche 25 décembre 2016

Un mendiant à l’hôtel de la Monnaie

Maurizio Cattelan - Lui, exposé dans l'hôtel de la Monnaie, Paris décembre 2016.

Qu’est-ce qui peut séduire dans une œuvre de Maurizio Cattelan ?

L’incongruité des situations ? Comme dans les tableaux de Magritte, l’apparition d’un objet ou d’une scène imprévus dans un environnement inadéquat. Sans compter le titre sibyllin, voire absent, qui n'éclaircit pas l'énigme.
Et on ne sait pas clairement si le plaisir est causé par ce surgissement d’une invraisemblance dans une réalité palpable, un peu comme un trait d’humour, ou par le rassurant retour à l’équilibre de la raison qui a tôt fait de se forger une interprétation personnelle.

Mais les blagues trop souvent répétés finissent par lasser. La surprise s’évente. Et la provocation perd tout sens quand elle est encensée par les institutions qu’elle pensait railler. Elle devient une complaisante taquinerie. On en parle dans les cocktails officiels et les inaugurations. On écrit à l’occasion un petit opuscule opportun où on aligne des banalités prononcées par l'artiste. Sa cote s'en ressentira à la hausse.

Maurizio Cattelan, hôtel de la Monnaie, Paris décembre 2016.

La Monnaie de Paris, la plus vieille institution française et qui frappe la monnaie depuis 12 siècles vient de consacrer quelques lambris de l’hôtel de la Monnaie du quai Conti à une petite rétrospective des œuvres de Maurizio Cattelan.

Et cette accumulation de 17 œuvres laisse finalement le spectateur indifférent, une fois sa curiosité satisfaite.
Le sujet le plus touchant est peut-être ce clochard sans domicile caché dans une vieille couverture dans une petite pièce un peu en retrait.

Maurizio Cattelan, hôtel de la Monnaie, Paris décembre 2016.

Car les œuvres de Cattelan ne sont réjouissantes et impressionnantes qu'inopinément, quand on les découvre par hasard, comme à Rotterdam, au détour d’une visite du musée Boijmans, dans la salle consacrée aux peintres paysagistes du 19ème siècle, quand on remarque au milieu de la pièce une effigie de Cattelan qui a percé dans le plancher un trou entre deux étages du musée et regarde innocemment les visiteurs, comme une bonne plaisanterie.

Maurizio Cattelan, hôtel de la Monnaie, Paris décembre 2016.