mardi 26 mars 2024

La vie des cimetières (112)

Malaga, cimetière anglican. Sur une tombe abandonnée de longue date, l'épitaphe nous renseigne "Il n'est pas perdu, il nous a devancés". 


Où vont les morts ? Que deviennent-ils une fois rangés dans ces boites enfouies sous la terre ?

Nombreux se posent encore la question. Beaucoup ont la réponse. Pour certains, les morts vivraient à nouveau, mais dans un autre monde, un autre état du monde, une autre dimension. Pour d’autres, les cimetières ne seraient que les lieux de passage où s’effectuent les formalités de la décomposition, plus ou moins longue en fonction des capacités du sujet à résister aux bactéries et aux insectes.

Soit. On aimerait alors des preuves, des chiffres.
Dans les cas de doute toute personne sensée se tourne vers la méthode scientifique. 

Or David Elbaz est un astrophysicien qui écrit des livres de popularisation scientifique, et dans un beau livre écrit en 2021, "La plus belle ruse de la lumière", il présente, parmi les grands thèmes de la science, les chiffres de la disparition de chaque être humain.
On peut lui faire confiance, car son livre traite des questions les plus fondamentales, jugez-en à son sous-titre "Et si l'univers avait un sens…", les points de suspension suggérant qu’il en sait un bout sur la question et qu’il va nous le révéler… si on achète son livre.

Et on y apprend en effet que lorsqu’on meurt, les atomes de matière qui nous constituent, au nombre impensable de 3,6 fois 10 puissance 28 nucléons (protons ou neutrons), tous quasiment éternels, retournent dans le désordre à la nature d’où ils viennent, et participeront à la constitution d’autres organismes à venir à la surface de la Terre, dans une proportion de 10 millions de nucléons par organisme. C’est le facteur de dilution précise l’astrophysicien, sûr de ses calculs. 
Ainsi chacun de nous contiendrait 10 millions de nucléons ayant appartenu à Platon. Oui, c’est désagréable, convenons-en, mais on se consolera en pensant qu’ils sont délayés parmi les nucléons de Lucrèce, de Spinoza ou plus récemment de Clément Rosset, si ces derniers ont eu le temps de parvenir jusqu’à nous.
M. Elbaz quant à lui préfère penser aux 10 millions de nucléons hérités du corps de Cléopâtre, mais au risque de rafraichir son enthousiasme sensuel, ça ne représente jamais que le cent-mille-milliardième d’un grain de sable.

On sait par ailleurs, par l’encyclopédie Wikipedia, qu’auraient vécu approximativement 100 milliards d’être humains (sapiens) depuis les débuts de l’humanité, dont 8 milliards précisément sont encore vivants. Parmi les 92 milliards disparus, si on estime à 12 milliards - sans avoir aucune idée de la façon de les calculer - ceux en cours de décomposition dont les nucléons ne nous sont pas encore parvenus, il resterait 80 milliards d’individus parfaitement recyclés. 
Ainsi - en appliquant le taux de dilution de M. Elbaz - chacun de nous, vivants, hébergerait 10 millions de nucléons de chacun des 80 milliards d’anciens humains, soit deux cent-milliardièmes de l’ensemble de nos atomes, ou pour être plus clair environ le millième d’un grain de sable.
 
C’est vertigineux, non ?
On voulait des preuves chiffrées et la science les avait !

Le livre de M. Elbaz débute par une belle anecdote, une parabole. 
Dans le bois qu'il traverse pour aller au bureau, l’auteur voit tomber une feuille morte qui s’immobilise soudainement dans l’air, sans atteindre le sol. On sent alors le savant attiré vers l'irrationnel, au bord de la tentation mystique. Mais on l'attend pour une réunion. Il ne succombe pas et change seulement d’angle de vue.
La feuille était posée sur une toile d’araignée presque invisible.


Londres, aigrettes de pissenlit (dandelion) au cimetière d'Abney park. On pense fatalement aux pissenlits que les morts mangent par la racine dans la chanson de Ricet Barrier.

4 commentaires :

Lothar a dit…

Vos balades (ballades ?) « quantiques » des cimetières me ravissent toujours. Elles sont labyrinthiques et instructives telle la barbe du Père-Lachaise.
Merci de m’avoir mis sur les traces (mânes ?) de Clément Rosset et de (son réel double ?) David Elbaz dont les calculs « neutroniques » me paraissent plus sérieux et exacts que les équations « alalouchiques » des démographes de mademoiselle Wikipédia qui oublient cruellement tous « les marins ». Ils sont en effet une population à dénombrer en sus des vivants et des morts, comme le préconisait Anacharsis, un des douze sages de l’Antiquité, non mais ho !
Cela étant et compte tenu des conseils de Elbaz, je ferai attention à l’avenir de ne pas mettre Cléopâtre à la poubelle après avoir passé — en non-sens de l’univers — l’aspirateur dans ma tanière.
De plus, je vais préparer un voyage pour aller manger une salade de pissenlits dans le cimetière auvergnat d’Ambert.
Désolé pour ce long commentaire, mais, avouez-le, c’est bien de votre faute.
Bien à vous,
GJG

Costar a dit…

Sur la relativité des décomptes de mademoiselle Wiki, qui seraient douteux parce qu’il faudrait compter comme morts tous les marins encore vivants, en bon disciple du prétendu Anacharsis, je vous rappelle qu’il subsiste de sérieux doutes sur l’existence même du personnage d’Anacharsis, qui n’existe que dans les citations douteuses de Laërce, de Strabon ou de Lucien, eux-mêmes de sacrés bonimenteurs.
Et cela dit, cette doctrine aurait-elle un sens qu’elle ne ferait pas, au total, augmenter le nombre de morts de l’antiquité, à moins qu’on fasse mourir chaque marin deux fois, trois fois, 1000 fois, comme la pauvre bête de Schrödinger, mais on s’éloigne là du domaine de la science, qui est la mission essentielle de Ce Glob, malgré tout.

Et à propos de Rosset, dont j’ai presque tout lu ou entendu, je ne suis jamais parvenu à trouver une version numérique de son livre fondateur, "Le réel et son double". C’est cocasse. Si vous savez où trouver cette rareté en version numérique, Gougueule, déesse de la néguentropie, vous submergera de bienfaits.

À Ambert vous saluerez un vieil ami pour moi.

Lothar a dit…

Je savais bien que vous alliez déterrer l’autre Grand Alexandre…
Mais je pensais aussi à un de ses « vieux et bons amis » qui toute sa vie fut très près de sa terre d’Auvergne qui l’a finalement enseveli à Ambert après un mauvais coup de francisque asséné par un « trop vieux Clovis » de banlieue. Mauvais coup qui n’a du reste pas gêné la carrière de certains autres.
Mais bon, « fais ce que voudras et surtout, ce que — pourras » a peut-être dit cet ami d’Alexandre à un autre « Laval » que celui de l’épitaphe en exergue de votre billet. (Ne jamais mélanger Pierre et Paul aura sans doute dit aussi Saint-Jean à Judas et Ponce Pilate enfin réunis).
Érudit que vous êtes, vous avez certainement deviné à quelle âme damnée je pense, mais qui « en rit en corps ? ».
Cela étant, je ne vous en veux pas d’avoir insulté ce pauvre Anacharsis et tous les marins du monde dans la même galère de l’oubli.
Mais je n’en démords pas : vos démographes wiki-pédants sont des charlatans incultes, na !
Quant au Graal gougueulien dont vous me chargez, d’emblée je jette l’éponge du temps : tel Hercule, j’ai des écuries ou plutôt des bibliothèques remplies de mille et un livres-papier que je voudrais bien lire ou relire avant une dernière balade dans le cimetière de Nonretour.
Désolé.
Joyeuses Pâques à vous et tous les vôtres.
GJG

Costar a dit…

Ah, vous voulez parler de ce petit écrivain régional
?
Bon, allez, je plaisantai.

Quant à tout ce que peut apporter le livre numérique - sans rien enlever au papier - vous ne l'imaginez peut-être pas. J'y reviendrai un jour dans une chronique, sans doute.