Ce monde est disparu (12)
Francis Silva est un peintre américain qui embarrasse les critiques et les maisons de vente qui ne savent pas que dire de lui. Il a laissé peu de traces autres que ses tableaux.
Plus ou moins autodidacte, il n'a pas été impressionné par les courants de peinture de son temps. Il sillonnait, pour y trouver ses motifs, la côte nord-est des États-Unis, de Cape Ann, près de Gloucester - où il a peut-être vu des toiles de Fitz Lane qui venait d’y mourir - à Long Branch, au sud de New York, où il mourut à son tour en 1886.
Seule période de sa vie un peu documentée, on sait qu’il s’était enrôlé dans l’infanterie contre les sudistes dans la guerre de sécession de 1861 à 1865, et avait participé à des évènements relatés dans les livres d’histoire, si bien que les commentateurs espéraient des tableaux héroïques, des illustrations de première main pour une biographie exemplaire. Hélas après la guerre civile Silva n’a peint que des paysages marins calmes, limpides, horizontaux. Parfois les restes d’une épave étaient poussés mollement par la marée, rien de plus.
Alors on trouve dans les essais sur Silva des avertissements du genre "il n’existe aucune preuve que Silva ait eu des conceptions luministes de son art", suivis évidemment d'un long chapitre, justement, sur le luminisme dans la peinture de l’école de l’Hudson river (les métiers de la plume sont souvent payés au nombre de caractères).
Parmi les 110 chefs-d'œuvre de la peinture américaine de 1760 à 1910 exposés à Paris en 1984 - les États-Unis s’étaient séparés pendant 6 mois de leurs principaux chefs-d’œuvre - imaginez l’impensable, le Louvre prêtant simultanément ses plus beaux La Tour, Chardin, Ingres, Watteau - parmi ces 110 chefs-d’œuvre américains donc, il n’y avait pas de tableau de Silva.
C’était il y a 40 ans. Aujourd’hui Silva reste peu connu, et moyennement apprécié, comme dans l’essai cité plus haut où on le dit "artiste charmant mais dépassé… un peintre qui exploitait ses talents au mieux de ses capacités… et même s’il ne rejoindra jamais les anciens, il témoigne de notre époque démocratique". Pour le dire autrement, il a fait de son mieux, il est au moins la preuve que dans notre pays on peut venir de rien et parvenir à faire l'objet d'une étude verbeuse de 41191 caractères dont 6901 invisibles.
Ça n’est pas très charitable. Il est vrai qu’on peut finir par s’ennuyer devant trop de Silva.
2 commentaires :
Foutredieu ! Quelle habile fixation du mouvement ! Fouchtra ! Mais quelle lumière ! C’est impressionnant (mais hélas, pas impressionniste, disent-ils… Little boxes, little boxes, comme chantait l’Autre !).
Bon il est vrai qu’au sortir d’une guerre à la con (de sécession ou de 14) on aurait plus envie de peindre de banals nuages et des écumes lumineuses à sa mé-mer que de nouveaux « canons » à la mode révolutionnaire et (west) point encore académiques ni trop cher(if).
…
Une candide question, Costar : je me demande souvent — peut-être à tort (d?) — pourquoi les lumières et les couleurs des peintres américains de cette époque sont si particulières et plutôt si « détonnantes » par rapport à celles des Européens (de tout temps). Cela tiendrait aux pigments, aux huiles, aux supports, à leurs techniques (glacis, process, vernis, conservation, etc.) ou tout « bêtement » à un œil neuf & darwinien ?
J'avais écrit, le 9 mai 2022, dans la chronique en lien sur Fitz Lane "On objectera que leurs paysages sont trop grandioses parfois, au point que, pour ne pas souffrir de la comparaison, leur cinéma inventera dans la foulée le procédé Technicolor.
Mais c’est parce que leur pays est colossal, cascades, geysers, cyclones, concrétions, déserts, tout y est démesuré ! Tandis que sur la plage de Trouville, on mâchonne des œufs durs en regardant Eugène Boudin poser ses petites touches rouges et bleues sur un fond gris, les pieds pataugeant dans le sable de la Manche."
C'est une réponse plausible à votre question. J'ajouterai que c'est aussi le siècle où ils découvrent réellement ce monde démesuré (dont ils s'empressent de nettoyer les autochtones).
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