jeudi 9 octobre 2025

Dans le coffre-fort du musée de Bâle (1 de ?)

Barth, Théodore - Autoportraits aux boules de verre
1944, 56x61 cm, Bâle Kunstmuseum Inv. "G 1977.6"
Peintre suisse habituellement conventionnel, plat et ennuyeux.

Supposez que nous suivions un promeneur sur internet, un quidam, qui aurait pu aussi bien être une promeneuse, mais suivre une passante inconnue, même sur internet, risque d'être mal interprété. 

Notre flâneur se dirige vers le site du musée des arts de Bâle (Basel Kunstmuseum), établissement réputé en Suisse, dans l’encoignure de l’Allemagne et la France.


On le voit pousser une porte, et son visage ébauche une grimace ; il se trouve dans un vaste hall accueillant, moderne, fantaisiste, mais incompréhensible, constellé de choses clignotant pour attirer son attention, alors qu'il ne souhaite que se balader paisiblement dans les pages d'exposition de la collection de peintures du musée, dont on lui a dit le plus grand bien. 

Pour ne pas perdre trop de temps nous tairons le laborieux épisode de sa recherche du mot Collection (Sammlung). Il aura surtout rencontré, presque à chaque page, des panneaux publicitaires au sigle d'UBS (première banque de gestion de fortune au monde, trempée dans les grandes fraudes bancaires du siècle, mais épongée par des amies), et il aura finalement trouvé la fameuse collection après d’infinis détours ; elle était exactement ici.


Mais sur la page, pas d'image ; une sinistre ligne des lettres de l’alphabet suivie d’une liste nue des 25 noms de peintres qui commencent par A jusqu’à AG…, et un petit compteur ironique qui sous-entend que la présente page est suivie de 142 autres, qu’il faudra faire défiler au moyen d’une petite flèche insaisissable.


Notre promeneur est déçu, mais ne renonce pas ; il sait que le musée possède une riche série de tableaux de Hans Holbein le jeune ; alors il appuie hardiment sur la lettre H et fait défiler 6 pages pour atteindre les noms en Ho… 

La première page (sur un total de 20) des œuvres de Holbein fils affiche alors 25 vignettes lilliputiennes de 120 pixels, illisibles. Téméraire, notre explorateur appuie sur la minuscule vignette plate du fameux Christ mort (Der Tote Christus). La page qui s’affiche alors apporte des informations sur l’œuvre et s’orne cette fois d’une petite vignette de 250 pixels. On progresse, se dit notre aventurier, optimiste. 

Il pressent que sa quête sera bientôt récompensée, et presse avec fougue la petite vignette. Une fenêtre surgit qui agrandit nettement l'image du tableau ; elle mesure maintenant 600 pixels, à peine. À ce taux d'expansion - se dit notre héros - il faudra 10 ou 15 étapes avant d’obtenir une reproduction acceptable, comme dans les poupées russes.


Alors las il renonce, tourne le dos, sort du musée, constate que sa façade, dans la réalité, est celle d’un coffre-fort, s’assoit sur un banc au bord du Rhin tout proche, et médite sur la malédiction des musées suisses, qui ne peuvent s'empêcher de dissimuler leurs richesses. 


Notre promeneur n'était qu'un philosophe. Nous aurions plutôt dû suivre un malfaiteur. Dégourdi, il aurait cherché à passer par les caves de l’établissement. Il aurait remarqué au fond de la page descriptive de chaque œuvre une flèche, comme une indication pour y descendre, et aurait découvert au fond d’une page décourageante, après avoir résolu deux énigmes enfantines (les solutions sont "original" et "download for other usage"), le trésor tant convoité : une magnifique reproduction, d’une dimension insensée (24166 × 3596 pixels et 45 mégaoctets), téléchargée automatiquement dans sa musette. Un butin certes un peu lourd mais aisément monnayable sur n’importe quel site sans moralité, comme Ce Blog est Plat.  


Ainsi la chronique d’aujourd’hui présente ci-dessous quelques curiosités, raretés dénichées un peu au hasard dans les souterrains du musée par notre gredin hypothétique. D’autres livraisons suivront, dans quelque temps pour ne pas attirer l’attention des autorités.






Pour d’obscures motifs de secret des affaires les liens vers les pages de chaque tableau ne fonctionnent pas. Pour consulter leur fiche et télécharger une reproduction de qualité il vous faudra remonter à la liste des peintres et exécuter toute la procédure décrite plus haut, ou plus simplement copier le numéro d’inventaire "entre guillemets" et le coller dans la dernière case (Inventar Nr.) de cette page mystérieuse (Suche).


Liste des œuvres reproduites ci-dessus :


Scholz, Georges - Petite ville allemande la nuit, 1923, 100x75cm "G 2010.11


Steenwyck, Harmen
, Nature morte au crâne couvert avec une flute entre les dents, Huile sur bois de chêne, 20x26cm "1373"


Füssli, Johann Heinrich, Ondine reçue chez le couple de pêcheurs, 1821, 63,5x76,4cm "1895"


Birmann, Samuel - Cascade en montagne, 1829, Crayon, stylo, aquarelle, 53,7x43,5cm "Bi.504.17". Que fait le minuscule personnage au centre ?

 

Giron, Charles, Jeunes filles valaisannes avant l’église, 1897, 159x89cm "248"


Stükelberg, Ernst, La tombe, 1891, 86x100cm "602". Hommage discret et original peint à la mort de la sœur du peintre. Le commentaire précise que sa plaque funéraire (donc sa tombe) est en réalité sur le mur du cimetière, au fond, près de la plaque de leur mère.


mercredi 1 octobre 2025

Ce monde est disparu (21)

Le château d'Amboise, d'après William Turner, gravé par WR Smith en 1833 (Tate Gallery)

Le plus grand génie de tous les temps a peut-être été Léonard de Vinci. Beaucoup l'imaginent. Il faut bien admettre que sans lui l’humanité n’aurait jamais connu le sfumato, l’écriture spéculaire, la machine à tailler les limes et peut-être même la ville d’Amboise, puisque c’est dans cette riante localité des bords de Loire que le pronostic vital de l’illustre toscan devenait inutile, le 2 mai 1519. On l’ensevelit dans la collégiale du château.

Trois siècles plus tard, entre 1826 et 1833, le long des rives de la Loire, de Nantes à Orléans, le peintre William Turner esquissait au crayon et à l’aquarelle ses impressions de voyage, qui seront gravées en 1833 dans le recueil Wanderings by the Loire. Sa sensibilité émotive, romantique diront certains, avait exalté sa vision de ces rivages indolents, notamment dans sa vue du château d’Amboise (ill. plus haut), qui impressionnera fort John Ruskin. 
Car si Turner, canotant au pied du château d’Amboise, s’est un peu laissé aller à doubler l’altitude réelle de l’édifice, Ruskin, héritier de riches marchands d’alcool, écrivain, théoricien, chrétien, professeur, graphiste, aquarelliste parcimonieux, critique d’art, dilettante, mécène, puritain, passionné d’architecture, romantique et défenseur des préraphaélites, et de Turner à qui il acheta nombre d’aquarelles et dont il sera l’exécuteur testamentaire, bref Ruskin, grand voyageur également, suivant au début de la décennie 1840 certains itinéraires de Turner, représentera le même château en doublant, voire triplant l’altitude du monument déjà doublée par Turner et le diamètre de la Lune ; sur son aquarelle (ill. plus bas) on s’attend à voir surgir de l’horizon à tout moment une horde chevauchante de walkyries bavaroises surarmées, accompagnées de la tonitruante musique appropriée. 

20 ans plus tard, en 1863, Arsène Houssaye, écrivain, homme de presse, inspecteur général des beaux-arts, entreprendra des fouilles au château dans l’intention de retrouver les restes de Léonard généreusement éparpillés en 1808 par les grands travaux du sénateur Ducos. Évidemment il les découvrira. On discute encore la rigueur de sa démarche, et rien n’assure que les restes rassemblés aujourd'hui dans la chapelle Saint-Hubert, au faite de ce promontoire qui pour Ruskin tutoyait les nuages, sont bien ceux de Léonard. Qu'importe, chaque époque a la vérité qu'elle se confectionne.

Eh bien cette jolie aquarelle d'un château d'Amboise irréel, d’un pâle indigo, haute de 44 centimètres, vient d’être moyennement appréciée dans une vente chez Christie’s en juillet à Londres. Elle a disparu du bout des lèvres, en dessous de l’estimation basse, mais tout de même contre 34 000$, après conversion. 



Le château d'Amboise, aquarelle de John Ruskin, vers 1841
(marché de l'art 2025)