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samedi 3 novembre 2018

Le catalogue de Rotari

En 1787, à Vienne en Autriche, Lorenzo da Ponte, prêtre défroqué, aventurier et ancien camarade de jeu de Casanova à Venise, devenu « poète impérial » de Joseph 2, écrivait avec Mozart le livret de Don Giovanni. Les paroles de l’air du catalogue, vers le début de l’opéra, font le décompte de toutes les femmes séduites par Don Juan. Le cumul fait exactement 2065.
Da Ponte connaissait-il les portraits « typiques » peints par Pietro Antonio Rotari pour les cours européennes 20 à 30 ans plus tôt, portraits figurant des jeunes femmes idéalisées portant des costumes traditionnels et que Rotari appelait ses « passions » ?


Rotari est né en Italie en 1707. Des origines privilégiées, une solide formation à Vérone, Venise, Rome et Naples, et une inspiration timorée, lui font obtenir quelques commandes prestigieuses de cardinaux, d’églises, de la reine de Suède, et ainsi une renommée suffisante pour ouvrir une académie de peinture à Vérone en 1735.

En 1750, il est invité à la cour de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, à Vienne, pour y peindre des sujets mythologiques et des portraits.
Et comme toutes les cours européennes se disputent alors peintres et architectes pour singer les fastueux gaspillages de la cour de Versailles, il exerce aussi à Munich puis à Dresde, et enfin à Saint-Pétersbourg en 1756, réclamé par l’impératrice Élisabeth, fille de Pierre le grand.

Il y meurt en 1762, six mois après l’impératrice. En 6 ans, aidé d'assistants, il aura portraituré toute la cour de Russie et peint des centaines de ses passions en costume russe.
Ces portraits étaient une telle coqueluche qu’en 1764 la nouvelle impératrice de Russie, la grande Catherine 2, achetait tout le contenu de l’atelier du peintre à la veuve de Rotari (moins de 50 roubles le tableau).
Et peu de temps après, l’architecte Vallin de La Mothe, au cœur du monumental palais « versaillais » de Peterhof près de Saint-Pétersbourg, transformait la vaste salle des peintures, entre les deux salons chinois, en salle des portraits, en la tapissant de 368 passions de Rotari, exposées l’une contre l’autre comme une mosaïque.


On dit que les « passions » sont sans nombre parce qu’elles représenteraient la palette infinie des sentiments exprimés par un visage. Mais Rotari était manifestement plus obsédé par la sensualité que par le naturalisme.

À l’image, en France, de la cour de Louis 15 dont le sentimentalisme libertin avait réclamé à Watteau, Lancret ou Pater, des représentations de « fêtes galantes », les cours de l’Europe centrale ont raffolé de ces visages de jeunes femmes (essentiellement), empreints de douceur et de mollesse, dont le regard exprimait surtout l’innocence feinte et un abandon calculé.


La mode en est passée. Il est difficile de voir ces passions, de nos jours. Comme s’ils en avaient honte, les rares musées qui en détiennent ne les exposent pas.
Le Rijksmuseum d’Amsterdam en a deux, la National Gallery of Art de Washington, trois, l’Alte pinakothek de Munich, six, le Norton Simon museum de Pasadena en Californie, huit. Aucune n’est exposée en permanence. Le musée de Dresde qui possède plus d’une vingtaine de Rotari (dont des portraits d’homme et de la noblesse) en expose peut-être quelques-uns, peut-être les portraits royaux. Le site ne le précise pas.

Les 368 passions de Peterhof ont été invisibles durant des décennies. Vidé avant l’invasion d’Hitler et son armée en 1941, bombardé par Staline qui ne voulait pas qu’un fou sanguinaire autre que lui-même y festoie, le palais, encore en restauration, ne ressemble que depuis peu au Peterhof de La Mothe.

La salle des Rotari, reconstituée, est seulement visible depuis 2013.
 


On raconte qu’il y aurait encore, dans la région de Saint-Pétersbourg, 22 passions dans le palais chinois d’Oranienbaum, et d'autres dans le palais Gatchina, et peut-être un « salon Rotari », très loin, à Arkhangelsk, sous les brouillards glacés où vont se perdre tous les déshérités, où la créature monstrueuse de Mary Shelley s’est évanouie, un jour de septembre 17…

   

dimanche 26 août 2012

Schnackenberg, biographie

Walter Schnackenberg, affichiste, décorateur, graphiste

2 mai 1880, Bad Lauterberg, Basse-Saxe, Allemagne 
10 janvier 1961, Rosenheim, Haute-Bavière, Allemagne

La renommée tient à peu de choses. Walter Schnackenberg portait un nom qu'on ne peut écrire sans erreur, ni mémoriser aisément. Il était cependant, de 1910 à la montée du Nazisme, une personnalité connue dans le milieu culturel et mondain de Munich qui irradiait alors toute l'Europe artistique, après les Sécessions de 1892 et de 1900, naissances de l'Art Nouveau (Jugendstil) et de l'abstraction.

Il y a deux périodes dans l'art de Schnackenberg. Avant la 2ème guerre c'est un graphiste brillant, admirateur de Toulouse-Lautrec, qui déploie avec talent un style sinueux et décoratif. Affiches, costumes et décors de théâtre. Il dessine aussi parfois dans des publications comme la célébrissime revue satirique Simplicissimus, où il rencontre certainement George Grosz et Alfred Kubin, sans que leur forte personnalité sombre et sarcastique ne le détourne alors de ses dispositions à la frivolité. 

Après la guerre, Schnackenberg a 65 ans. La Belle Époque est loin. Un miteux aquarelliste autrichien qui s'est métamorphosé en despote bavarois puis en tyran sanguinaire a détruit l'Europe entière. Les dessins de Schnackenberg ne seront plus comme avant. Ses personnages aux lignes souples, dynamiques et équilibrées qui avaient peuplé les affiches et les boulevards se transforment en chimères molles et vaguement humaines, en spectres qui se tortillent dans des décors instables, sur de grandes feuilles peintes à l'encre et à l'aquarelle. On y sent, après tant d'années, l'empreinte irréelle et macabre d'Alfred Kubin

Mosaïque de dessins à la plume et l'aquarelle, faits par Walter Schnackenberg entre 1947 et 1961.

Un descendant de Schnackenberg a créé récemment un site dédié à sa mémoire, en allemand, mal organisé et pauvre en images.
On ne trouve de reproductions acceptables sur internet que dans le blog 50 Watts (anciennement A journey round my skull), alimenté par un fou de littérature, de livres et d'illustrations, fouilleur de brocantes et de sites spécialisés.

Parfois quelques originaux arrivent en salle des ventes, peut-être cinq ou six par an, essentiellement en Allemagne, un peu en Suisse ou à Londres, fréquemment invendus semble-t-il, malgré des estimations de prix relativement modestes (5000 euros en 2006 pour une extraordinaire aquarelle comme celles qui sont assemblées dans l'illustration).
Chacun sait que c'est la renommée de l'artiste, plus que la qualité objective de son œuvre, qui fait sa valeur marchande.
Et Schnackenberg est à peu près inconnu.