La Bruyère avait raison
Un contemporain distrait ou pressé qui découvre l'histoire de l'art dans les livres ou les musées aura l'impression que l'ordre de présentation des œuvres ou des écoles, généralement chronologique, sous-entend une idée d'évolution, voire de progrès. Il pensera que la représentation de la réalité, longtemps réduite à la figuration monumentale de divinités hiératiques et figées, s'est peu à peu libérée, à partir de la renaissance, et que le génie humain, avec l'aide de la démocratie et de l'électricité, aura su lui insuffler le mouvement, jusqu'à l'apogée que représente l'impressionnisme, ses nuages, ses petites fleurs et ses papillons colorés (le siècle d'abstraction conceptuelle qui suit étant une péripétie négligeable).
Et persévérant, au gré des musées, il découvrira d'autres réalisations humaines surprenantes qu'il aurait datées par erreur, à la modernité de leur style, d'une époque proche de la nôtre.
La Bataille d'Alexandre et Darius, monumentale mosaïque découverte en 1831 aux pieds du Vésuve à Pompéi, dans la maison du faune, fait partie de ces œuvres immémoriales «miraculeusement» conservées dont la contemplation nous encourage à cesser d'échafauder de grandes idées sur le genre humain, et à simplement admirer ce qu'il lui arrive de réaliser.Les spécialistes disent qu'elle représente la bataille du roi grec Alexandre 3 contre le roi perse Darius 3, à Issos (ou Issus) en 333 avant notre ère. Elle mesure 6m x 3m, contient 1 à 2 millions de pièces, daterait de -100 et serait la copie en mosaïque d'une célèbre peinture grecque de Philoxène d'Érétrie. Les avis semblent encore diverger sur la bataille représentée et sur la date de réalisation. Peu importe, inutile de s'attarder sur l'anecdote, illustration complaisante et romancée d'un des épisodes de l'immense et lucrative campagne de pillage de l'Orient conduite en quelques années par Alexandre.
En voici quelques détails impressionnants, fraîchement photographiés.
Lui, c'est Darius, le roi des méchants, sur son char, prenant la fuite. Malgré les lances qui le protègent, on le sent inquiet, même suppliant, semblant dire à Alexandre "Allez, on se serre la main, c'était juste pour rigoler".
On trouvera peu, par la suite dans l'histoire de l'art, de représentations de batailles d'une telle énergie et d'une telle lisibilité.
Il y a des moments où la première phrase des Caractères de La Bruyère vient naturellement à l'esprit : «Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent».
Mise à jour du 1.04.2025 : Lors de la restauration de 2022-2025, les experts mosaïstes du parc de Pompéi ont déclaré que la mosaïque avait été créée pour être observée de haut, puis exposée verticalement en 1916 pour s'adapter au musée, mais qu'elle reprendra sa position de mosaïque au sol quand elle sera exposée à nouveau mi-2025.




















2 commentaires :
C'est fou, j'avais pas réalisé jusqu'à présent qu'elle était au sol.
Moi non plus. D'autant que la visite d'Herculanum et de Pompéi a tendance à nous conforter dans cette impression puisque les rares mosaïques de couleurs et de qualité restantes y sont verticales. Les autres, plus utilitaires pour signaler le métier du propriétaire ou un chien méchant sont monochromes et horizontales. L'impression est peut être faussée parce que les mosaïques les plus précieuses ont été récupérées par Naples et sont présentées verticales. L'explication serait-elle que la mosaïque était en réfection (disent les spécialistes) après le tremblement de terre de 62. Aurait-elle été déposée pour faciliter les travaux (notamment de séchage) et surprise horizontale au moment de l'ensevelissement? Ça me semble plausible. À confirmer.
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