Clichés en solde
Connaissez-vous une planète où les montagnes flottent mollement en altitude (1), la forêt grouille de jolies lampes de chevet ouvragées et de guirlandes multicolores comme dans les grands magasins, envahie de nonchalants moustiques luminescents que de grands poissons dégingandés (qui parlent, évidemment) appellent «les âmes de l'arbre sacré» ?
Ces maquereaux bipèdes et arboricoles, coiffés et peints à l'iroquoise, refusent que leur monde enchanté soit transformé en bois de chauffage par de méchants étrangers exploiteurs et sans âme, qui convoitent leurs ressources naturelles.
Démunis, ils dorment dans les arbres mais cultivent une puissante vie intérieure, faite de rituels primitifs et de cantiques psalmodiés dans une unanimité extatique. Et ils s'obstinent à empêcher la fin de leur culture à grands coups d'arcs et de flèches. Cela rappellera quelque chose aux amateurs de cinéma yankee, même si, pour égarer l'observateur perspicace, les félins en caoutchouc et les chevaux de bois domestiques ont été dotés de six pattes incommodes au lieu de quatre.

En bons sauvages, les maquereaux fusionnent avec la nature, par des moyens qui ne peuvent pas être décrits dans un blog destiné au grand public. Mais cette osmose a des limites, on a beau être progressistes, il faut bien dominer au moins une espèce, et c'est à une sorte de dragon vert à quatre ailes en élastomère que revient ce rôle servile. Un maquereau éduqué selon la tradition devra le soumettre en éructant, pendant le dressage, de mâles directives comme «t'es à moi» ou «tu la fermes et tu files droit !».
En face, chez les envahisseurs, on trouve un militaire haineux qui aime le sashimi saignant et veut détruire les maquereaux par la ruse ou la force, une scientifique usagée qui n'aime pas le militaire, et un ancien «marine» handicapé qui revit les joies du baroud dans un corps d'emprunt (l'Avatar) au moyen d'une technologie d'incarnation extrêmement sophistiquée (on est en mai 2154). Le militaire lui a promis des jambes neuves s'il volait les secrets du banc de poissons bleus. Le brave marine estropié, déguisé en morue, s'introduit alors dans le clan des poissons où il est instruit par la fille du chef du banc, qui est roulée comme un sushi.
Après quelques péripéties sans intérêt, on apprendra que chez les maquereaux, c'est le mâle qui choisit sa maquerelle, et que les poissons s'embrassent comme les humains, avec la langue, et s'aiment pudiquement en se cachant de la caméra qui virevolte au dessus d'eux, au son de violons sirupeux et d'un orgue de supermarché.
Bon, il parait que dans la véritable histoire, ce sont les indiens qui ont perdu.

On ne devrait pas accorder tant d'audience à des esprits aussi médiocres.
(1) Scènes qui semblent imitées du dessin animé plein de charme et d'idées d'Ivernel et Qwak, «Chasseurs de dragons».