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samedi 5 février 2022

Le retour des joyeux blagueurs nihilistes

Un rendez-vous au pont Royal par Le Roy Saint-Laurent (médium non précisé)illustration gravée dans le catalogue d'exposition du 3ème salon des Arts incohérents en 1884, galerie Vivienne à Paris.

Entre 1870 et 1900, alors que s’insultaient dans les salons parisiens les partisans des peintures académiques, impressionnistes et leurs succédanés, un air moqueur, iconoclaste, anarchiste, soufflait sur les arts. Balayant le sérieux et la mièvrerie bien-pensante des mouvements artistiques du temps débarquèrent Fumistes, Jemenfoutistes (revue d'un seul numéro), Zutistes, Hydropathes ou Hirsutes, courants d’abord littéraires, à la suite d’Alfred Jarry, Alphonse Allais, Érik Satie, Félix Fénéon, Tristan Bernard, Jean Richepin et d'autres.

De 1882 à 1893, Jules Lévy, éditeur hydropathe, exposait au long de 7 anti-salons plus ou moins annuels, sous le nom d’Arts incohérents, des œuvres créées par des « gens ne sachant pas dessiner », notamment le célèbre tableau-calembour titré combat de nègres la nuit, toile uniformément noire du poète Paul Bilhaud, mais aussi des pieds sculptés en marbre de gruyère, un bas de femme collé sur une planche intitulé Bas-relief, des objets quotidiens détournés, des tableaux vivants… 
Succès immédiat, 20 000 entrées payantes en 1883 annonce l’amusant avant-propos du catalogue de 1884.

On a souvent lu que ces manifestations n'étaient que les déconnades de provocateurs qui ne prennent rien au sérieux, et que leurs divagations ne constituaient pas des œuvres d’art.
Sans doute, et la preuve de cet esprit réellement libertaire est qu’on ne trouve d’œuvre des Arts incohérents dans aucun musée, alors qu’on y sacralise le moindre objet dadaïste, suprématiste ou surréaliste des Tzara, Picabia, Malevich, Duchamp ou Breton, qui suivirent leurs traces 30 ou 40 ans plus tard, mais en se prenant cette fois au sérieux.

Or cette absence des musées sera peut-être bientôt comblée, car en 2018, J. Naldi, galeriste marchand et expert, découvrait miraculeusement dans une malle chez d’innocents propriétaires de la banlieue parisienne, 17 objets qui figurent dans les catalogues d'exposition des Arts incohérents, dont le tableau noir de Paul Bilhaud, numéro 15 du premier salon en octobre 1882.

Ces objets pourraient bien être des reconstitutions forgées d’après les catalogues subsistants, mais le marchand et les spécialistes des plus grands musées n’ont aucun doute sur les nombreux indices d’authenticité. Et ils ont expertisé le tableau noir, qui s’est révélé peint avec des ingrédients de l'époque. Le musée d’Orsay n'a pas caché sa convoitise.
Le marchand en a profité pour rajouter 44 pièces, soit un total de 61 objets qu’il a déclarés inséparables, dit Le Monde, et arrondir la facture de l’ensemble à 10 millions d’euros, précisément. Enfin pour hâter la transaction et cimenter le poids historique du lot, il a demandé au ministère de la Culture son autorisation de sortie du territoire français. 
Suite logique, ce dernier qualifiait un sous-ensemble de 19 pièces de Trésor national le 7 mai 2021 (AFP), réservant ainsi au musée d’Orsay jusqu’en décembre 2023 la priorité sur son acquisition.

Une enquête sur le voyage fait par cette malle et ses reliques en 140 ans aurait été captivante, mais le marchand a désapprouvé, déclarant que c'était une impasse…

Et si tout cela n’était pourtant qu’un canular néo-jemenfoutiste ?
Quel esprit farceur ne se verrait pas avec délices entrant dans une salle de musée, à côté de touristes émerveillés venus exprès de Chine ou du Japon, et admirant religieusement dans une vitrine chichement éclairée trois ou quatre objets épars, étiquetés Salon des Arts incohérents 188…, mais qu’il aurait confectionnés lui-même il y a peu dans son garage, à partir d'ustensiles ayant appartenu à une grand-mère ?

Mais n’allons pas troubler cette entente harmonieuse, si rare, entre un vendeur persuadé et un acheteur convaincu.

lundi 29 février 2016

Chronique désabusée du 29 février

Christophe, détail du procès du sapeur Camember, 1896 (Gallica-BNF).


Félix Fénéon le journaliste, Rossini l’inspirateur des grands cuisiniers, le peintre Balthus et le sapeur Camember ont un point en commun, c’est le jour où les fétichistes commémorent leur naissance (ou leur décès pour Fénéon), le jour julien inventé pour pallier les inexactitudes de la mécanique céleste, le jour qui n'existe qu'une fois tous les 4 ans à peu près, en bref c'est aujourd’hui, le 29 février.

Dans le cas du sapeur Camember la date est née de l’imagination de son créateur, Georges Colomb, auteur également du Savant Cosinus et de La Famille Fenouillard, qui signait ses bandes dessinées du pseudonyme désopilant de Christophe. Et s’il faut croire ces histoires illustrées, la nature ne prodigue de l’entendement qu’aux jours anniversaires car le naïf Camember en manquait cruellement plus que son entourage déjà mal loti.

Christophe eut l’heureuse idée de mourir, le 3 janvier 1945. Ainsi, 70 ans après, son œuvre immortelle est devenue libre de droits d’auteur, et on peut donc reproduire sans crainte depuis quelques jours ses calembours élégants et son humour un peu fané. Il était temps, on l’avait presque oublié.

La Bougie du sapeur, journal cocasse qui ne parait que le 29 février pour honorer le souvenir de Camember et se tenir à une salubre distance de l’actualité, est sortie cette année dès le samedi 27, pour des raisons de stratégie commerciale. On peut le comprendre, mais comment lui pardonner d’avoir fait disparaitre la formule d’abonnement centennal, qui comprenait 25 numéros sur un siècle et le distinguait tant de toutes les autres publications éphémères et illusoires ?

Pour finir cette chronique désabusée et quadriennale par une mauvaise nouvelle, signalons que cette année encore le 29 février n'amènera pas le fléchissement des inégalités sociales qui entachent tant la bonne humeur des populations.
En effet pour les salariés qui bénéficient du régime dit du « forfait jours », le plus souvent des cadres qui travaillent donc un nombre constant de jours par an, le jour supplémentaire de l’année est décompté comme un jour de repos et constitue un avantage social.
Pour les salariés rémunérés à l’heure, le jour bissextil est indifférent car ils sont payés en proportion du travail effectué.
Mais pour les salariés classiquement mensualisés, qui constituent la plupart des travailleurs, ce jour additionnel est un jour de labeur bénévole offert gracieusement aux chefs d’entreprise et au redressement de l’économie française.
On murmure à ce propos dans certains couloirs que le gouvernement profiterait de l'état d'urgence et de la générosité de l’article 49.3 pour ajouter désormais deux jours à chaque mois de février, et un jour aux quatre mois de 30 jours, afin de relever le pays définitivement.

Car l'esprit du sapeur Camember, comme celui de Ferdinand Lop et d'Alphonse Allais, planera longtemps encore sur notre monde, tant que l'on n'aura pas octroyé de pension à la femme du soldat inconnu, supprimé le wagon de queue du métro parisien, limité la vitesse de la lumière dans les agglomérations et ralenti subtilement la vitesse de rotation de la Terre pour qu'un jour solaire dure dorénavant 24 heures 3 minutes et 56 secondes, environ.
On dit qu'à l'allure où les marées freinent cette rotation aujourd'hui, et si l'eau subsiste à l'état liquide, ce rythme sera atteint dans 14 millions d'années. Alors la Bougie du sapeur n'aura plus qu'à se saborder.

Christophe, acte de naissance du sapeur Camember, 1896 (Gallica-BNF).

Christophe, On ne pense pas à tout, mésaventure extraite des Facéties du sapeur Camember, édition 1896 (Gallica-BNF).

vendredi 6 février 2015

Copyfraud, un piratage légalisé


Le premier janvier de chaque année, des hordes d'artistes morts depuis 70 ans (en règle générale) émergent de leur sépulcre glacé et rejoignent le Domaine public, un vaste espace de lumière où leurs œuvres appartiendront désormais à toute l'Humanité et deviendront gratuites et libres de droits. Quiconque pourra les reproduire, les diffuser, même en tirer des bénéfices (1).
Un vieux ministre bavant et grimaçant déclame alors sa pompeuse harangue « Entre ici, Saint-Exupéry (par exemple), avec ton terrible cortège, avec ceux qui sont morts depuis longtemps déjà... » Et un orchestre symphonique tonitruant joue l'hymne à la joie.

Pour fêter cette merveille de la nature, cet évènement d'une régularité quasi astronomique, il manquait un festival. C'est chose faite aujourd'hui.
Le premier festival du Domaine public vient de fermer ses portes. Et comme tout festival qui souhaite être visible et prospérer il a décerné des récompenses.
Mais, comme ils ont le gout de la plaisanterie et un budget insignifiant, les créateurs se sont arrangés pour que les lauréats de ces prix (qu'ils ont appelés Copyfraud awards) ne viennent jamais réclamer leur humiliant trophée, à l'instar des gagnants des Darwin awards. Rappelons que ces derniers sont décernés à des personnes qui sont mortes suite à leur comportement stupide et ont ainsi amélioré le patrimoine génétique de l'Humanité. Elles sont le plus souvent dans l'incapacité de venir chercher leur prix.
Dans le cas des Copyfraud awards c'est la honte qui devrait normalement empêcher les lauréats, car c'est toujours par cupidité et dans l'illégalité qu'on se commet dans une affaire de copyfraud.

« Copyfrauder » c’est prétendre avoir un droit sur quelque chose qui appartient en réalité au domaine public, c’est à dire à tous. C'est une activité qui s'épanouit autour des droits d’auteurs et des droits de reproduction. Et on frôle l’abus de pouvoir quand elle profite à une institution publique, ou à une entreprise privée qui aura soudoyé un personnage public. Les exemples sont légion, Ce Glob est Plat en a souvent parlé (2) et rappelons que le site Numerama publie chaque samedi un florilège des plus beaux abus de la propriété intellectuelle (Copyright Madness).
La copyfraud est beaucoup plus qu'un simple piratage puisqu’elle à le pouvoir de priver les autres des biens qu’elle s'approprie. Il est donc absolument moral, juste et salutaire de pirater ce qui a été copyfraudé. Vous suivez ?

Prenons des exemples. Saviez-vous qu’il est interdit, sans avoir payé des droits, de photographier la Tour Eiffel de nuit (exclusivement) et d’en faire l’usage que vous souhaiteriez ? Car des brevets et des marques ont été déposés sur tout le bazar du système d’éclairage. C’est l’archétype ; on détourne le domaine public (l’image de la Tour Eiffel) au bénéfice d’intérêts privés.
Même infortune pour les peintures de Lascaux, la pyramide du Louvre, la Grande bibliothèque de France, l’orgue restauré de Notre-Dame de Paris.

Vous trouverez une trentaine de ces cas savamment commentés dans la présentation des nominés (involontaires) aux Copyfraud awards par les organisateurs du festival.
La Bibliothèque nationale de France vend le fonds du domaine public à des entreprises privées, les musées interdisent la photographie des collections publiques, Tarzan est transformé en marque pour ne plus jamais rejoindre le domaine public, Saint-Exupéry est libre depuis quelques jours dans tous les pays de la planète sauf le sien, la France, jusqu’en 2032, la chanson « Happy birthday to you » appartiendrait à Warner Music, géant de l’industrie du disque qui réclame des droits chaque fois que cet air imbécile est chanté en public…
Devant l’exubérance, la profusion, la surenchère de bassesse, tous mériteraient d’être lauréat.

Cette année, parmi une douzaine de Smith et quelques milliers d’inconnus comme Jakob von Uexküll ou Onésiphore Turgeon, arrivent dans le Domaine public des ombres mémorables, Edward Munch, Sanford Gifford, Mondrian, Kandinsky, Félix Fénéon, Max Jacob, Romain Rolland, et le génial illustrateur William Heath Robinson (dont voici deux illustrations, plus haut pour Kipling et ci-dessus pour Perrault).

***
1. Attention, s'agissant de l'interprétation de la loi, les choses ne sont pas toujours si simples. Lisez à ce propos le récit d’une désillusion vécue cette année par les organisateurs du festival du Domaine public à propos de Fantômas.

2. Principales chroniques du blog consacrées au thème des abus et détournements de la propriété intellectuelle : Une victoire de la nécrophagie (2009), le musée de l'extrême (2009), guide de la Venise secrète (2010), le visiteur à l'état fluide (2010), le tableau interdit (2011), respectons les imbéciles (2011), un sacrilège (2012), les valeurs orthopédiques (2012), le monde leur appartient (2013). pauvre Gaston (2013), David et son gros pétard (2013), mitraillez (2014).

mercredi 23 janvier 2013

Histoire sans paroles (4)

Briare, décembre 2012


« Perronnet, de Nancy, l'a échappé belle. Il rentrait. Sautant par la fenêtre, son père, Arsène, vint s'abîmer à ses pieds. »
Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, 735ème sur 1210.


samedi 24 avril 2010

Histoire sans paroles

Saint-Savin-sur-Gartempe, Vienne, France


Mise à jour du 26 avril :
Il serait amusant que le spectateur inspiré par cette image abandonne dans les commentaires un texte de quelques mots décrivant l'histoire qu'il imagine en la voyant. Par exemple, dans le style de Félix Fénéon, cela pourrait être « Désireux d'en terminer avec la vie, Jérôme Plumier hésitait entre la noyade et la pendaison. Par bonheur la petite porte était fermée et il n'en avait pas la clef. »

- Yvelinoise : « Ce saule a tant et tant pleuré que ses racines en sont toutes inondées. »

samedi 28 novembre 2009

1210 romans en 3 lignes, épisode 2

Comme prévu, voici, classées par thèmes, 45 des plus parfaites Nouvelles en trois lignes, qu'on doit à la fatalité des faits divers de l'année 1906 (on notera que le funeste y domine) et au style glacial de Félix Fénéon.
Les catégories ne sont pas très étanches et certaines nouvelles mériteraient de figurer dans plusieurs. Pour mémoire, les numéros renvoient au catalogue constitué par les frères Wald Lasowski en 1990 pour les éditions MACULA. Enfin, gaspilleuse en place sur la page, la présentation en trois lignes a été abandonnée ici.

Accidents, chutes de corps et d'objets divers

106. Tombant de l'échafaudage en même temps que le maçon Dury, de Marseille, une pierre lui broya le crâne.

418. Congestionné par la chaleur, Hélectre, couvreur à Reims, qui travaillait à 20 mètres du sol, s'y est abîmé.

643. L'alpiniste Preiswesk chancela, se ressaisit, enfin dégringola par bonds : chute mortelle que l'on regardait de Chamonix.

Accidents de la circulation

363. M. Chevreuil, de Cabourg, sauta d'un tramway en marche, se cogna contre un arbre, roula sous son tram et mourut là.

370. Tombée d'un train lancé à toute vitesse, Marie Steckel, de Saint-Germain, 3 ans, a été ramassée jouant sur les cailloux du ballast.

513. Lucienne Debras, 4 ans, jouait devant sa maison, à Saint-Denis, quand le tram de la madeleine passa, qui lui broya le crâne.

Accidents divers

540. Me Tivollier, avoué à Grenoble, chassait. Il trébucha, le coup partit, Me Tivollier était mort.

625. Le professeur de natation Renard, dont les élèves tritonnaient en Marne, à Charenton, s'est mis à l'eau lui même : il s'est noyé.

762. Allumé par son fils, 5 ans, un pétard à signaux de trains éclata sous les jupes de Mme Roger, à Clichy : le ravage y fut considérable.

769. De l’eau-de-vie, croyait-il. Bon : du phénol. Aussi Philibert Faroux, de Noroy (Oise), ne survécut-il que deux heures à sa ribote.

Autour de l'Amour

151. Quittée par Delorce, Cécile Ward refusa de le reprendre, sauf mariage. Il la poignarda, cette clause lui ayant paru scandaleuse.

322. Par haine d'amour, Alice gallois, de Vaujours, a vitriolé son beau-frère et, par maladresse, un promeneur. Elle a déjà 14 ans.

364. Entre arabes de Douaouda : un couple a capturé un galant trop hardi et l'a mutilé, annulant à jamais sa concupiscence.

371. Jugeant sa fille (19 ans) trop peu austère, l'horloger stéphanois Jallat l'a tuée. Il est vrai qu'il lui reste onze autres enfants.

663. Bien ivre, Langon, de Sceaux, rencontra sa femme et, comme elle se faisait acariâtre, il lui martela le crâne à coups de clefs.

1165. D'ordinaire battue par lui, Fleur des Bastions a pris sa revanche à coups de canif dans la figure du pantinois Gabriel Mélin.

Faits divers : octobre 2007, la ville de Paris lance une campagne de prévention contre l'utilisation abusive des autobus.Faits divers

539. Un plongeur de Nancy, Vital Frérotte, revenu de Lourdes à jamais guéri de la tuberculose, est mort dimanche par erreur.

819. L’ex-maire de Cherbourg, Gosse, était en proie à un barbier, quand il cria et mourut, sans que le rasoir y fût pour rien.

1007. V. Kaiser, 14 ans, allait à Mt-St-Martin (M.-et-M.) voir son père. Le satyre du bois qu'elle traversait se dressa devant elle...

1033. Derrière un cercueil, Mangin, de Verdun, cheminait. Il n'atteignit pas, ce jour-là, le cimetière. La mort le surprit en route.

Meurtres, ou pas

413. À Verlinghem (Nord), Mme Ridez, 30 ans, a été égorgée par un voleur, cependant que son mari était à la messe.

573. La Verbeau atteignit bien, au sein, Marie Champion, mais se brûla l'œil, car le bol de vitriol n'est pas une arme précise.

574. Alb. Vallet frappait de la crosse de son fusil le propriétaire Ferrand, de Chapet. Le coup partit et le chasseur tomba mort.

616. L'examen médical d'un garçonnet trouvé dans un fossé d'un faubourg de Niort montre qu'il n'eut pas que la mort à subir.

1111. Avec un couteau à fromage, le banlieusard marseillais Coste a tué sa sœur qui, comme lui épicière, lui faisait concurrence.

1121. Rue Neuve-des-Boulets, la ménagère Dumé, 42 ans, de la rue de la Petite-Pierre, a été percée d'une balle venue d'on ne sait qui.

Politique, séparation de l'Église et de l'État, vie sociale

139. Le sombre rôdeur aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d'Herblay, est retrouvé : Jules Ménard, ramasseur d'escargots.

941. Les préfets de M.-et-L. et de la Marne infligent le martyre de la suspension à quatre maires qui voulaient Dieu dans les écoles.

992. Chez un cabaretier de Versailles, l'ex-ecclésiastique Rouslot trouva dans sa onzième absinthe la crise de délirium qui l'emporta.

1031. Quatre maires encore de suspendus en M.-et-L. Ils voulaient maintenir sous les yeux des écoliers le spectacle de la mort de Dieu.

1133. Les jeunes Guillemeau et Boileau ont été arrêtés à Saint-Cloud dans l'exercice de leur profession de cambrioleurs.

1193. «Aïe ! cria le rusé mangeur d'huîtres, une perle !» Un voisin de table l'acheta 100 francs. prix : 30 sous au bazar de Maisons-Laffitte.

Politique, armée, police et gens importants

24. L'affaire des détournements à la direction de l'artillerie de Toulon se réduirait à rien, d'après l'enquête du directeur.

431. Vainement des torpilleurs ont-ils voulu forcer les passes de Lorient: des torpilles y dormaient, mais d'un sommeil léger.

602. Ce n'est pas la charcuterie, c'est la chaleur qui a donné la diarrhée aux canonniers brestois, a décidé leur médecin-major.

699. Louis Picot, fils du secrétaire de l'Académie des sciences morales, etc., s'est tout écorché en tombant de bicyclette.

726. Destin, vingt ans, avant de céder aux policiers d'Aubervilliers, a lancé à l'un d'eux, Lagarof, un fer à repasser, en pleine figure.

Faits divers : un oiseau sur deux est noir et méchant.Suicides divers

234. Dans un hôtel de Lille, M. H. Hallynch, d'Ypres, s'est pendu pour des motifs qui, dit une lettre de lui, seront bientôt connus.

505. À 80 ans, Mme Saout, de Lambézellec (Finistère), commençait à craindre que la mort l'oubliât ; sa fille sortie, elle s'est pendue.

735. Perronnet, de Nancy, l'a échappé belle. Il rentrait. Sautant par la fenêtre, son père, Arsène, vint s'abîmer à ses pieds.

770. À Boucicaut, où il était infirmier, Lechat disposait de foudroyants toxiques. Il a préféré s'asphyxier.

776. Une jeune femme en putréfaction a été repêchée à Choisy-le-Roi. Des bagues de diamant ornaient son annulaire gauche.

779. Bois de Noisiel, gisait en deux parts, sous l'orme où il s'était pendu, Litzenberger, 70 ans, la tête décharnée par les freux.

808. Il y a mévente sur l'article de piété. Mme Guesdon, de Caen, en tenait boutique. En butte à l'huissier, elle se suicida.

995. Émilienne Moreau, de la Plaine-Saint-Denis, s'était jetée à l'eau. Hier elle sauta du quatrième étage. Elle vit encore, mais elle avisera.

À suivre, certainement...

***

Commentaires flottants sur les illustrations :
En haut, Faits divers : octobre 2007, la ville de Paris lance une campagne de prévention contre l'utilisation abusive des autobus.
En bas, Faits divers : un oiseau sur deux est noir et méchant.

lundi 23 novembre 2009

1210 romans en 3 lignes, épisode 1

À la fin du 19ème siècle, un étrange individu portant barbiche effilée, non-conformiste, esthète, un peu mystificateur, hantait les rédactions des revues à l'avant-garde, artistique, littéraire, politique. Auteur généralement anonyme de milliers d'articles, notices, reportages, critiques d'art, on dit que son goût était infaillible. Il suffit de lire les noms qui contribuèrent à la Revue Blanche, dont il fut rédacteur en chef de 1896 à 1903. Des peintres maintenant renommés firent son portrait, Paul Signac, Félix Vallotton. Il s'appelait Félix Fénéon (1).

Rédiger était son obsession. Sa marotte était la phrase, quel qu'ait été le sujet. Il avait débuté comme rédacteur au ministère de la Guerre, de 1881 à 1894, date à laquelle ses amitiés libertaires lui valurent d'être inculpé comme terroriste au Procès des Trente, répression contre le mouvement anarchiste. Acquitté, il poursuivra ses rédactions pour les revues, les grands journaux de l'époque, le Figaro en 1903, et enfin le Matin, en 1906, dans une mémorable contribution de quelques mois à la rubrique des «nouvelles en trois lignes».

Depuis octobre 1905, les nouvelles en trois lignes concentraient, dans une colonne de la page 3 du Matin, les évènements dont on ne pouvait dire que quelques mots, quelques phrases brèves et sans âme, les faits divers. Pendant six mois, Félix Fénéon leur injecta un style précis, chirurgical et cynique, minutieusement ponctué. Il filtrait certainement les sujets pour ne retenir que ce qui le touchait. Ainsi, parmi 1210 nouvelles recensées par P. et R. Wald Lasowski aux éditions Macula en 1990, reviennent avec régularité les découvertes d'engins incongrus pris pour des machines infernales anarchistes, les kilomètres de câble téléphonique dérobés par des ombres insaisissables, les élus récalcitrants à retirer des lieux publics les représentations du dieu crucifié (c'était le lendemain de la séparation de l'église et de l'État).
83. Muni d'une queue de rat
et illusoirement chargé de grès fin,
un cylindre de fer blanc a été trouvé rue de l'Ouest.


1160. X s'était coiffé d'une casquette administrative.
Il put à loisir couper 2.900 mètres de câble téléphonique
sur la route nationale 19.


840. À toute force, le comte de Malartic
voulait suspendre Dieu dans l'école d'Yville (S.-L.).
Maire, on l'a suspendu lui-même.

Mais ce qui émerge dans cette houle des faits divers, ce sont surtout les morts, accidentés par les tramways, les autobus, les trains, ou suicidés, comme dans cette célèbre nouvelle, numérotée 780 aux éditions Macula (et qui contient peut-être une coquille avec la répétition du mot Septeuil).
780. Mme Fournier, M. Vouin, M. Septeuil,
de Sucy, Tripeval, Septeuil,
se sont pendus : neurasthénie, cancer, chômage.

Et Fénéon leur imprime une logique si impitoyable, qu'on croit lire à chaque fois le roman d'une vie. Car après tout que reste-t-il d'une génération ? Quelques rares évènements, qui persisteront un temps dans les esprits et les livres d'histoire, et des milliers d'êtres humains, qui auront vécu sans se faire remarquer, puis auront été écrasés par un train.
316. Comme son train stoppait,
Mme Parlucy, de Nanterre, ouvrit, se pencha.
Passa un express qui brisa la tête et la portière.


592. Monsieur Jules Kerzerho présidait une société
de gymnastique, et pourtant il s'est fait écraser
en sautant dans un tramway, à Rueil.


1021. Le 515 a écrasé, au passage
à niveau de Monthéard (Sarthe), Mme Dutertre.
Accident, croit-on, bien qu'elle fût très misérable.

Aux antipodes des courts poèmes japonais (2) qui évoquent une impression, le sentiment d'un instant, la nouvelle en trois lignes résume une vie, et souvent la clôt.
623. C'est au cochonnet que l'apoplexie
a terrassé M. André, 75 ans, de Levallois.
Sa boule roulait encore qu'il n'était déjà plus.
Félix Fénéon est mort le jour bissextil de 1944. On aimerait retrouver quelquefois sa signature, même au bas d'une notice de médicament, ou du mode d'emploi d'un four à micro-ondes, qui sont la littérature contemporaine. Dans quelques jours, Ce Glob Est Plat présentera, soigneusement classé, un florilège de ses plus beaux romans en trois lignes.

***
(1) La courte biographie que lui consacre Paul-Henri Bourrelier est limpide et exemplaire. Et le docteur Orlof parle de Fénéon avec admiration.
(2) Les tanka faisaient cinq vers, les hokku (haiku ou haikai), trois.