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mardi 19 novembre 2024

Histoire sans paroles (53)


Le petit coin des papotages et chuchotements dans la basilique de Vézelay (800 000 touristes l’an, le double des Hospices de Beaune disait-on fièrement en 2013).
Ici, à l'abri des murs épais, on se croit dans l’isoloir ou le confessionnal, et on raconte le meilleur et surtout le pire ; le pèlerinage vers Compostelle et le commerce de la région dynamisés par l’arrivée providentielle de reliques de sainte Marie-Madeleine en 882, quelques bouts d'os seulement ; les lourdes servitudes d’hébergement des pèlerins imposées aux habitants de la ville par les abbés de Vézelay ; leurs querelles avec les abbés de Cluny et les comtes de Nevers ; la charge intenable de la taxe de financement des perpétuels travaux de reconstruction de l’église ; enfin la révolte de la population et vers 1106 le meurtre du seigneur, prêtre et abbé de Vézelay, l'abbé Artaud, geste libérateur, mais pour peu de temps, comme toujours. Une trentaine d’années moins insupportables.
Sous la voute du transept on perçoit surtout l'écho des consonnes sifflantes, et se susurre ici le nom de l’assassin du saint homme, un certain Simon, serf à l’abbaye. 

dimanche 6 octobre 2024

La vie des cimetières (114)


Je cherche le repos, et trouver ne le puis...

Joachim du Bellay, Les regrets 1558, sonnet 39.




Légende de l'illustration :

1. Le cercueil dont on ne sait pas encore qu’y git peut-être Du Bellay, lors de sa découverte sous le pavement du transept de la cathédrale de Paris.
2. Les scientifiques se recueillent et prient devant les deux cercueils de plomb avant leur proclamation aux médias.
3. Le corps du cercueil anonyme avait été embaumé et rempli de fleurs et de plantes, jusqu’au crâne qui avec le temps s’est rouvert, laissant échapper du poète les derniers vers.
4. Les scientifiques consultent le manuel d’anatomie et viennent d’identifier sur le cadavre l’emplacement précis du sens de la poésie, situé près du cœur.
5. Après récupération des données statistiques les scientifiques referment les cercueils et effacent avec précaution, pinceau fin de martre et gratte-éponge côté doux, toute trace de leur curiosité.


Dans son Traité des reliques en 1543, Calvin constatait que la convoitise des reliques n’allait "quasi jamais sans superstition", qu’elle était "mère de l’idolâtrie", et qu’on ne saurait adorer les os d’un martyr ou de la Vierge sans être en risque d’adorer ceux d’un larron, d’un âne, d’un chien ou de quelque prostituée. 

Mais les humains n’ont que faire des avertissements de Calvin, qui par ailleurs a proféré tant de bêtises. Ils sont aussi fébrilement avides des miettes de leurs congénères qu’à l’époque du réformateur, et vénèrent avec toujours autant d’ardeur les restes peu ragoutants des personnalités qui fleurissent leurs livres d’histoire.


En 2010, les italiens, grands amateurs dont on rappelle que les reliques de San Gennaro à Naples garantissent contre les éruptions du Vésuve et les épidémies de peste (mais pas contre le SIDA ni le COVID), retrouvaient dans un ossuaire de Porto Ercole, parmi les débris d’environ 200 individus, des restes qui appartenaient - affirment-ils - à Michelangelo Merisi dit le Caravage, avec une probabilité de 85%, ce qui est déjà fort appréciable, bien au-delà de la moyenne.

Et quelle coïncidence, c’était justement le 4ème centenaire de la disparition du peintre !


En France, on a surtout des poètes, dont on nous inculque qu’ils ont créé la langue française à la force des 10 ou 12 pieds de chacun de leurs milliers de vers. Et quel évènement dramatique plus propice à nous rappeler ce passé commun que l’incendie de la cathédrale de Paris, qui réunit en 2019 les citoyens les plus opposés dans une communion de 840 millions d’euros destinés à la reconstruction (pas aux plus démunis, soyons sérieux) ?


Or sous les décombres de la flèche effondrée, dissimulés sous le pavage de la croisée du transept, l’Institut National de Recherche Archéologique Préventive (INRAP) exhumait alors deux cercueils de plomb, dont un sans inscription, anonyme. 

C’était sans compter sur le Sherlock Holmes du monde des morts, comme l’appelle le journal Le Monde, le docteur Crubézy de Toulouse. Après deux ans d’analyse du cercueil et de son contenu, il affirme que ce qu’il subsiste du corps anonyme appartenait au grand poète Joachim du Bellay, l’auteur de La Deffence et Illvstration de la Langue Francoyse, de tant de poèmes mélancoliques rabâchés à l’école, et inventeur de cette "douceur angevine" qui a fait que le monde entier imagine aujourd’hui le climat de l’Anjou comme le plus agréable de la planète.


On savait le poète enterré quelque part dans la cathédrale depuis 1560, sans l'avoir jamais découvert.

Un pays au passé culturel si riche, un pays qui a diffusé son bon gout et influencé les civilisations pendant des siècles, qui a renversé et raccourci certains de ses tyrans, qui vient de choisir une ministre de la culture sans compétence criblée de poursuites judiciaires et seulement préoccupée de son image et de ses intrigues de pouvoir, un pays enfin qui a inventé les cathédrales gothiques, ne pouvait qu’inhumer au cœur de la plus célèbre d’entre elles un des inventeurs officiels de sa propre langue.


M. Besnier, responsable des fouilles, est moins affirmatif que Sherlock Holmes et conseille la prudence, car l’analyse isotopique de ses dents démontre que l’enfance du squelette s’est déroulée à Paris ou à Lyon, loin d’Angers où Joachim aurait vécu sa prime jeunesse.

Mais son chef, le président de l’INRAP, balaie cet argument avec l’ironie des certitudes mathématiques et affirme que l’âge et la pathologie des miettes "offrent une solidité statistique remarquable". Il ne donne pas de chiffres, mais comme pour Caravage en 2010, on a peut-être ici 85% de chance que les restes soient réellement ceux de Du Bellay. Notons au passage que nonobstant ce fort taux de véracité, la relique du poète, si c'est elle, ne garantit manifestement pas contre les incendies.


La presse, confiante dans la science des probabilités, en a fait illico des titres affirmatifs, des dossiers, des cahiers photos, des dépliants centraux détachables à punaiser au mur. Jusqu'à Ce Glob est Plat qui en reproduit les images sans honte.


Pareil au vieillard qui retourne en enfance, une société sans avenir n’a que son passé pour horizon.