La vie des cimetières (38)
Parmi les croyances populaires en de fausses sciences, celle qu'il ensemença est une des plus tenaces, et elle est promise, comme l'astrologie ou la prévision météorologique, à un avenir rayonnant dans les siècles des siècles.
Le principe est simple, c'est la justice primitive du talion appliquée à la médecine « traiter les malades par des remèdes produisant des symptômes semblables à leurs maladies ». Pas trop fort, de manière infiniment diluée, sinon ils tomberaient encore plus malades. Disons-le tout de suite aux crédules, cette pénétrante innovation scientifique n'est pas applicable à toutes les affections, surtout si le patient souffre d'un membre arraché ou d'un éventrement intempestif. Mais on raconte que le procédé fonctionne quelquefois, sur des fidèles et dans les limites de l'effet placebo.
S'il ne soigna pas plus de malades que le mythomane « docteur » Freud, que les eaux douteuses des piscines sanctifiées de Lourdes, ou que la concierge du 23 rue de l'adjudant Siegfried Jambon, Hahnemann est toutefois devenu de nos jours un des plus fructueux bienfaiteurs de l'industrie pharmaceutique française. Quand on pense qu'il fut un temps persécuté par les pharmaciens dont il aurait alors mis le commerce en péril !

En 1843 Hahnemann, pourtant prospère et reconnu, était enterré discrètement au cimetière Montmartre. En 1898, à la fin imminente de la concession et devant l'état d'abandon de la sépulture et le risque d'expulsion sans ménagement vers la fosse commune, les homéopathes internationaux organisèrent une souscription et le transfert de leur bienfaiteur vers le cimetière du Père-Lachaise, jugé plus chic.
Le récit de l'exhumation est délicieux. Dans le cercueil, conséquence des infiltrations d'eau, ne restait pour tête qu'une vague éponge dans laquelle ce qu'avait peut-être été jadis le docteur Samuel Hahnemann était dilué à dose tellement homéopathique qu'il en était méconnaissable. On le reconnut à quelques objets près de lui.
En 1900 était inauguré au Père-Lachaise le pesant monument actuel, surmonté d'un buste du prophète sculpté en son temps par l'excellent et onéreux David d'Angers, portraitiste des célébrités. On peut lire, sous le buste « Non inutilis vixi - je n'ai pas vécu en vain ». Et ce ne sont pas les laboratoires Boiron qui le démentiront.
Le tombeau fait depuis l'objet de soins attentionnés.