lundi 31 octobre 2011

La vie des cimetières (39)



C'était l'époque où Émile Zola faisait sangloter la ménagère et s'indigner l'adolescent. Les grands cimetières italiens se peuplaient de géants de pierre qui prenaient des postures d'ouvrier. C'était le temps où les gestes s'amplifiaient, la douleur se faisait palpable, les muscles exagérément saillants, la fesse charnue et le mollet girond. On appelait ça le Naturalisme ou le Vérisme. Il fallut même quelquefois, juste avant la cérémonie funèbre, rhabiller un peu l'œuvre du sculpteur qui s'était laissé emporter par le lyrisme ambiant.
La civilisation s’emballait, propulsée par les pistons de l’industrie.

C'était l'époque où Giulio Monteverde était le plus recherché des statuaires funéraires italiens. Il plaisait pour ses compositions
réalistes (Christophe Colomb enfant songeant sur un quai de Gênes, Edward Jenner vaccinant son propre fils contre la variole) et allégoriques (Idéalisme et Matérialisme, où une plantureuse nymphe à gros seins chevauche, tout en regardant vers le passé, une sorte de brute simiesque qui court emportée par une roue métaphorique). Et il a répandu nombre d'anges sensuels aux poses inattendues dans les plus grands cimetières, de Gênes à Madrid, de Rome à Buenos Aires.

Sa création la plus illustre
est certainement l'ange du jugement de 1882, l'ange à la trompette qui veille le tombeau de la famille Oneto au cimetière Staglieno de Gênes. Ici l'ange ne console plus, ne désigne plus la voie vers un au-delà rassurant. Il demeure, énigmatique, comme une sphinge provocante qui n'apportera pas de réponse, troublant jusqu'à l'obsession. Trezoe l'a filmé en 2009, et s'y est laissé prendre. D'abord respectueusement, puis très vite il approche son objectif, frôle ses formes lascives, s'attarde, insiste fébrilement... Peut-être essaie-t-il de déchiffrer son expression. Mais l'ange regarde le vide, fixement.
Impudique, Trezoe a déposé ces caresses sur Youtube (L'angelo ambiguo).




2 commentaires :

Tilia a dit…

Un ange féminin, à n'en pas douter !
Une sorte de dépôt noirâtre enveloppe la statue, laissant heureusement le visage intact. Poussière ou pollution ?

Costar a dit…

Le cimetière se trouve près d'un axe routier important mais la statue est dans une galerie relativement protégée des intempéries. La manière dont elle est recouverte semble plutôt indiquer une poussière qui est tombée lentement et parfaitement verticalement. Le dernier passage du ménage doit remonter à plusieurs décennies.