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vendredi 25 août 2017

Nuages (41)

Photo C.C. 10.08.2017 (coordonnées : 49.337362, -0.456652)

Le nuage blanc devint sombre ; 
La mort, comme un brouillard, pleuvait sur eux.
Contre Humbaba, le dieu Soleil fit lever de grandes bourrasques
Vent du sud, aquilon, vent d'est, d'ouest, 
Tornade, tourmente, rafales, ouragan, 
Sirocco et typhon, et blizzard, et tempête et cyclone ;
Treize vents se ruent sur lui, Humbaba, son visage s'assombrit ; 
Il ne peut plus avancer, il ne peut plus reculer,
À la portée des armes de Gilgamesh… 

Extrait du combat cosmique de Gilgamesh contre Humbaba, gardien de la forêt des dieux (Épopée de Gilgamesh, légende mésopotamienne, entre 2500 et 1500 avant notre ère, tablette 5)

lundi 27 mai 2013

Comptes de faits (2)

Il aura fallu des siècles aux archéologues, paléographes, philologues et autres méticuleux historiens pour démontrer que « le Livre » à l'origine des principales religions monothéistes n'était pas un récit historique écrit d'un seul jet par un certain Moïse, mais un recueil de légendes inspirées de lointaines religions et compilées à partir de 700 ans avant notre ère.
Il aura fallu des siècles de fouille pour établir que nombre d'aventures contées dans la Torah, la Bible ou le Coran étaient des copies (parfois mot pour mot) de vieilles fables mésopotamiennes.

L'étape la plus marquante de ces tribulations fut certainement la découverte, dans les fouilles de la bibliothèque du roi Assurbanipal à Ninive (près de Mossoul dans l'actuel Irak), de douze tablettes d'argile qui reproduisaient un texte déjà vieux de plus de mille ans et relataient la célèbre épopée du roi Gilgamesh. La onzième retraçait l'histoire d'un déluge infligé par les dieux en punition du comportement turbulent des hommes.

Le 3 décembre 1872 à Londres, George Smith, assyriologue autodidacte, lisait sa traduction de cette onzième tablette devant la Société d'archéologie biblique et un parterre d'officiels médusés.

On se souvient tous à peu près du récit biblique du Déluge, dans la Genèse. Quelques générations après la Création, remarquant que ça forniquait en tous sens entre frères et sœurs, même les animaux, et que ça n'hésitait pas à se trucider pour piquer la femme du voisin, Dieu un peu dégoûté décidait de tout effacer pour recommencer à zéro. Suivait le récit de la manière astucieuse imaginée pour que Noé, sa famille et un tas d'animaux en vrac s'en sortent, au moyen d'un gros tanker bricolé in extremis.
On ne sait pas très clairement pourquoi Dieu épargna alors Noé et les siens, mais en pure logique il fallait bien qu'il restât des témoins pour qu'il y eût une suite à raconter.

Et bien ce jour mémorable du 3 décembre 1872 au British Museum, les auditeurs de George Smith reconnurent précisément ce récit qu'ils connaissaient déjà, mais transposé dans un monde païen, un monde qui précédait la Bible d'au moins mille ans. Tout y était, l'avertissement, la construction de l'arche, le déluge, le sacrifice, jusqu'au oiseaux identiques. L'élu ne s'appelait pas Noé mais Utnapishtim.
Imaginez le montant colossal de droits d'auteur si les inventeurs de la mythologie mésopotamienne se mettaient à réclamer leur pourcentage sur les ventes de Bibles, dont 2,5 milliards d'exemplaires circulaient en 1992, d'après le regretté Quid (encyclopédie des vanités du monde, disparue en 2006). 500 millions de plus que les inénarrables pensées et poèmes du président Mao.

« Homme de Shurruppak, fils d’Ubara-Tutu, démolis la maison, construis un bateau, laisse les richesses, cherche la vie sauve, renonce aux possessions, sauve les vivants, fais monter à l’intérieur un rejeton de tout être vivant. Quant au bateau que tu construiras, celui-là, que ses dimensions correspondent entre elles, égales en seront la largeur et la longueur, couvre-le comme est couvert l’Abîme. » [...]

Le dieu Erra-gal arrache les vannes, le dieu Ninurta arrive et fait déborder les barrages, les dieux Anunnaki brandissent les torches, de leur éclat divin, ils embrasent la terre. Le lourd silence du dieu Adad advient dans le ciel et change en ténèbres tout ce qui était clair. Les assises de la terre se brisent comme un vase. Un jour entier, l’ouragan se déchaîne, impétueux, il se déchaîne et le Déluge déferle. Sa violence survient sur les gens comme un cataclysme. [...]

L’hirondelle s’en alla, s’élança, mais aucun perchoir ne lui apparaissant, elle fit demi-tour. Je fis sortir le corbeau et le laissai aller. Le corbeau s’en alla, et, voyant les eaux s’écouler, il se mit à manger, voltigea, fienta et ne fit pas demi-tour.
Traduction R.J. Tournay et Aaron Shaffer, éditions du Cerf, 2007

Pour conclure, tout lecteur perspicace et bien informé aura relevé l’absolue inutilité de cette grande purge que fut le Déluge, comme des fléaux qui suivirent, la tour de Babel, la destruction de Sodome et Gomorrhe, les dix plaies d'Égypte. Car depuis, fornication, exterminations, corruption ont refleuri de plus belle, au point qu'on peut légitimement se demander si toute cette histoire ne souffre pas d'un petit problème de conception.


Tablette d'argile n.11 de l'épopée de Gilgamesh conservée au British Museum de Londres, copie Ninivite en écriture cunéiforme de la description du Déluge.


dimanche 6 juin 2010

Chapardage au musée d'art moderne

Celui qui visite un musée entre dans une sorte de grenier dont les propriétaires ont disparu. On y montre avec mille coquetteries des objets leur ayant appartenu, qu'on agrémente d'étiquettes surannées pour se rappeler leurs noms. Les gardiens des lieux, inanimés, s'y ennuient comme dans les tableaux de Paul Delvaux.
Les musées ne retracent jamais que le passé, c'est leur raison d'être. Leur désuétude palpable, à peine camouflée par l'odeur de cire fraiche des boiseries, est justement la condition nécessaire au fonctionnement du rituel que s'invente chaque visiteur, à la persistance du passé. Tous les musées devraient être vétustes, démodés, mal équipés, un peu poussiéreux et habités de fantômes neurasthéniques. Ils le sont souvent.

Il est donc logique que se produisent de temps en temps des chapardages comme ce vol récent de quatre tableaux, dont un Picasso, au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris. Leur caractère spectaculaire est exagéré volontiers, car tout le monde profite de l'opération. Dans la presse, les œuvres volées sont surévaluées et leur cote multipliée par 5 ou 10, quand elles ne sont pas attribuées à un maitre alors qu'elles étaient, avant le larcin, tout juste qualifiées de copies ou «de l'école de...». Les journaux, intrépides, dénoncent le scandale. Le service chargé de la surveillance exhume alors un rapport d'audit jauni qui pointe avec précision, dans une note de bas de page d'une annexe, un dangereux manque de personnel qualifié et de moyens technologiques appropriés. Tout le monde est absous. Le responsable sera l'électeur qui change si souvent d'avis et aura choisi l'autre couleur politique, créant ainsi une discontinuité fatale à une saine administration du patrimoine.

Le musée Correr, Piazza San Marco à Venise, trois globes (encore) et un lustre.
Pourtant les vols d'œuvres d'art ne sont pas si fréquents, parce qu'ils ne sont pas rentables. Connues et documentées, elles sont invendables et réapparaissent généralement après quelques années d'occultation. Les rançons sont rarement payées, ou alors très discrètement. Bien sûr certaines œuvres ne reparaissent jamais, mais elles représentent peu en regard des milliers anéanties par les guerres et pillées par les armées et les trafiquants. Les grands musées débordent encore des razzias du passé. Sur 15000 pièces volées (et beaucoup plus de détruites) dans le musée de Bagdad en 2003 sous les yeux de l'armée américaine indifférente, 6000 seulement ont été restituées.

Face au saccage des vestiges de l'antique Mésopotamie, première civilisation de l'écriture, et après l'incendie de la bibliothèque de Bagdad, la disparition d'une œuvre de Picasso fait un peu figure de «chien écrasé». Il en restera encore près de 23000 dans les musées et collections du monde entier, et non des moindres, comme ce pathétique hommage à Joseph Staline, dessiné au lendemain de la mort du héros soviétique, inventeur du bonheur des peuples, plus lumineux que le soleil, plus haut que les espaces célestes, le 5 mars 1953.