samedi 13 décembre 2025

Ce monde est disparu (23)

Au lieu d'illustrer par les œuvres disparues traitées dans cette chronique, qui ont été vues et revues, souvenons-nous plutôt du fameux tableau de 1910 de l’âne Boronali« Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique », considérablement plus humble. On peut aisément soupçonner que seuls les quelques traits rouges du centre ont été peints par la queue de l’animal sur un fond préparé simulant vaguement un horizon marin, et que le tout a été rehaussé après coup à la main au moins des nuages orange à gauche et peut-être des taches jaunes, mais il est toujours visible gratuitement et sans façon à l'espace culturel Paul Bédu de Milly-la-Forêt, près de Fontainebleau.


Auriez-vous personnellement enchéri de million en million de dollars (M$), jusqu’à 205M$ pour pouvoir suspendre ce curieux portrait grisâtre de Gustav Klimt dans votre salon ? Soyez sincère. Alors que vous n’avez pas fini de payer les mensualités du ravalement et que la voiture donne des signes de fatigue. D’autant que, sensible comme vous l’êtes, la tension nerveuse des 20 minutes d’enchères vous aurait fait oublier que s’ajoutent à la facture les taxes et la part du commissaire priseur, qui doit payer ses traites. Comptez 31M$, ce qui fait un total de 236M$, ou 390M$ si dans votre emballement vous emportiez les 3 Klimt de la vente du jour [1,2,3], histoire de décorer aussi la chambre des enfants avec un peu de verdure. C’est 10 ou 15 fois le budget annuel d’acquisition du musée du Louvre. 

Comment en est-on arrivés à ces prix insensés ? 
Faisons un grand retour en arrière. Nous prendrons beaucoup de raccourcis.
Au début, la matière ou l’énergie - appelez ça comme vous voulez - produisait des symétries, des forces, qui ont engendré des éléments, des soleils, des planètes, et des couchers de soleil sur l’Adriatique. Jusque-là tout allait bien.
C’était compter sans le temps. Et à s’amuser durant des milliards d’années avec les éléments, à les mélanger pour voir les jolies couleurs que ça faisait, ce qui devait arriver arriva, des structures organisées parurent : la vie. Ne cherchez pas plus loin. L’erreur de conception est ici, car pour transformer la matière et la maintenir organisée, il faut exploiter de l’énergie (révisez votre thermodynamique si vous en doutez). La surenchère vient de là. Il est moins couteux de se servir en énergie chez qui on la trouve concentrée que d’en perdre à la produire soi-même. Et c’est le début de l’escalade, la compétition, l’arme et l’armure, le préambule au livre des records. On connait la suite.

Tout cela s’est ainsi trouvé résumé voilà quelques jours à New York, le 19 novembre 2025, chez Sotheby’s : record en enchères publiques pour une œuvre d'art moderne (c'est à dire, à la louche, créée entre 1870 et 1950).

Sotheby’s est une maison de vente privée appartenant à un milliardaire français.
Au même moment, dans la même maison, partait contre 12M$ un autre symbole de ce gâchis, un exemplaire des toilettes en or, que leur auteur narquois Maurizio Cattelan a intitulées "America". 12M$, c’était légèrement au-dessus du prix de leur poids en or. Elles font réellement 101kg d’or et sont entièrement fonctionnelles. Ce prix finalement sans surprise tient peut-être au fait que c’est un exemplaire en quelque sorte inachevé puisqu’il n’a jamais été connecté à un réseau d’évacuation, et n’a donc jamais servi comme l’exemplaire du musée Guggenheim de New York en 2016, utilisé par quelques cent mille visiteurs incontinents, proposé en 2017 en prêt pour les appartements privés de Trump à la Maison Blanche, qui avait demandé un Van Gogh, puis volé en 2019 et certainement fondu depuis (on ne va pas vous refaire toute la saga).

Alors on entend dire que cette tendance à la gabegie pourrait être inversée par la coopération des plus faibles. Oui, localement, sans doute, mais n’oubliez pas qu’à la fin les règles de la thermodynamique sont intangibles, du moins c’est Monsieur Einstein qui le pense.

samedi 6 décembre 2025

Brueghel aux premières loges

Peut-être vous souvenez-vous que lors de la rétrospective de Pieter Brueghel l’immense, le père de la dynastie des Brueghel (ou Bruegel), au Kunsthistorishes museum de Vienne en 2018, le musée, qui détient 12 chefs-d’œuvre du peintre (parmi 44 œuvres plus ou moins attribuées), avait ouvert un site dédié (insideBruegel) où ces tableaux étaient reproduits en mode gigapixels, apothéose rarissime qui consacre un peintre sur internet.

Mais il y manquait un tableau sur les 12, alors en cours de restauration : le Suicide de Saül, un petit bijou de 55 centimètres de large, un travail de miniaturiste, typique du point de vue cosmique et ironique du peintre sur l’humanité parmi la nature.


7 ans plus tard le site fonctionne toujours, ce qui en soi est déjà exceptionnel. Il a été enrichi de 6 œuvres, des tableaux d’autres musées, notamment de la superbe Tour de Babel du musée Boijmans de Rotterdam, et enfin de ce 12ème tableau de Vienne.

Ainsi peut-on désormais assister des premières loges au fameux suicide sanguinolent du roi Saül, et de son écuyer, pendant la déroute de son armée face aux Philistins, sur le mont Guilboa, comme le raconte le texte biblique. 


Ainsi peut-on savoir le nombre de soldats de l’armée de Saül à ce dernier combat - ce que les Écritures omettent de dire - par exemple en comptant le nombre de lances, qui en donne une bonne approximation. Brueghel en a peint 1057 (dénombrement assisté par l’IA). 

Allez-y, vérifiez, ou mieux encore, comparez au nombre de casques, qui semble curieusement plus petit. Ce sont des données indispensables à une bonne culture générale et une saine compréhension de notre monde. 




Appendice : 3 tableaux majeurs de Bruegel absents du site "Inside Bruegel" sont tout de même visibles en mode gigapixels sur le site "Google Arts & Culture", ce sont les tableaux de Bruxelles, la Chute d'Icare (et son cadavre caché dans les buissons), la fantasmagorique Chute des anges rebelles et le Recensement de Bethléem (sous la neige). On attend toujours du musée du Prado à Madrid la même qualité de reproduction pour le prémonitoire Triomphe de la mort, sinon, comment être certains du nombre de squelettes ? Nous y reviendrons bientôt.


lundi 24 novembre 2025

Les ambassadeurs, un documentaire réussi

Les films documentaires sur les peintres et les tableaux sont généralement insupportables, y compris sur les chaines ou les sites dits culturels. On y voit essentiellement des gros plans sur les visages, boutons, pellicules, squames et autres psoriasis des responsables de musées importants, qui affirment que l’artiste est le plus grand de son temps et que le tableau qu’ils possèdent est le plus grand de son œuvre. Parfois ils nous racontent, avec un léger sourire entendu, une anecdote que tout le monde sait fausse mais qui restitue un peu d’humanité à cet être hors du commun qui aura peint trois pommes sur un coin de table. Il n’est pas rare qu’ils donnent également un avis personnel sur la chance insigne qu’ils ont, par leur métier, de contempler en vrai cette merveille tous les jours de la semaine, simplement en allant au bureau. Et on ne s'appesantira pas sur les grotesques reconstitutions filmées et les tableaux animés par un relief factice.  


Le documentaire "Les ambassadeurs, la face cachée du monde" (de Jacques Loeuille), diffusé actuellement sur le site d’Arte jusqu’au 5 avril 2026, qui décrit et illustre l’histoire de ce tableau incomparable de Hans Holbein le fils, conservé à la National Gallery de Londres, ne tombe qu’assez modestement dans les travers du genre. Bien sûr on aimerait que les éclaircissements apportés sur le fatras d’instruments minutieusement peints pour illustrer soi-disant la discorde, la confusion de l’Église, soient un peu plus étayés et probants (avouez que vous pensiez que ça n'était qu'un vide grenier dans la haute société), et on nous conte l’histoire du mariage de Henri 8 et des guerres de religion à l’aide de reconstitutions filmées, avec humour et d’antiques films qui tremblotent en noir et blanc. Mais ne nous plaignons pas, l’intrigue est prenante, l’histoire est belle, et on finit par y croire parce qu’elle est triste, et que s’y produisent des décapitations, des massacres, des guerres de religion, la peste, en bref nos tracas de tous les jours.


Pour qui ne s’intéresse pas à l’histoire mais à la peinture, le documentaire est laconique sur les aspects picturaux, à l’exception de l’incroyable anamorphose du crâne qui traverse le bas du tableau et dont il nous montre le fonctionnement. Il n’a pas le temps de nous dire que le spectateur devait découvrir le sens de cette énorme tache en sortant par une porte perpendiculaire à droite du tableau et en se retournant - ce qui était naguère le cas à la National Gallery.

Il ne nous dira pas que lors de la restauration du tableau en 1996, l'expert, soutenu par le musée, s’est jugé plus malin que le peintre, a modifié la forme et des détails du crâne, prolongé la mâchoire sur le bord du tapis, et changé le motif de la tapisserie sous la main pendante d’un personnage. Ces présomptueuses pratiques ne sont pas si rares.     


Et il ne vous dira pas, si vous souhaitez vérifier de près ses affirmations et les prouesses du peintre, que vous pourrez, sans avoir à vous rendre à Londres et à déclencher l’alarme du musée, vous promener comme une mouche sur les 4 mètres carrés de l'œuvre, en mode gigapixels, en vous rendant à cette adresse, en n’oubliant pas une fois sur place de sélectionner l’icône de la double flèche dans le coin haut-droit du tableau, et en piquant sur les détails au moyen de clics de souris et parfois de la touche majuscule.


lundi 17 novembre 2025

Ce monde est disparu (22)

Holm, Emil - Vue de Palerme v.1861, 139cm. (marché de l'art 2025)


Encore un tableau impressionnant qu’on n’aura pas eu le temps de contempler ; 1,25 mètre carré, et tous les verts de la création. C’est la ville de Palerme, au loin, vue depuis le couvent de Sainte-Marie-de-Gesù, et au fond le mont Pellegrino, le matin vers 1861. 
À droite, la cabane avec sa terrasse est sans doute celle-ci, au pied de la falaise. En cherchant un peu en contrebas on distinguera parmi les arbres la voie qui mène au couvent vers lequel cheminent nos moines en bonne santé de 1861.
Les moines d’aujourd’hui, qui ne voulaient pas quitter leur église, ont dû être évacués de force par la police en juillet 2023 quand un incendie de forêt emportait une partie de l’édifice. 

Il fallut certainement plusieurs mois à Emil Holm, un de ces bienheureux peintres danois de la fin de l’Âge d’or, pour peindre soigneusement toutes ces feuilles, une par une. C’était durant un voyage de 6 ans en Sicile, qu’il quittait en 1863 pour retourner à Copenhague où il mourait dans l’année, à 40 ans.
C’est pourquoi on voit peu de Holm dans les musées ou les salles de vente (une douzaine en 30 ans) ; le musée national du Danemark (SMK) ne possède qu’une série de dessins de Sicile (pas même reproduits) et son portrait gravé par un collègue ; le musée de Boston (MFA) reproduit chichement une vue de Messine de 1859 où on ne peut même pas compter les feuilles des arbres. 

Cette vue de Palerme d’Emil Holm vient de disparaitre chez Bruun-Rasmussen, à Lyngby près de Copenhague, contre 50 000$ environ, 2 à 3 fois l’estimation. C’était le 30 octobre dernier.

vendredi 7 novembre 2025

Hey, enfin ? Certes !

   Pour l’instant la meilleure reproduction du panneau central du triptyque de Jean Hey après restauration, extorquée sur internet avec difficulté
 mais sans violence ni effraction.


Il est rare, et toujours émouvant, de recevoir un courriel de Madame la présidente du musée du Louvre en personne. C’est arrivé ce mois-ci. 

Bien sûr elle l’a aussi publié sur son site pour les non abonnés. C'était pour nous réconforter suite au cambriolage cocasse de quelques pierreries historiques. Elle nous assure, après cette épreuve particulièrement difficile et malgré la meurtrissure causée par le drame que la mission du musée est, et sera toujours, de conserver, partager et transmettre les collections. 

Inutile de nous le rappeler. Il était évident, à l’aisance du déroulement du vol, en plein jour et par des amateurs, que la mission "partager et transmettre" était pleinement honorée. 


Puis la présidente en profite pour nous vanter quelques babioles qui se vendent au Louvre et surtout son exposition Jacques-Louis David. À la présentation austère et minimale qu’elle en fait, on sent monter une envie irrépressible de ne pas y aller.

David, c'est Le Peintre Français. Il n'y a pas plus officiel. Passéiste, théâtral et pompeux, on le dit aujourd'hui "peintre engagé", qualificatif toujours flatteur et qui évite de préciser qu’il a illustré servilement quasiment tous les pouvoirs.

On le ressort pour toute commémoration d’évènement historique. Là, c’est le bicentenaire de sa mort. L’exposer était une sorte d’obligation administrative, et puis c'est le Louvre qui possède ses œuvres majeures, ses immenses tartines insipides et assommantes qui ne passeraient par les portes d’aucun autre musée.

Enfin, dans une période difficile qui réclame la solidarité de tous, elle remercie le Grand mécène de l’exposition, le cabinet d’audit et de conseil Deloitte. Choix pertinent et naturel, la science de l’éthologie nous confirme les profonds liens biologiques de dépendance entre les rémoras, ces poissons-pilotes disposant d’une large ventouse, et les grands requins. 


Petit bémol néanmoins, dans sa lettre la présidente oublie de présenter la seule exposition de son musée qui mérite qu’on en parle et qui aura lieu, dans quelques jours du 26 novembre au 31 aout 2026 (9 mois !), salle 831 de l’aile Richelieu au niveau 2 (ne la cherchez pas sur le plan du musée, elle n'est pas citée et il n’est pas certain qu’elle jouxte la 830, mais ça sera certainement dans le coin, et méfiez-vous des jours de fermeture) :

C’est l’exposition tant attendue du triptyque de Jean Hey, le fameux triptyque de Moulins, feuilleton de tant d’épisodes de Ce Blog, bichonné depuis 3 ans aux Coton-tige par le Louvre, dans un arc-en-ciel de couleurs désaccordées par le peintre.


Si vous avez un tempérament joueur, rendez vous sur le site du Louvre et essayez de trouver les informations sur cette exposition. Ne tapez pas "Jean Hey" dans le dialogue de recherche, le musée ne connait pas. Prévoyez des heures d’une découverte qui s’amusera de vos nerfs.


Comme à l’habitude vous ne trouverez pas de bonnes reproductions du triptyque sur le site du musée. Les images en haute définition sont réservées à la presse, qui les paie sans doute, qui se gardera bien de les diffuser sur internet, mais qui vous dira complaisamment ce que le musée lui a dit d'en dire. 


Cela dit, les fuites restent possibles. Patientons.


samedi 1 novembre 2025

Améliorons les chefs-d’œuvre (31)

© Charles M. Schulz 12.1973 partiellement.


Spoiler (prononcer spoïler) signifie "révéler un élément clé d'une intrigue au point de gâcher à autrui l'effet de surprise et le plaisir de la découverte", avoue depuis peu le dictionnaire Larousse.

Et si, avant de découvrir un film dont vous attendiez, aux éloges qu'il a reçus, un grand divertissement, on vous annonçait que les projets du héros échoueront, et qu'il finira au fond d'une marmite d'acide (c'est un exemple) ? Auriez-vous envie de regarder un film dont on vous a déjà révélé l'intrigue censée vous tenir en haleine ? 

En mai 1941 sortait Citizen Kane, premier et légendaire film d'Orson Welles, un de ces récits qui entretiennent le suspense jusqu'à sa fin. Son argument est l'enquête d'un journaliste sur le sens du mot "Rosebud", dernière parole prononcée par un milliardaire mourant.
Les cinéphiles le considèrent depuis 85 ans comme le film le plus génial de l'histoire du cinéma, peut-être moins pour ses péripéties que pour son style. Cependant, indépendamment des délices que procure la mise en forme expressive de chaque scène, une bonne part de l'émotion ressentie vient de l'énigme et du plaisir de la révélation finale, qui illumine rétrospectivement tout le film et clôt la boucle qu'est toute vie humaine.

En décembre 1973 paraissait dans les journaux américains puis du monde entier une planche dessinée par Charles Schulz, auteur planétairement connu des personnages de Peanuts, sur laquelle Lucy van Pelt déclare avoir déjà vu Citizen Kane une dizaine de fois et dévoile en un mot le sens de "Rosebud" à son frère Linus installé devant la télévision, en train de découvrir le film, indigné par cette révélation.

La seule excuse qu'on peut accorder à Schulz pour ce monumental "spoilage", c'est qu'il était devenu quasiment impossible, déjà en 1973, d'ignorer la solution de l'énigme avant de voir le film, tant elle avait été partout dévoilée ; Aujourd'hui, même l'Encyclopédie Wikipedia lâche le morceau à la fin de son article.    
Et encore pourrait-on retirer à Schulz cette excuse : il est évident, à la réaction de colère de Linus, que l'auteur savait parfaitement ce qu'il faisait, quand il aurait suffi d'un petit subterfuge classique dans les bandes dessinées, pour qu'il reste intègre et ne dévoile pas le secret une fois de plus, et dans son cas à des centaines de millions de lecteurs (les personnages de Schulz sont diffusés dans 75 pays, 2500 journaux, à 350 millions de lecteurs dit l'Encyclopédie).



Une simple bulle exprimant l'inexprimé a été superposée et masque le secret révélé par Schulz. La page devient irréprochable, et gagne même en profondeur (dans les deux sens du mot).
© Les ayants droit de Schulz n'ayant pas gagné suffisamment de milliards, la reproduction libre de la planche complète de 8 cases est interdite. 3 cases un peu modifiées restent peut-être dans la limite du droit de citation américain.

Bien sûr, les personnes qui n'auront pas perçu le rôle de la révélation ou n'auront pas été bouleversées vous diront que ça n'est pas bien grave, que ça n'est pas l'essentiel, que le film est fabuleux sans cela. 

Peut-être. Essayez vous-même, si vous ne l'avez jamais vu ; lisez Wikipedia avant de regarder le film puis racontez-nous vos impressions sur ce mystère dont vous aurez connu le secret à l'avance, alors que l'auteur ne le divulgue même pas à ses propres personnages, et que le citoyen Kane l'emporte avec lui dans la tombe. 


Mais attention, à ce jeu non plus, il n'y a pas de retour en arrière.


dimanche 26 octobre 2025

Dans le coffre-fort du musée de Bâle (2 de ?)

Requis à Paris pour une affaire urgente, le fournisseur officieux de Ce Blog en reproductions de peinture suisse (et voisine), nous a contacté samedi 18 octobre au soir pour nous proposer quelques nouvelles reproductions de tableaux provenant des sous-sols du Kunstmuseum de Bâle. 
Vous trouverez jointes ci-dessous les images de cette livraison. Comme à l'habitude vous noterez, dans les commentaires des illustrations, les codes secrets d'inventaire "entre guillemets" qui vous donneront accès, en suivant la procédure décrite en bas de page de notre livraison précédenteaux tableaux entiers en très haute définition, et à leur fiche détaillée [lien d'accès rapide].

Pour votre curiosité, et ça restera entre nous, les prix demandés par notre ravitailleur, très compétitifs, suggèrent sans doute la pression de la concurrence, mais aussi certainement le succès lucratif attendu de certaine affaire récente   
Profitez de cette livraison d'aujourd'hui, il est à craindre que nous n'ayons plus de contact culturel avec la Suisse pendant quelque temps.

Zünd, RobertLa moisson 1859, 160cm, détail. Le Kunstmuseum héberge une très belle série de paysages suisses de ce peintre rare un peu oublié au fond de l'ordre alphabétique. Inv."660"

Koch, J.A.Paysage des bords du Tibre près de Rome avec le Ponte Molle et une fête champêtre 1818, 104.5cm, détail. Inv."394"

Miville, J.C.Vue sur Bâle depuis la carrière de Muttenz, 1808, 95cm, détail. Inv."G 1988.6"

Birmann, SamuelAu bord du lac de Nemi, 1818, 98cm, détail. Inv."710"
Wolf, CasparComposition de paysage avec la ruine d'un château, 1774, 38cm, détail. Le Kunstmuseum possède une très riche collection de dessins, lavis et huiles de Wolf. Inv."650"
Robert, HubertChute d'eau avec un artiste dessinant, 1774, 105.5cm, détail. Inv."G 1976.27"
AltdorferAlbrechtLa résurrection du Christ, 1527,  huile sur parchemin sur bois de tilleul, 34.5cm, détail. Inv."7"
HolbeinHans le jeuneLe Christ au tombeau, 1522, huile et tempera sur panneau de tilleul, 200cm, détail. Inv."318"

lundi 20 octobre 2025

Pour en finir avec l'expo de La Tour

Georges de La Tour, Madeleine pénitente, détail

C'est évident, Georges de La Tour est une des obsessions de Ce Blog. Si vous ne partagez pas cette manie, vous avez récréation aujourd'hui, car nous allons faire, un mois et demi après l'ouverture de l'évènement "Georges de La Tour entre ombre et lumière" au musée Jacquemart-André, un récapitulatif des prévisions et promesses confrontées à la réalité.

Les conditions de visite, l'étroite surface d’exposition, la ruée des visiteurs...

Nous avions estimé, comme habituellement dans ce musée et après quelques expériences affligeantes, la surface d’exposition à 200 mètres carrés, valeur confirmée précisément, et regrettée, par un commissaire de l'exposition dans l'émission "Georges de La Tour Superstar" de la radio publique France-Inter, le 22.09.2025. On relève d'ailleurs, dans cet échange de 23 minutes pourtant enthousiaste et complaisant, les aveux spontanés suivants : 
- Je le confirme, les salles sont bondées, on ne peut pas circuler
- On ne peut pas s’installer devant un tableau
- On ne peut pas méditer parce qu’il y a beaucoup de monde

Le journal Libération précise que l'espace est divisé en 8 petites pièces (donc de 25m² chacune). Il avoue apprécier la promiscuité de la chose qu'il nomme intimité. 

De son côté Le Journal des Arts.fr, dans un article exceptionnellement gratuit intitulé "Un Georges de La Tour ramassé à Jacquemart-André", se sent obligé d'avouer "Comme d’accoutumée, le parcours doit composer avec les espaces étroits du musée, qui nuisent inévitablement au confort de visite", et se rachète en précisant "Mais [...] la répartition des œuvres est bien pensée", et en ne reproduisant que des photos promotionnelles, bien choisies et sans vrai public, fournies par Culturespaces, l'industrie lourde des expériences culturelles.

Le fait de ne pas pouvoir circuler dans une exposition, ni s'arrêter devant un tableau, est donc le critère principal de sa qualité ; puisque le troupeau s'y précipite...

Les règles de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public obligent à une surface minimale par visiteur de 5 m² dans un musée (parfois moins, avec accord de la Commission de sécurité), ce qui autoriserait seulement 40 visiteurs simultanés dans cette exposition ; environ une personne par tableau, ce qui est très éloigné de la description par les témoins du drame qui se joue actuellement au musée Jacquemart. On imagine que la Commission de sécurité a été particulièrement laxiste, ou que la réglementation n'est pas respectée, hypothèse insoutenable quand on sait l'honnêteté et la rigueur des partenaires de l'exposition.
Notez que tous les billets pour visites de luxe par groupes de 15 personnes en semaine de 9h à 10h étaient épuisés dès les premiers jours de l'exposition. 


Les œuvres exposées, la fausse rétrospective, le piège du "Nouveau-né"... 

L'expression abusive "rétrospective De La Tour", entendue dès le début de l'émission radiophonique citée plus haut, présente encore sur la page de l'exposition du site du musée, n'a pas disparu des médias, mais on insiste surtout sur le nombre de tableaux de La Tour réunis, comme Le Journal des arts.fr dans son article de réclame, "l’exposition réunit la moitié de la production connue de l’artiste", ou le catalogue de l'exposition en page 7 : "rassemblant plus de la moitié des œuvres connues de l'artiste, enrichie de pièces issues de son atelier", ou dans la boutique du musée "l'exposition réunit plus de la moitié des œuvres connues de La Tour, dont des pièces rares provenant directement de son atelier", phrase incohérente d'un marchand de soupe qui ignore les sens du mot "atelier".
Le pompon de l'outrance revient à la page de l'exposition déjà citée "Plus de 30 chefs-d’œuvre réunis sur la quarantaine d’œuvres connues de l’artiste". Chaque mot de cette phrase est un mensonge. L'ensemble constitue une imposture, une fraude

Le catalogue détaille les 43 œuvres exposées : 13 sont des gravures (n°6-10, Bellange, Callot) et des toiles d'autres peintres (n°28-35, De Coster, Honthorst, Le Nain, Bigot, Finson...) 
Ainsi 30 œuvres attribuées à (jusqu'aux copies dans le style de) Georges de La Tour sont effectivement exposées.
Quel est leur degré de qualité et d'authenticité ?

Aujourd'hui, variable selon les auteurs, l'œuvre peint de La Tour comprend environ 75 numéros, décomposés très approximativement en :
21 toiles (dont 8 exposées) à l'authenticité indiscutée et jugées comme des chefs-d’œuvre de la maturité
7 toiles (dont 7 exposées) à l'authenticité peu discutée mais œuvres des débuts, moins considérées
12 toiles (dont 9 exposées) à l'authenticité douteuse (de la main du fils Étienne ou d'un soi-disant atelier)
35 toiles (dont 6 exposées) à l'authenticité nulle (copies évidentes ou pastiches)

Notons que les 7 mauvaises copies appartenant à l'ensemble du Christ et des apôtres de la cathédrale d’Albi, pressenties, ne sont heureusement pas exposées, non plus que les deux variantes des "Tricheurs", du Louvre et du Kimbell Art Museum de Fort Worth.
Le catalogue de l'exposition, aux reproductions correctes sans plus, aux textes sans surprise et aux informations parfois approximatives (prétendant par exemple certains tableaux absents de la rétrospective de 1997 alors qu'ils y étaient), est loin de justifier son prix. 

Pour résumer, sur une trentaine d'œuvres authentiques indiscutées de La Tour, Jacquemart en expose une quinzaine, surtout les tableaux diurnes et réalistes du début, nettement moins séduisants, et peu des chefs-d’œuvre nocturnes de la maturité. Très minoritaires, ces derniers sont pourtant les seuls représentés parmi les 6 tableaux de l'animation qui ouvre sur le site la page de l'exposition. L'autre moitié des œuvres exposées est extraite de la bonne quarantaine d'œuvres douteuses voire indéfendables du catalogue de La Tour (pour mémoire, tout musée possesseur d'une œuvre à l'attribution douteuse trouvera grand intérêt à le montrer dans une exposition monographique. La simple citation de sa participation rehaussera automatiquement son pédigrée et son authenticité).

Félicitons malgré tout l'équipe markéting d'Engie-Culturespaces, au moins de trois exploits : avoir convaincu le musée de Rennes d'abandonner pendant plus de 4 mois son tableau légendaire, le fabuleux "Nouveau-né", qui fait inévitablement toutes les affiches et les couvertures, avoir réuni à Paris une bonne part des La Tour disséminés dans les musées de province, et enfin avoir retrouvé l'insaisissable "Christ de Chancelade", copie d'un tableau de l'atelier de Honthorst, que l'auteur de Ce Blog traque sans succès depuis des années (et sans doute pour longtemps encore puisqu'il n'ira pas le voir au 158 boulevard Haussmann).     

Allez, on ne dira plus un mot sur cet évènement en toc, cette exposition qui se maquille en rétrospective en raclant les fonds de tiroir, et qui s'exhibe dans ce luxueux hôtel particulier comme dans un couloir du métro parisien aux heures de pointe. C'est promis !