mercredi 13 août 2025

De La Tour, la douche de l’automne (1 de 2)

Georges de La Tour, La bonne aventure (New York Metropolitan museum),
ce qui nous attend le 11 septembre prochain (détail).

Fidèle à une habitude ancienne - parler des expositions après qu’elles ont fermé leurs portes - Ce Blog innovera aujourd'hui dans l’inactuel, en jugeant une exposition qui n’a pas encore eu lieu. 
Elle ouvrira dans un mois, le 11 septembre 2025, et pour 4 mois et demi, au musée Jacquemart-André, au cœur de Paris. Et il faut dire que des fées - hélas pas totalement dégrisées - se sont penchées sur son berceau.

La première fée, celle qui, depuis que l’Institut de France lui a confié les clefs du musée Jacquemart en 1996, organise ses expositions, c’est la fameuse Culturespace, cette entreprise qui vulgarise les œuvres déjà populaires des musées, en en projetant des reproductions mouvantes sur les murs de lieux divers et inappropriés, inondées des musiques et des commentaires appropriés. 
Filiale d’Engie, anciennement Gaz de France, on imagine sa science de la peinture. Qu’on se rappelle sa catastrophique exposition Caravage sans Caravage en 2018, et en 2025 dans le même musée, cet éloge de la médiocre fille du peintre Orazio Gentileschi. Sa spécialité est le markéting et le montage de faux évènements culturels. Avec ses déboires auprès de la justice (entre autre pour parasitisme) et ses pratiques douteuses, c’est un peu le retour de la Pinacothèque de Paris de triste mémoire. 

La seconde fée, soutien financier de l’exposition, c’est la fameuse banque Natixis, experte également, mais plutôt spécialisée dans les erreurs de gestion, de management, et de placements dit l’encyclopédie, sauvée de la crise financière de 2008 par les "finances publiques".

Dans les locaux exigus du musée Jacquemart illuminés par ces deux insignes magiciennes, on se prépare à vivre une "rétrospective inédite", dit la presse passe-plat ; trois ou quatre tableaux illustres parmi une vingtaine d’œuvres mineures d’un peintre inestimable et rare, saucissonnées avec d'autres toiles secondaires dans 4 petites pièces (environ 200 mètres carrés au total). Imaginez, ou revivez peut-être, ce que cela représente de faire entrer au chaussepied 30 ou 40 personnes dans une pièce de 50 mètres carrés.

Alors vous vous interrogez : comment pensent-ils nous attirer dans pareil traquenard, quel baume y apaiserait un tel calvaire ?
C’est là qu’interviennent la méthode de Culturespace, et les médias, même spécialisés, qui diffusent les yeux fermés sa publicité prémâchée, additionnant erreurs, mensonges et omissions. 

Et c’est la question que nous examinerons dans la prochaine chronique :
Y a-t-il une bonne raison d’aller se détruire l'humeur au musée Jacquemart-André cet automne ?



Georges de La Tour, La bonne aventure (autre détail).

mardi 5 août 2025

Histoire sans paroles (57)

   
Histoire sans paroles ? Pas vraiment ; les légendes ne manquent pas sur ce mégalithe inattendu au coin d’une cathédrale.

Voilà 4 ou 5000 ans, quelque part au bord d’un fleuve qu’on appellera la Sarthe - une des trois grandes rivières qui confluent avant de se jeter dans la Loire - près d’une petite industrie lithique d’avant l’homo sapiens, un groupe d’humains assemble et érige quelques mégalithes sur une butte, un dolmen dit-on, et un menhir.  

Du temps passe. Sur la colline, autour du monument, une ville a grandi que les Romains viennent civiliser, puis défendre d’une enceinte qui peu à peu s’effrite, pressée par la ville médiévale. Près des mégalithes est alors bâtie une cathédrale, hétéroclite parce que la construction prendra des siècles. 

Un jour incertain, le menhir d’une dizaine de tonnes est déplacé à l’angle nord-ouest de la cathédrale, et le dolmen disparait. Une légende fait remonter ce jour au temps de Charlemagne et de la première église, une autre à l’époque de la construction de la partie occidentale romane de la cathédrale, au 12ème siècle. 
François Dornic, qui a dirigé l’édition de l’Histoire du Mans et du pays manceau, chez Privat en 1975 et 1988, connait la vérité. Il place ce jour exactement en 1778, dit l’encyclopédie Wikipedia. Peut-être aura-t-il trouvé l’information chez le très érudit André Bouton, dans "Le Maine, Histoire économique et sociale", vers 1962.
Ailleurs on ajoute que l’opération aurait été commandée par le clergé pour faire cesser l'autre superstition, les rituels païens, si près de la cathédrale. 

Mais dans le copieux journal de Nepveu de La Manouillère, chanoine à la cathédrale du Mans, l’année 1778, où il décrit avec force détails gastronomiques et plus de 1000 mots les agapes offertes le 20 janvier à l’évêque du Mans (ne manquaient que les truffes), et où il décrit en une ligne le 20 mars la pendaison d’un homme qui s'était servi dans le tronc d’une église, l'année 1778 ne fait pas la moindre allusion à la pierre levée, ni les années autour de 1778.
C'est ce qu’un dessin de l’inépuisable Louis Boudan, aujourd'hui à la Bibliothèque Nationale de France, corrobore en démontrant que le menhir était déjà à l’angle de la cathédrale en 1695 (incidemment, le socle destiné à redresser le menhir et qui semble en agréger des débris n’existait pas en 1829).

Décidément, tout est à réécrire dans cette histoire.



lundi 28 juillet 2025

Van Eyck au Louvre, une expérience

Cette photo du panneau de Jan van Eyck tel qu’il est exposé au Louvre depuis sa restauration a été corrigée pour refléter le mieux possible l’impression ressentie sur place, notamment la luminosité et les couleurs, mais n'y cherchez pas les détails, vous savez maintenant où les trouver en taille réelle et en gigapixels. 



La décision

 
S’il économise depuis des décennies sur la maintenance du bâtiment, des canalisations, des ascenseurs, des sanitaires, et sur le personnel de surveillance - d’où un nombre toujours plus important de salles régulièrement fermées - le musée du Louvre est animé depuis une dizaine d’année par une frénésie de restaurations où il se dépense sans compter. On le pensait paralysé par la peur de la bavure, figé à jamais dans ses alignements de tableaux enténébrées, et on le découvre téméraire, s’attaquant aux défis les plus risqués, aux œuvres les plus sensibles, restaurant même des tableaux de l’intouchable Léonard de Vinci.

À l’exception évidemment de la Joconde, qui ne sera jamais restaurée et conservera définitivement ce teint bilieux au fond de son bocal, par crainte de perdre d’un coup les 20 000 visiteurs par jour (ou 30 000 selon les sources) qui ne viennent que pour l’entrapercevoir sur l’écran de leur téléphone.

D’où lui vient cette témérité ? L’évolution des techniques, des procédures, l’exemple des grands musées étrangers, l’arrivée d’Aglaé l'accélérateur de particules enterré sous le bâtiment ? 
Peu importe, elle a éveillé, pour qui avait renoncé aux visites devenues insupportables, suffisamment de désir pour accepter d’endurer encore une fois l’expérience épouvantable de la visite au Louvre. Car comment résister à contempler, presque dans l’état où ils ont été vus par le peintre, des chefs-d’œuvre comme le seul Van Eyck visible en France, le portrait d’Anne de Clèves par Holbein, le Gilles (ou Pierrot) de Watteau, et même la Nef des fous de Bosch, tous restaurés entre 2022 et 2024 ?  

Ne parlons pas des grandes machines de Delacroix que le Louvre lessive en série, si mal peints qu’ils devraient être restaurés en permanence.

Après des mois d’hésitation, vous vous décidez. Pour assurer la réussite de l’expérience, vous vous limitez aux 4 tableaux cités plus haut et ajoutez 2 friandises optionnelles que vous souhaitez revoir, disons l’Astronome de Vermeer et le portrait de madame Lenoir de Duplessis.  
 
La planification

Viennent alors la préparation de l’itinéraire et la détermination de la date de visite. C’est l’étape déterminante de l’opération. Vous devrez vous munir d’un accès à internet (obligatoire pour la réservation), d’un écran confortable, puis, sur le site du musée, du Plan d’ouverture des salles, et, sur le site du catalogue des Collections du Louvre, de la page consacrée à chacun des tableaux élus, où vous trouverez, pour chaque œuvre, le numéro de la salle où elle parait, que vous conserverez pour optimiser votre itinéraire. Sélectionner le lien sur ce numéro vous conduira à sa position sur le plan général du musée (aile et niveau).

Hélas le Plan d’ouverture des salles n’est pas un plan d’ouverture des salles. Il indique seulement l’ouverture ou non des secteurs qui regroupent les grandes périodes de l’histoire de l’art, et il n’existe aucun lien logique entre le numéro de salle et le secteur ; ainsi on ne vous dit pas "la salle 818 - où le catalogue situe le panneau de Van Eyck - est ouverte" ; on vous dit que le secteur intitulé "Peintures, Europe du Nord 1400-1650" est ouvert ; à vous de savoir que Van Eyck était un peintre d’Europe du nord actif sur cette période.
L’exercice devient délicat si vous cherchez un tableau d’un peintre suisse actif dans la 1ère moitié du 17ème siècle, Samuel Hoffman par exemple. Vous le supposez rangé dans le secteur Europe du Nord (puisque les autres choix ne sont que France ou Italie), mais vous hésitez entre "Europe du Nord 1400-1650" et "Europe du Nord 1600-1850", d’abord parce que le tableau date des années 1640, donc potentiellement dans les deux secteurs (oui, les périodes se chevauchent !) et surtout parce que le premier secteur est fermé le mercredi et ouvert le jeudi, quand c’est l’inverse pour le second. 
Si vous jérémiez on vous répliquera "Réservez votre entrée pour le dimanche, les deux secteurs sont ouverts, il reste sans doute quelques places disponibles." 

Vous l’aurez compris, cette étape demande un peu de concentration et beaucoup de temps à perdre. Alors limitez votre visite à quelques œuvres. En s’arrêtant aux 4 tableaux récemment restaurés visés ici, vous constaterez déjà, en excluant les irrespirables weekends surpeuplés et la saison touristique, qu’ils ne peuvent être vus, en une seule visite, que les vendredis (et même pas en nocturne), et que l’itinéraire, en papillonnant un peu, occupera pleinement votre visite.  

L’expérience

Vous réservez donc votre visite pour un vendredi matin dès 9 heures, ou au moins dans la matinée, afin de pouvoir contempler sereinement vos favoris ; les écoles française et d’Europe du nord du 15ème au 18ème siècles sont toujours calmes et quasi désertes en semaine, le matin, et les files d’attente très nettement réduites.

Pour éviter de parcourir un nombre épuisant de kilomètres, vous aurez sans faute optimisé les étapes de votre itinéraire sur le plan du musée ; il est immense et les salles dont les numéros se suivent ne se suivent pas nécessairement sur le plan ; il n’est pas rare, sur place, de ne jamais retrouver, sans l’aide du personnel surveillant, la salle qui suit ou précède numériquement celle où vous vous trouvez.  

Une fois dans le musée, vous serez harcelés par les impondérables : un ascenseur rétif, des toilettes en travaux, une personne de surveillance qui ajoute, en vous indiquant la direction d'une salle : "elle est probablement fermée, il est tôt, la personne n’est pas arrivée."
Vous y serez psychologiquement préparés, parce que vous aurez lu dans la téméraire enquête de M. Rykner qu'au Louvre, ça n’est pas parce qu’une salle est ouverte sur le plan qu’elle l’est dans la réalité, qu’un coup de chaleur intempestif (dans une salle à la climatisation déficiente), ou des travaux imprévus (souvent fictifs), ou un manque inattendu (mais chronique) de personnel, ne sont pas évènements si rares.

Malgré tout vous noterez, après avoir essuyé toutes ces épreuves, que votre sentiment devant ces merveilles est indicible, que la lumière est belle, que votre vêtement clair se reflète parfaitement dans les vitres dites "anti-reflets" qui protègent les œuvres, que votre appareil photo n’arrivera jamais à reproduire ce que vous voyez, et que la science de Van Eyck, en réalité sa magie, ne sera jamais dépassée.   

(et que la qualité des reproductions dans le catalogue des collections du musée est encore plus honteuse que vous ne le pensiez, pire que des photos de touriste) 

Enfin vous remarquerez que l’Astronome de Vermeer n’était pas là, exilé pour de longs mois dans une exposition au Mucem de Marseille, alors qu'on avait refusé de le prêter à la monumentale rétrospective d'Amsterdam en 2023, que madame Lenoir, qui pourtant a toujours été d’une exemplaire fidélité, n’était pas au rendez-vous, conviée jusqu’à l’automne à une rétrospective Duplessis à Carpentras, et que vous auriez dû préparer un peu plus soigneusement votre visite.

samedi 19 juillet 2025

Le 5ème Baugin

Lubin Baugin, Nature morte aux financiers v.1630, 60cm. En vente chez Vichy-Enchères le 16 aout 2025 à 13h45.

Le cliché de Vichy-Enchères n’étant pas présentable dans un blog sérieux et réputé, les innombrables défauts dans la couche de vernis qui la constellent de petits reflets insupportables ont été estompés dans notre reproduction. De même, les couleurs ont été alignées sur celles du catalogue de la vente (PDF 9p.), plus douces et froides.

Le coin de mur à gauche, le manche du couteau, le pain, donnent l’impression que le panneau peint a été rogné pour s’ajuster à un cadre préexistant ; en page 9 du catalogue, la signature en partie cachée par le cadre n’est plus tronquée.



On apprend, chez Vichy-enchères, dans un copieux dossier bilingue de 30 pages, qu’a été découverte, dans une collection privée de la région, une nature morte jusqu'alors inconnue, la 5ème attribuée avec certitude à Lubin Baugin. C’est un évènement. La Gazette Drouot en imprime même deux pleines pages d’un verbiage débordant des poncifs du genre (réservé aux abonnés, depuis peu !). Il est vrai que la trouvaille est exceptionnelle et mérite l’emphase ; il faut relancer le marché qui depuis des mois s’essouffle.


Le peintre


Né vers 1610 dans une famille de notables marchands près de Pithiviers, peintre fameux en son temps pour ses tableaux et décors religieux peuplés de personnages maniérés à l’anatomie vague et molle, comme d’un Corrège en caoutchouc, Lubin Baugin a été vite oublié. Seules quelques-unes de ses œuvres étaient signées, d’une écriture cursive en lettres minuscules.


Or, lors de la mythique exposition "Les peintres de la réalité" à Paris en 1934, un autre Baugin était révélé, auteur de quatre magnifiques natures mortes classiques et sereines, dont trois signées en capitales ⬪ B A V G I N , dont deux exposées depuis au Louvre et prisées comme les plus beaux exemples de la nature morte française au 17ème siècle. Elles illustraient naguère encore nos livres de classe (pour des reproductions, indignes du plus grand musée du monde, et qui en revendique des droits d’auteur, voir justement le catalogue en ligne dudit musée. Les plaintes sont à adresser à la direction du musée).


La documentation réunie par les spécialistes a montré depuis que les deux Baugin ne faisaient qu’un, qui avait parfait sa formation à Paris dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés entre 1629 et 1632*, où il avait peint les natures mortes, puis était parti à Rome pour l’habituel pèlerinage du peintre, y était resté 9 ans, et obsédé par Reni, Raphaël et surtout Corrège, n’avait plus peint, jusqu’à sa mort en 1663, que des sujets de dévotion dans une manière affectée.

* Peut-être d’abord auprès de Louise Moillon déjà bien établie à Saint-Germain, dont Baugin peint, dans ce qui est considéré comme son premier tableau connu, la même coupe qu’on trouve dans les cerises de Moillon.   


Aujourd'hui le Baugin mièvre et sirupeux pour cours d’instruction religieuse n’a plus la faveur que de rares érudits raffinés, quand le rigoureux et parcimonieux peintre des fragiles vanités quotidiennes est admiré comme "pionnier dans l’émergence de la nature morte française", disent les manuels.


La vente


Certainement convoité, le tableau, estimé entre 200 et 250 000€, vient d'être retiré des "enchères en live" mais pas du catalogue de la vente. Sans en saisir clairement les conséquences, on voit se profiler le scénario du panier de fraises : interdiction d’exportation, préemption par le Louvre, couinements simulés de sa présidente en quête de finances, appel éventuel à l'artifice "Tous mécènes", générosité bien calculée d'un mécène marchand de sacs à main, exposition au Louvre avec toute la publicité triomphante qui convient.


Pour connaitre la suite de cette histoire, il vous faudra revenir sur cette page dans un mois, après le 16 aout, ou début septembre quand les médias se réveilleront. Une mise à jour la résumera peut-être si la destinée de ces friandises qu’on consommait jadis en entremets leur a semblé suffisamment croustillante. 


Mise à jour du 18.08.2025 : Rien de ce que nous avions présumé ne s'est produit ; pas de grande bataille d'enchères internationale ; dans la torpeur de ce long weekend caniculaire, à l'heure de la sieste, le panneau est parti contre 440 000€ hors taxe et commission. Réapparaitra-t-il un jour dans un musée ? 

jeudi 10 juillet 2025

Servitude posthume

Napoléon 1er sur son lit de mort, huile sur toile de Denzil Ibbetson, vendue 127 000$ (convertis) le 22 juin 2025 chez Osenat à Fontainebleau parmi 173 souvenirs napoléoniens.



[…] Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l’ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre, et pour la grandeur duquel vous ne refusez pas de vous offrir vous-mêmes à la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ?

[…] Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre. 

Étienne de La Boétie, Discours de la Servitude volontaire (vers 1550, publié en 1574 après le massacre de la Saint-Barthélémy)*



Denzil Ibbetson était un piètre dessinateur, mais le hasard l'a fait occuper un poste d’intendance dans le convoi de l’armée anglaise qui emportait Napoléon vers sa prison définitive, sur l’ile de Sainte-Hélène, après la bataille de Waterloo. Chargé de l’approvisionnement de l’ile, Ibbetson commençait dès 1815 un journal de notes et de croquis. C’est ainsi qu’il dessina Napoléon le matin de sa mort en 1821. Pressé par la demande il améliora ses esquisses pour finir par cette étonnante huile de 51 centimètres en illustration, épurée comme une caricature (gravée par Gibbs en 1855).


Napoléon y parait bouffi et le cheveu rare collé par la sueur. Les masques mortuaires prétendument moulés le surlendemain de la mort ne ressemblent pas à ce témoignage d’ibbetson (excepté peut-être celui du Royal United Service Institute). La polémique est probablement toujours vive sur l'authenticité de ces masques, notamment de l’officiel du Musée de l’armée, comme celles sur la localisation des restes de l’Empereur, ou sur son empoisonnement, qui courent les forums.


C’est dire que malgré la leçon de La Boétie on vénère toujours nos maitres, même éparpillés en morceaux qu’on pourrait croire inoffensifs, soigneusement restaurés, avec un prix sur l’étiquette.

C’est peut-être parce qu’on n’enseigne le Discours de la Servitude volontaire qu’au programme du Bac de français. C’est bien trop tard. Les enfants sont déjà serviles, farcis depuis 10 ou 15 ans des clichés de la télévision, la radio, les réseaux sociaux. Il aurait fallu leur inculquer sa leçon dès la maternelle, comme on le fait avec les absurdités des livres saints. 


Allons, relisons encore ce livre damné (qui est gratuit et qui se lit en moins d’une heure si on n’est pas trop découragé par le français du 16ème siècle et les pesants exemples mythologiques) :


On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais-eu. […] La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne. […] Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude.

[…]

Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie.

[…]

Il en a toujours été ainsi : cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. […] Ces six en ont sous eux six cents, qu’ils corrompent autant qu’ils ont corrompu le tyran. Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité. Ils leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers afin de les tenir par leur avidité ou par leur cruauté, afin qu’ils les exercent à point nommé et fassent d’ailleurs tant de mal qu’ils ne puissent se maintenir que sous leur ombre, qu’ils ne puissent s’exempter des lois et des peines que grâce à leur protection. Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui.

En somme, par les gains et les faveurs qu’on reçoit des tyrans, on en arrive à ce point qu’ils se trouvent presque aussi nombreux, ceux auxquels la tyrannie profite, que ceux auxquels la liberté plairait.


Un lectorat fidèle pourrait penser que l’auteur radote. Il a déjà fait un exergue de ce texte de La Boétie en 2012. En effet, et 13 ans plus tard on doit subir des maitres pires encore, et notre monde se détériore toujours plus. C’est bien le signe que personne ne l'a lu.