jeudi 27 février 2025

Histoire sans paroles (54)


Dans La connerie, un moteur de l'histoire, extrait du recueil Histoire universelle de la connerie, JF Dortier écrit :

"À Beauvais, l’évêque décide de construire la plus haute tour de toute la chrétienté : "Nous construirons une flèche si haute, qu’une fois terminée, ceux qui la verront penseront que nous étions fous." [en réalité cette citation, répétée par tant de sites qui parlent de Beauvais, est apocryphe. Elle n'existe dans aucune source d'époque et fleure bon la sensiblerie romantique] Terminée en 1569, la flèche de la cathédrale atteignait 153 mètres de haut. Elle n’est restée debout que quatre ans. Le jour de l’Ascension [1573], à la sortie de la messe, on entend un grondement : en quelques secondes, la flèche et le clocher [qu'elle surmontait] s’effondrent. Elle ne fut jamais reconstruite."

Pour mémoire, la voute du chœur de ladite cathédrale, terminée en 1272, encore aujourd'hui la plus haute parmi les cathédrales gothiques, à 48,5 mètres, s'était en partie effondrée en 1284 (voir quelques images de l'intérieur de l'infirme après 750 ans. Âmes sensibles s'abstenir).

jeudi 20 février 2025

Vaut le détour en 2025



Les musées où vous n’irez pas en 2025


Il y a bien longtemps que l’amateur de musées provinciaux*, devenu par force philosophe - ou peut-être l’était-il déjà, pour préférer les musées paisibles et inactuels - ne se formalise plus des déconvenues qu’il essuie régulièrement dans l’exercice de sa passion. 


* On aura regroupé dans cette expression de musées provinciaux ceux dont la vente des billets d’entrée ne produit qu’un revenu marginal, anecdotique, compte tenu du nombre modeste de visiteurs payants. On pourra ainsi trouver quelques musées provinciaux dans Paris même. Ce sont des musées dont la fréquentation est décente et la visite détendue, décontractée, pour tout dire, provinciale.


Soulagés de la pression des performances de fréquentation, ces musées peuvent administrer leur existence sans trop se soucier du visiteur, et c’est peut-être pour cela qu’on a toujours l’impression qu’ils ferment leurs portes pour de longues années de travaux précisément au moment où on espérait passer quelques jours dans leur région.

C’est évidemment un jugement biaisé. Tous les musées s’usent, et les plus fréquentés s’usent certainement le plus vite ; à Paris le musée d’Art Moderne de Beaubourg, qui enregistre plus de 3 millions de visites l’an, fermera cette année pour 6 ans, pour la deuxième fois en moins de 50 ans d’existence (et on sait que ces longs projets sont systématiquement sous-évalués, pour être approuvés plus facilement par les décideurs) ; On se rappellera également que le plus grand musée hollandais, le Rijksmuseum à Amsterdam, qui n’est pas un musée provincial, fut presque totalement fermé de 2003 à 2013. 


Les motifs de fermeture, évidemment légitimes, sont toujours les mêmes. Citons, pour résumer, les explications du musée de Toulouse, poncifs réutilisables partout sans copyright "De nouveaux travaux se sont avérés absolument nécessaires ces dernières années afin de résoudre des problèmes structurels, d'améliorer l'accessibilité du musée et de répondre aux normes récentes de sécurité et de protection incendie*. Ces chantiers successifs intègreront aussi des travaux pour répondre plus spécifiquement aux nouvelles attentes des publics en termes de confort, de parcours de visite, d'accès et de mise en valeur des collections."


* Un lectorat espiègle verra de l’ironie dans le motif répondre […] aux normes de protection incendie, qui sait que la plupart des incendies dans les monuments historiques surviennent justement pendant des travaux de réfection, comme en 2019, quand une défaillance électrique faillit être fatale à la cathédrale de Paris.  


Aussi, pour éviter en 2025 ces déceptions qui nuisent tant à l’égalité de l'humeur, il conviendra, si vous êtes avides d’art, d’histoire et de sciences naturelles, de préparer avec soin vos pérégrinations muséales. 


Voici quelques exemples de villes françaises à éviter, hélas, en 2025 :


Bayonne : le Musée des beaux-arts, musée Bonnat-Helleu, célèbre naguère pour ses collections de peintures et de dessins, est fermé depuis 2011 ! Et sa réouverture est prévue pour l’été 2025 ! Ne vous y précipitez pas, prenez des garanties avant de faire le voyage.


Beauvais : le Musée de l’Oise, MudO est ouvert. Mais depuis 2020 le beau palais Renaissance est fermé pour travaux sans date claire de réouverture, à l’exception d’une petite aile presque vide dont l’entrée est gratuite.


La Rochelle : le Musée des beaux-arts est fermé depuis 2018 - et rouvrira un jour "La rénovation du bâtiment devient alors un projet majeur avec de multiples enjeux, et sa réouverture dans les prochaines années n’en sera que plus spectaculaire. L’une des particularités du musée est son importante collection d’œuvres qui ne pouvaient être exposées qu’à 10%, faute de place. Gagner des mètres carrés est un des enjeux parmi d’autres de la future rénovation." Ne pas citer de date pour la réouverture est prudent. On lit parfois 2026…


Le Mans : le musée de Tessé, d’art et d’archéologie, est fermé depuis 2016 (à vérifier) ; des article du Journal des Arts et d’un journal local détaillaient en 2022 les bouleversements muséologiques planifiés par la mairie jusqu’en 2026 ; réorganisation inintelligible, articles incompréhensibles ; trouver des informations fiables sur les musées manceaux est une aventure en soi. Il est pourtant possible que le musée soit actuellement ouvert (peut-être même depuis 2024, quand on apprend qu'il ferme accidentellement) ; on est cependant rassurés d’apprendre sur le site que le musée ouvre presque tous les jours aux horaires habituels, mais l’année n’est pas précisée.


Nancy : le Musée lorrain, parmi les plus importants musées d’art et d’histoire en France, se proclame-t-il,  n’expose plus ses 5 exceptionnels tableaux de Georges de La Tour depuis le lancement de la rénovation du Palais des ducs de Lorraine, en 2018. Les polémiques patrimoniales et divers obstacles juridiques semblent dissipés depuis 2024 seulement, mais la date de réouverture en 2029, annoncée dès 2018, est maintenue malgré le temps perdu.


Sens : le Musée de Sens est fermé en 2025 et rouvre en 2026, dit un laconique message de vœux. Vous ne verrez donc pas avant 2026, au mieux, cette superbe vue, par Adolphe Guillon, de la colline de Vézelay en contrejour coiffée de sa célèbre basilique vers 1880 (illustration ci-dessus).


Valenciennes : la très belle et riche collection du Musée des beaux-arts était invisible en 2014 et 2015 pour des travaux de rénovation, puis à nouveau depuis 2021 (à quelques interruptions près) pour des travaux de rénovation encore plus nouveaux et monumentaux, en application de grandes méditations qu’on découvre dans le verbiage creux d’une jolie brochure diffusée par la mairie (lire le résumé page 17 suffit). L’objectif est d’accompagner l’entrée du musée - qui ne sera alors plus un musée mais un lieu de vie - dans le 21e siècle. Quelqu’un pourrait prévenir la municipalité que ce siècle est déjà bien entamé et qu’il s’agirait d’accélérer un peu le mouvement si on ne veut pas devoir en changer le numéro dans les publications.   


Toulouse : le Musée des Augustins, le grand musée des beaux-arts de Toulouse et de la région, est fermé pour travaux depuis 2018-2019. On constate, en lisant le programme des travaux de rénovation, qu’ils s’apparentent à la refonte conceptuelle du musée de Valenciennes, quand on rencontre au détour d’une phrase l’expression "Nouveau projet scientifique et culturel", qui est le titre mot pour mot de la brochure de Valenciennes. Formalisme imposé par le ministère de la Culture qui permet aux municipalités qui font semblant d’y croire d’obtenir des aides financières ? Peut-être. Là encore la réouverture annoncée fin 2025 n’est pas crédible. 


***


N’oubliez pas que cette liste n’est qu’un échantillon, et pensez en organisant vos flâneries, qu’une pratique courante des musées est de réorganiser des étages complets en oubliant de prévenir le client, qui a royalement droit une fois sur place à la visite d’un demi-château de Châteaudun, d’un tiers des peintures du musée de Dijon, d’une moitié moins intéressante du musée de l’Œuvre à Strasbourg et d’un demi-musée de Pau (expériences vécues ces dernières années).


Ça s’appelle la stratégie des tranches de travaux. Ce fut la méthode, de 2016 à 2021 et plus, du musée des beaux-arts d’Orléans qui a ainsi réorganisé les cimaises, refait les peintures (des murs), et ajouté de longs cartels bavards en petits caractères mal éclairés, au sol au pied des tableaux, le tout sans fermer ni faire baisser la fréquentation du musée (en l’occurrence d’un demi-musée), qui s’est maintenue autour des 200 visites par jour, dont 50 payantes, moyenne stable depuis 20 ans. 


Aussi, après avoir conseillé de vous détourner des villes dont le musée est fermé en 2025, cette chronique finira sur une note positive, un conseil de visite. Car cet agréable musée provincial des beaux-arts d’Orléans, dont la faible fréquentation est injuste*, expose quelques merveilles par Reni, Le Nain, Santerre, Van Loo et une incomparable série d’esquisses par Cogniet (comme cette Salle de billard du château de Boursault vers 1860, en illustration ci-dessous). 

Et surtout, allez-y exactement en 2025 : une refonte totale a été annoncée par sa directrice pour 2026 ou au pire 2027, avec la traditionnelle fermeture totale pendant 5 ans, environ.


Rappelons aux connaisseurs que c'est le seul musée à avoir jamais réuni dans la même pièce 
pendant plusieurs mois, en 2002, les 4 natures mortes de Lubin Baugin. 

 

dimanche 9 février 2025

Améliorons les chefs-d’œuvre (30 Grünewald)

     

Il est né vers 1475 à Würzburg près de Francfort, aujourd'hui au cœur de l’Allemagne de l'ouest, et mort en 1528 à Halle près de Leipzig, au cœur de l’Allemagne de l'est. On ne connait pas son nom. C’est peut-être Mathis Gothart Nithart, mais personne n’est certain de cette identité. Aujourd'hui on l’appelle Matthias Grünewald.

On lui attribue un nombre très réduit d’œuvres, dont le retable d’Isenheim (ou Issenheim, en France, au sud de Colmar), 37m² de panneaux spectaculaires peints à la demande des Antonins, moines hospitaliers du couvent de la ville. Longtemps attribué aux meilleurs peintres allemands de son temps, notamment Holbein puis Dürer, c’est un chef-d’œuvre prodigieux dont on se demande s’il n’a pas été conçu sous l'emprise des effets hallucinogènes de l’ergot du seigle, un des symptômes de la maladie dont il était censé apaiser les souffrances par la contemplation de ses visions fantastiques.


C’est un objet unique dans l’histoire de l’art occidental, comme le polyptyque de l’Agneau mystique de Van Eyck, et comme lui, comme pour les plus belles réalisations de l’humanité, on pourrait s’attendre à en trouver sur internet des reproductions de haute qualité, histoire d’informer les centaines de millions d’humains qui ne pourront se rendre au musée de Colmar, de l’existence de cette merveille.

Hélas Colmar, se trouve en France, le pays où le site du plus grand musée du monde ne publie que de médiocres images de ses collections et s’approprie des droits de reproduction sur les œuvres du domaine public, et où des musées interdisent encore aux visiteurs de photographier les œuvres exposées pour vendre quelques mauvaises cartes postales.   


     

Après la récente restauration, de 2011 à 2022, pas réellement indispensable vu le bon état du retable, et qui a été un peu longue et mouvementée parce que tout le monde, dont le Louvre, voulait sa part du gâteau, le site internet du musée de Colmar ne pouvait pas continuer à en présenter de médiocres images fanées. 

Et il a effectivement fait l’effort de déposer un peu n’importe comment sur des pages désordonnées, là des vidéos de journal télévisé sur la restauration, ailleurs quelques détails avant et après, et plus loin une série de nouvelles reproductions du retable, dans une résolution moyenne, perdues dans le labyrinthe incompréhensible d'une interface arriérée qui permet - quand ça fonctionne - d'agrandir des détails dans une qualité un peu moins moyenne et dans une fenêtre minuscule.   


Alors, devant cette ergonomie du siècle dernier, quand des images de bonne qualité sont disponibles sur le site mais quasiment introuvables pour l’internaute honnête, leur réunion, dans une présentation simple des trois configurations du retable et dans la plus haute définition actuellement disponible, s'imposait (on sait que le Louvre en a fait une campagne photographique en très haute résolution, mais il est bien possible que le public, qui a payé ces travaux, n’en voie jamais la couleur).


     

Les 3 images en lien ci-dessous du retable à l'état fermé, mi-ouvert et ouvert, mesurent entre 10 000 et 16 000 pixels et demandent 20 à 30 mégaoctets ; leur chargement peut prendre quelques secondes. 

La résolution des images est très bonne pour les panneaux peints (loin du niveau Gigapixel cependant), mais dans les états mi-ouvert et ouvert les sculptures de Nicolas de Haguenau n'existent que dans une résolution moyenne, c’est pourquoi est joint le montage des bustes des apôtres sans fond et dans une meilleure qualité : 


 Grünewald, retable d’Issenheim fermé (musée Unterlinden, Colmar) 

[Lien fichier 13134 x 9211 pixels, 22 Mo]


 Grünewald et Nicolas de Haguenau, retable mi-ouvert 

[Lien fichier 16339 x 9317 pixels, 29 Mo]


 Grünewald et Nicolas de Haguenau, retable ouvert 

[Lien fichier 15742 x 9800 pixels, 24 Mo]


Nicolas de Haguenau, bustes sculptés des apôtres 

[Lien fichier 5258 x 1200 pixels, 1,3 Mo]



lundi 3 février 2025

Ce monde est disparu (17)

Pinel de Grandchamp, Orientale au chasse-mouche, huile sur toile 92x74cm. 
(52 000€ hors frais le 22.01.2025 chez De Baecque)
 

Louis Émile Pinel de Grandchamp, aspirant à être artiste, placé comme secrétaire à 30 ans auprès d’un haut fonctionnaire de l’empire ottoman - on ne sait par quelle mondanité - fera entre 1850 et 1865, sans génie mais avec un certain succès, le portrait peint des sultans, vice-rois, beys, personnalités et monuments des grandes cours orientales, de Constantinople au Caire en passant par Tunis. 

De retour en France il épuisera le reste de sa notoriété jusqu’en 1894 à remâcher ses souvenirs et les enjoliver dans le style plat et commun de la plupart de ces peintres qui ont séjourné en Orient encouragés par l’Empire et l’attrait de l’exotisme, et qu’on qualifie d'orientalistes. 


Parfois, rarement, se présente sur le marché de l’art quelque tableau que Pinel a manifestement soigné plus particulièrement que sa production courante.

C’était le cas chez De Baecque, le 22 janvier dernier, de ce portrait grandeur nature de femme orientale au chasse-mouche, aux lignes délicates et à l’éclairage raffiné, disparu contre 6 fois l’estimation moyenne, environ 70 000$ mérités, frais compris (notre illustration). 


C’était le joyau du contenu (par ailleurs médiocre) d’un appartement de l’avenue Foch, déclarait la maison de vente pour tenter de faire mousser l’ensemble (30% des lots restèrent invendus). 

Le portrait faisait l’affiche du catalogue. Son titre, "Odalisque à l’éventail", au relents d’esclavage et de harem, ne peux pas être dû au peintre, qui savait distinguer un éventail d’un chasse-mouche.

 

Et l’histoire n’aurait pas grand intérêt s’il ne rôdait autour de ce tableau un double fantomatique. 


Le 29 janvier 2021 était passé en vente publique, sous le même nom dOdalisque à l’éventail, un portrait de femme orientale au chasse-mouche signé Pinel de Grandchamp, petit tableau de 35,5 par 27 centimètres, avenant mais au style assez banal et sans relief.

Il réapparaissait fin 2024 (ou peut-être avant), rebaptisé "La Belle Orientale" sur le site de la galerie Segoura Fine Art, antiquaire reconnu du marché Biron, aux puces de Saint-Ouen. 

À ce moment était annoncée la vente du 22 janvier chez De Baecque, où on découvrait donc l’autre odalisque à l’éventail, sans doute inconnue auparavant, copie presque conforme de la belle orientale, mais incomparable dans ses dimensions, ses qualités et son réalisme (le visage, la main gauche, la cassette, les ombres). 

Quel tableau a été le modèle de l’autre ?

Le petit, la belle orientale, est sans doute une étude préparatoire, reportée ensuite sur le grand par mise au carreau. Ce dernier mesure 92 par 74 centimètres, 7 fois la surface du petit, mais leurs proportions coïncident exactement (voir l’image animée ci-contre). Le soin plus ou moins consacré aux détails vient de la différence de dimensions. 

Mais le petit pourrait aussi n’être qu’une copie, éventuellement par une autre main. 
Une étude physique approfondie des deux tableaux (avec radiographie) déciderait de leur chronologie. 
 

La Belle Orientale est toujours en vente, "en stock" sur le site de l’antiquaire. Elle a certainement été fort revalorisée par l’envolée des enchères sur sa belle parente, l’Odalisque à l’éventail.