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samedi 19 juillet 2025

Le 5ème Baugin

Lubin Baugin, Nature morte aux financiers v.1630, 60cm. En vente chez Vichy-Enchères le 16 aout 2025 à 13h45.

Le cliché de Vichy-Enchères n’étant pas présentable dans un blog sérieux et réputé, les innombrables défauts dans la couche de vernis qui la constellent de petits reflets insupportables ont été estompés dans notre reproduction. De même, les couleurs ont été alignées sur celles du catalogue de la vente (PDF 9p.), plus douces et froides.

Le coin de mur à gauche, le manche du couteau, le pain, donnent l’impression que le panneau peint a été rogné pour s’ajuster à un cadre préexistant ; en page 9 du catalogue, la signature en partie cachée par le cadre n’est plus tronquée.



On apprend, chez Vichy-enchères, dans un copieux dossier bilingue de 30 pages, qu’a été découverte, dans une collection privée de la région, une nature morte jusqu'alors inconnue, la 5ème attribuée avec certitude à Lubin Baugin. C’est un évènement. La Gazette Drouot en imprime même deux pleines pages d’un verbiage débordant des poncifs du genre (réservé aux abonnés, depuis peu !). Il est vrai que la trouvaille est exceptionnelle et mérite l’emphase ; il faut relancer le marché qui depuis des mois s’essouffle.


Le peintre


Né vers 1610 dans une famille de notables marchands près de Pithiviers, peintre fameux en son temps pour ses tableaux et décors religieux peuplés de personnages maniérés à l’anatomie vague et molle, comme d’un Corrège en caoutchouc, Lubin Baugin a été vite oublié. Seules quelques-unes de ses œuvres étaient signées, d’une écriture cursive en lettres minuscules.


Or, lors de la mythique exposition "Les peintres de la réalité" à Paris en 1934, un autre Baugin était révélé, auteur de quatre magnifiques natures mortes classiques et sereines, dont trois signées en capitales ⬪ B A V G I N , dont deux exposées depuis au Louvre et prisées comme les plus beaux exemples de la nature morte française au 17ème siècle. Elles illustraient naguère encore nos livres de classe (pour des reproductions, indignes du plus grand musée du monde, et qui en revendique des droits d’auteur, voir justement le catalogue en ligne dudit musée. Les plaintes sont à adresser à la direction du musée).


La documentation réunie par les spécialistes a montré depuis que les deux Baugin ne faisaient qu’un, qui avait parfait sa formation à Paris dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés entre 1629 et 1632*, où il avait peint les natures mortes, puis était parti à Rome pour l’habituel pèlerinage du peintre, y était resté 9 ans, et obsédé par Reni, Raphaël et surtout Corrège, n’avait plus peint, jusqu’à sa mort en 1663, que des sujets de dévotion dans une manière affectée.

* Peut-être d’abord auprès de Louise Moillon déjà bien établie à Saint-Germain, dont Baugin peint, dans ce qui est considéré comme son premier tableau connu, la même coupe qu’on trouve dans les cerises de Moillon.   


Aujourd'hui le Baugin mièvre et sirupeux pour cours d’instruction religieuse n’a plus la faveur que de rares érudits raffinés, quand le rigoureux et parcimonieux peintre des fragiles vanités quotidiennes est admiré comme "pionnier dans l’émergence de la nature morte française", disent les manuels.


La vente


Certainement convoité, le tableau, estimé entre 200 et 250 000€, vient d'être retiré des "enchères en live" mais pas du catalogue de la vente. Sans en saisir clairement les conséquences, on voit se profiler le scénario du panier de fraises : interdiction d’exportation, préemption par le Louvre, couinements simulés de sa présidente en quête de finances, appel éventuel à l'artifice "Tous mécènes", générosité bien calculée d'un mécène marchand de sacs à main, exposition au Louvre avec toute la publicité triomphante qui convient.


Pour connaitre la suite de cette histoire, il vous faudra revenir sur cette page dans un mois, après le 16 aout, ou début septembre quand les médias se réveilleront. Une mise à jour la résumera peut-être si la destinée de ces friandises qu’on consommait jadis en entremets leur a semblé suffisamment croustillante. 


Mise à jour du 18.08.2025 : Rien de ce que nous avions présumé ne s'est produit ; pas de grande bataille d'enchères internationale ; dans la torpeur de ce long weekend caniculaire, à l'heure de la sieste, le panneau est parti contre 440 000€ hors taxe et commission ou 550 000€ tout compris. Réapparaitra-t-il un jour dans un musée ? 

mardi 27 août 2024

Tableaux singuliers (20)

JL Hamon, Cantharide esclave, 1857, huile sur papier marouflé sur toile 
(coll. musées de Compiègne)

Remerciements : la moitié des données de cette chronique proviennent de l’énorme thèse (2013) de 580p. (et les Annexes de 250Mo) de Mme Jagot (aujourd'hui directrice des musées de Tours depuis 2021), très documentée sur ce mouvement un peu fictif que fut le cénacle des peintres Néo-grecs.

Le tableau d’aujourd’hui est certes singulier pour mériter de paraitre dans cette rubrique, mais il est surtout, pour les rares spécialistes qui en avaient entendu parler, totalement inattendu. 

Ils le croyaient disparu quand Drouot annonça la vente le 31 mai 2024 "d’une collection inédite", la collection secrète d’un anonyme dont le produit serait légué à l’Institut Pasteur.
Et parmi des pièces de qualité médiocre à faible, et des estimations moyennes de quelques centaines d’euros (catalogue en PDF), il y avait cette Cantharide esclave de Jean-Louis Hamon, lot n°51, un petit tableau de 47cm, estimé 2 à 3000€.

Exposé sous le n°1297 au Salon du Louvre de 1857, où il avait été très remarqué, comme on le constatera plus loin, il n’était connu que par une gravure d’Édouard Rosotte parue dans l’Artiste (en 1859 ?) et dont on trouve des exemplaires dans de grands musées comme Philadelphie, ou pour 50€ sur eBay, preuve d’une certaine popularité. 

On (la critique, les salonniers) avait apprécié les premières œuvres de Jean-Louis Hamon, quand il exposait aux côtés de son ami Jean-Léon Gérôme qu’on découvrait alors dans son premier succès retentissant, le fameux combat de coqs du salon de 1847. On pensait que leur vie en phalanstère, avec Picou, Boulanger et quelques autres, et leurs thèmes d’inspiration antique, marqueraient les débuts d’un mouvement qui soufflerait un air frais et balaierait les derniers relents de la grandiloquente peinture d’histoire de monsieur David et du romantisme dégoulinant de Delacroix et Vernet, tout en se gardant de tomber dans les monstruosités du réalisme de monsieur Courbet.
On les appela alors les Néo-grecs, ou parfois les Étrusques, ou l’école de Gérôme, occasionnellement les Pompéiens, voire les Pompéistes, selon le degré d’appréciation.

À l’époque Hamon faisait déjà des tableaux aux couleurs douces, éteintes, aux lignes souples, aux formes parfois incertaines, et aux sujets allégoriques, tellement qu’ils en étaient nébuleux et que les critiques comprenaient peu les idées qu’ils exprimaient (on constate dans une correspondance citée par Mme Jagot que le peintre ne les comprenait pas vraiment non plus).
Monsieur Larousse, qui avouait sa faiblesse pour certaines des mièvreries du peintre, disait de lui dans son grand dictionnaire du 19e siècle "tout est si vaporeux […] c’est le rêve d’une ombre […] des compositions d’une grâce quelque peu nébuleuse, à notre sens un peu puérile, que néanmoins la gravure et la lithographie ont popularisées […] des œuvres à peine intelligibles et exécutées avec une telle sobriété de couleur, qu’elles ont à peine une apparence matérielle"

On n'a pas trouvé de reproduction acceptable des tableaux de Hamon sur internet (sauf son autoportrait du musée Magnin de Dijon, photo personnelle). Orsay en possède un de 3,15m qu’il expose. Nantes également (et un autre plus petit). Pour être sincère, même de cette dimension, on peut passer à côté sans les remarquer.
Le musée de Cleveland détient une curiosité, les 4 saisons, une pochade de la main des 4 fondateurs, Picou, Gérôme, Boulanger, et le mélancolique Hamon qui s’est vu attribuer l’hiver. 

En 1857 donc, année féconde, Hamon expose au Salon 9 tableaux avec des jeunes filles, des fleurs, des papillons, et sa Cantharide esclave. 
Sa peinture, qui n'a pas évolué, est jugée souffreteuse, hésitante, et surtout sibylline, indéchiffrable pour les salonniers qui ont mis une dizaine d’années à réaliser que ce qui rassemblait ces peintres néo-grecs, à part des ateliers communs, était uniquement leur penchant pour l’anecdotique et le sentimental. Cette école ne saurait jamais s’affirmer et affronter la crudité naturaliste de monsieur CourbetÇa n’était pas un mouvement, seulement un regroupement contingent d’individualités, qui s’est d’ailleurs effiloché quand Gérôme l’a quitté pour se marier avec une des filles d’Adolphe Goupil, le grand marchand et éditeur d’art international, et que les prix de ses tableaux devenaient indécents au point que seuls les américains pouvaient désormais les acheter.
À part Gérôme - et encore son renouveau est-il récent en France - tous ces néo-grecs ont été oubliés. On en rencontre parfois par hasard dans les musées de province, qui sont bien obligés, pour occuper leurs cimaises, d’accepter les aumônes que le Louvre leur concéde.

Or quand la critique s’aperçoit qu’elle s’est trompée, elle devient hargneuse. Et en 1857 elle s’est acharnée particulièrement sur Hamon et son coléoptère. Hélène Jagot rapporte dans sa thèse, par de nombreux extraits de presse, l’entêtement des critiques et des caricaturistes :
"La peinture hiéroglyphique de Jean-Louis Hamon”, sa "macédoine philosophique", "D’une nature très distinguée, très ingénieuse et très fine : il a toutes les qualités du monde ; il ne lui reste qu’à devenir peintre", "Hamon se creuse la tête et il invente la cantharide grand format, la cantharide grosse comme un bouledogue et enchaînée dans une niche à chiens.", "Ce n’est pas un jury de peintres qui aurait dû se prononcer sur un pareil cas d’aliénation mentale [...]. Le hanneton que M. Hamon, lui, a dans le plafond…", [On lui recommande] "un régime alimentaire plus riche [et plus loin un stage chez M. Courbet] pour être enfin en mesure de peindre correctement et d’abandonner les sujets trop enfantins"…

Deux ans plus tard, au salon de 1859Nous avertissions, il y a deux ans, M. Hamon qu’il allait se perdre. C’est fait. Il ne reste rien de M. Hamon. On ne peut imaginer un tableau plus vulgairement nul, plus lourdement insignifiant que son Amour en visite. Comme sujet, c’est toujours une pauvre petite charade bien prétentieuse; comme peinture, cela fait presque regretter ses anciens tableaux, qui n’étaient pas peints du tout, et qui n’existaient que par le contour.Et Daumier d'en faire alors une caricature où on voit l’Amour ailé pris d’embarras gastriques s’impatienter devant la porte des cabinets.

On peut effectivement déplorer l’inspiration doucereuse de Hamon et son talent de peintre limité, quand Gérôme, au moins, savait rendre spectaculaire n’importe quelle anecdote. Et la déception de la critique était peut-être attisée par la réception plutôt favorable de Hamon par la bourgeoisie aisée, et par l'État qui lui avait acheté plusieurs tableaux, dont les plus grands, Ma sœur n'y est pas de 1852 (Compiègne 1,56m.)la Comédie humaine de 1852 (Orsay), l’Escamoteur de 1861 (Nantes), et lui avait même accordé la croix de la Légion d'honneur en 1855. 
Malgré cela, Mme Jagot précise "Hamon, ne supportant plus les quolibets et voyant sa réputation – et sa situation financière – en pleine déroute, quitte la France quelques années plus tard". 
Il voyagera alors en orient, puis à Rome en 1863, et enfin s'installera à Capri - il est des exils plus cruels - et continuera à exposer irrégulièrement au Salon, toujours avec un petit succès, en ne perdant rien de son inspiration bisounours. Il mourra à 53 ans en 1874.

Hamon aura malgré tout vécu de sa peinture. Nombre des tableaux qu'il a vendus ne sont pas connus, ou sont dits de localisation inconnue quand on en a le titre par un catalogue ou par une reproduction en gravure. Comme la Cantharide esclave ils peuvent réapparaitre un jour, par exemple à l'occasion d'un héritage.

La véhémence de la critique envers la Cantharide esclave était exagérée. Ce petit tableau a quelque attrait.
La cantharide est une de ces pauvres bêtes prétendues aphrodisiaques depuis l’antiquité. Même Wiki, l’encyclopédie des familles, se garde de donner un avis médical, mais écrit immédiatement après, phrase ambigüe, que l’efficacité de la cantharide est douteuse et (mais !?) qu’elle peut entrainer de douloureux priapismes, urines sanglantes, vomissements, et la mort en cas de surdose ! À lire ses citations émoustillantes, de Sade à Mistral, on se demande comment l’espèce n'a pas déjà disparu, pour les mêmes raisons que le rhinocéros.
Le point de vue du peintre semble plus retenu. On soupçonne, à l’abandon mélancolique de la jeune femme, que la cantharide réduite en poudre, même à l'aide d’une dose démesurée, ne parviendra pas à susciter le désir de l’être qui la fait soupirer, ni à lui faire oublier sa propre langueur. 

Pour un regard contemporain qui a vu les centaines de milliers d’élytres de scarabée collées par Jan Fabre dans la Salle des glaces du palais royal de Bruxelles (retournez-vous et zoomez, ou levez le nez et zoomez sur le plafond et le lustre central), pour un regard submergé par ces surenchères du 3ème millénaire, cette petite scène languissante et énigmatique, imaginée par Hamon avant même les écoles symboliste et surréaliste, exhale une fraicheur un peu fanée méritant bien la préemption par les musées de Compiègne, qui emportèrent ainsi l'enchère du 31 mai 2024 contre 10 400€ frais compris.

Épilogue 

En réalité, le 31 mai, pour tous les amateurs et experts, la curiosité de cette vente inattendue n’était pas le discret n°51, mais le lot suivant, le n°52, surprise de la vacation, un tableau du meneur malgré lui de la classe des néo-grecs, Jean-Léon Gérôme. Un tableau découvert à cette occasion, inconnu même du catalogue raisonné du peintre, et en outre réellement singulier dans son œuvre, un tableau presque vide (comme la mort du maréchal Ney, ou Ils conspirent).
Il représente une petite barque de naufragés dans une mer d’un mètre sur 70 centimètres, d’un mouvement et d’un bleu franchement ratés (Gérôme n’a jamais été un coloriste très raffiné), peinte vers 1901, et que tout le monde appelle sottement "une épave". Il est parti contre 593 000$ frais compris, probablement pour l'étranger puisque le polémiste M. Rykner en réclame, après la vente, la préemption par le musée d'Orsay.

Peu importe, on l'aura oublié dans quelques mois, quand le délicat tableau de la Cantharide esclave, rafraichi, dans son joli cadre doré à festons ciselés, agrémentera peut-être un des somptueux salons déserts du château de Compiègne ou de son musée, sous les ors du Second Empire, précisément l’époque où le neurasthénique Jean-Louis Hamon dessinait ce songe singulier sur une feuille de papier et le coloriait légèrement à l’huile.


mardi 14 mai 2024

Œuvre incomplet ou incomplète ?

Ponce Pilate, préfet romain de la Judée dans les années 30 de l'ère actuelle, crucifiait de temps en temps un opposant à l’empire envahisseur, et notamment un délinquant vaguement prêcheur qui aurait mis un peu de désordre dans le temple et qui est devenu une célébrité posthume, faisant du même coup la notoriété de son juge. Dans l’illustration, Pilate désigne le coupable avant sa crucifixion en annonçant au peuple Voici l’homme - Ecce homo en latin. Les sources de cette histoire sont néanmoins peu crédibles. 


Vous aviez fait l’acquisition d’un beau livre aux belles reproductions et au titre définitif, "Caravage, l’œuvre complet, 40ème édition", qui se disait catalogue raisonné exhaustif et détaillé de l’œuvre du peintre. Ou peut-être était-ce un autre catalogue.
Et voilà que le musée du Prado de Madrid annonce exposer jusqu’au mois d’octobre prochain un tableau de Caravage que vous ne connaissiez pas et ne retrouvez pas dans votre catalogue.

Ça n’est pas le premier tableau redécouvert et attribué à Caravage qui manque au catalogue. 39 éditions l’ont précédé. Le phénomène n’est pas si rare. 
En 2014 une des multiples répliques de la Madeleine pénitente reparaissait, affirmée être l’originale par les responsables - légèrement manipulateurs - de la découverte. En 2019 à Cavaillon c’était l’apparition de deux Caravage du Luberon, et la même année se concluait la fantasque aventure de Judith décapitant Holopherne déclaré en 2016 Trésor national par le ministère de la Culture puis négligé et finalement abandonné au marché. 

Ces apparitions nimbées de suspicion font rarement l’unanimité des spécialistes sur leur authenticité, contrairement à celle que proclame aujourd’hui le Prado autour de l'Ecce homo qu’il expose comme un authentique Caravage des dernières années, vers 1605-1610.
On aurait même trouvé une trace écrite de son existence dans la collection de Philippe 4 d’Espagne en 1664. Les faussaires utilisent parfois ce type d’information pour mystifier les experts ravis de confirmer leurs hypothèses et ainsi moins méfiants lorsque l'œuvre est découverte. 

Il s’agit d’une huile sur toile de 111 centimètres par 86, de style caravagesque, représentant Pilate, le Christ couronné d’épines et un personnage le couvrant d’une étoffe rouge.
Repéré lors d’une vente de la maison Ansorena en avril 2021 sous le numéro 229, estimé 1500€ comme peint dans le cercle de Ribera, le tableau était alors interdit d’exportation en tant que bien d’intérêt culturel, expertisé et restauré sous contrôle public, acheté par un anonyme privé en 2024 et prêté au grand musée national pour y être exposé pendant 6 mois
Son authenticité en sera consolidée. Une 41ème édition du catalogue raisonné sera peut-être envisagée.

dimanche 11 juin 2023

Ce monde est disparu (4)


Le solstice d’été, le jour le plus long de l’année, approche, pas en Tasmanie bien sûr, où ce sera le plus court, mais dans les salles de ventes parisiennes, notamment. 
Cette année c’est le 21 juin, et les experts du cabinet Turquin et la maison Tajan en profiteront pour mettre en lumière une étonnante découverte ; il fera encore jour, entre 20h et 21h, quand ils présenteront aux enchères un nouveau tableau nocturne de Georges de La Tour ! Les experts, à quelques détails subtils, affirment qu'il représenterait un certain Jacques, saint de son état.

C’est entendu, il n’est sans doute pas de la main de Georges, c’est peut-être une copie du fils, il présente des détails un peu faibles, le bougeoir caché, la transparence du livre, un léger maniérisme, une préciosité qu’on attribue, comme pour les toiles de Nancy, Le Mans ou Nantes (*), à un hypothétique atelier dont on ne sait absolument rien - on n’ose pas imaginer une baisse de qualité de la main du maitre - mais on y trouve des traits superbes, le dessin des plis de la robe éclairés par la bougie, les mains... Et puis c’est un thème nouveau à ajouter à la courte iconographie de La Tour, et une couleur inattendue, ce rose soutenu, ou rose crevette vaguement corail, saumon peut-être, voire Pantone+ CMYK P37-xxU à P41-xxU, bref, disons rose orangé. 

(*La médiocrité de ces 3 reproductions est désolante, mais il semble qu’en la matière la félicité, en France, soit inaccessible : les photos des La Tour exilés dans les musées américains sont admirables mais les modèles sont très rarement visibles, quand les images fournies par les musées français sont lamentables mais on peut plus facilement visiter les originaux (quoique le nouvel éclairage artificiel rosâtre avec lequel le musée de Nantes irradie ses peintures du 17ème siècle depuis peu, donc ses trois La Tour - alors que la pesante peinture académique du 19ème y bénéficie des grandes baies de lumière naturelle - rend désormais cette visite déplaisante).

Dans l’histoire du peintre cette découverte n’est certes pas un séisme comme le fut celle de l’incontestable Jean-Baptiste en 1993 (au musée de Vic-sur-Seille), et malgré l’exclamation promotionnelle de M. Turquin "[ce tableau] modifie la compréhension que nous avions du grand peintre lorrain", il ne fera sans doute pas l’objet d’une préemption de l’État, alors que l’estimation autour de 135 000$, modeste, le permettrait. 

C’est tout de même une chose rare et de grande qualité qui rappelle que des retrouvailles sont encore possibles. Depuis 100 ans, après un oubli total de trois siècles, presque 80 œuvres ont été retrouvées, dont une bonne moitié attribuable à La Tour avec certitude.
Et le bon monsieur Cuzin, anciennement conservateur des peintures du Louvre, qui vient de publier en 2021 sur La Tour une somme que la publicité dit superbe mais qu’on ne peut pas même voir dans les librairies de province tant il est cher, devra encore revoir ses calculs.

L’évènement astronomique sera visible pendant 5 jours à l’Espace Tajan, 37 rue des Mathurins, Paris 8, du 16.06 au 20.06 (sauf dimanche), de 10h à 18h, et de 10h à 15h le jour du solstice et de la re-disparition du tableau, on ne sait vers où. 
Venez nombreux.

Mise à jour le 22.06.2023 : Pas de grande bataille mais toutefois une enchère de 427 000$, 3 fois les estimations, soit 561 000$ avec commission et taxes. Est-il disparu définitivement ?