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dimanche 30 mars 2025

La culture en supermarché

Le boulanger d’Eekloo, d’après van Dalem ou van Wechelen, c.1600 (coll. privée ?). Il existe une dizaine de versions de cette prétendue légende du boulanger d'Eekloo. La réalité était plus prosaïque : on expérimentait alors aux Pays-Bas les premiers supermarchés. L’organisation n’en était pas optimale et les spécialités étaient parfois confondues, primeur, perruquier, boulanger, charcutier.   


"Donner l’accès à la culture partout et pour tous" : c’est la rengaine de la ministre temporaire de la Culture. Autrement dit démocratiser la culture.


Comme les ministres qui l’ont précédée, on l’aura informée sur ces enfilades de salles du musée du Louvre où les surveillants sont plus nombreux que le public, quand au même moment on refuse l’entrée au 30 001ème visiteur du jour, parce qu’au premier étage de l’aile Denon, le 30 000ème tente de se frayer un passage dans la salle 711. Ce sont les consignes. 

Quand l’un des objectifs du ministère est de rentabiliser ce vieux patrimoine dont elle a la charge, on comprend que la ministre y voie une sorte de gaspillage. 

 

Le projet de la présidente actuelle du Louvre - isoler l’encombrante Joconde dans un circuit distinct, avec sa propre entrée, son propre tarif, et ainsi espérer satisfaire l’ambition à peine voilée de passer de 9 à 12 millions de visites par an - demandera des années de travaux et n’augmentera sans doute pas sensiblement  les visites dans les salles habituellement délaissées du musée. Parmi une population, la part qui s’intéresse aux choses du passé semble modérée et stable ; il suffit de compulser les statistiques de fréquentation des musées (on ne parle pas des expositions temporaires, qui attirent le public en proportion de la quantité de publicité mise en œuvre, quel que soit le sujet).


Mais voilà, quand on est ministre, ou quand on préside un musée, on croit encore que si les gens ne se pressent pas pour admirer les choses et les lieux qui ont imprégné notre propre vie, la culture officielle, c'est que leur méconnaissance et leur condition modeste les en empêchent, mais qu’ils en rêvent. 

Aussi, après d’incalculables réunions dépensées auprès de cabinets de conseil en stratégie, est né le projet "J’habite au Louvre" devenu en 2025 "Le Louvre au centre". Titres évocateurs et attractifs, puissance du marketing !

D'abord partenariat à Lille en 2022 entre le Louvre et URW, groupe immobilier qui possède des dizaines de centres commerciaux, puis fin 2024 à Villeneuve-la-garenne avec la présidente du musée en représentante de commerce, l'opération aura été récupérée par la ministre de la culture.


Ainsi au long de 2025, 6 centres commerciaux de la société URW, à Rosny-sous-bois, Dijon, Lyon, Paris, Rennes et enfin Lille, recevront, pour environ un semaine, 22 chefs-d’œuvre du musée du Louvre accompagnés d’un personnel d’animation et d'un dispositif d'appareils ludiques mais culturels, baby-foot culturel, boite à selfie culturel…


La liste des œuvres exposées n’est pas connue mais on remarquera sur les vidéos quelques locomotives du musée : la Joconde (ça alors !), la grande odalisque d’Ingres et son cadre d’une remarquable laideur, le Scribe accroupi, et des noms moins connus mais académiques et très tendance, comme Vigée-Lebrun, Flandrin, Benoist.

Levons tout doute afin d’éviter la déconvenue d’un public pointilleux : les peintures sont en réalité des photographies et les marbres sont en plastique.


Mais déambuler derrière un caddie plein des provisions hebdomadaires, parmi les posters de merveilles de l’histoire de l’art choisies spécialement pour nous, abandonner en toute sécurité les enfants à la garderie érudite du musée, pendant qu'on musarde dans le rayon des fruits et légumes, y a-t-il approche plus démocratique de la culture ? 


Et c'est bien la faute des dictionnaires si le mot vulgariser est proche synonyme de démocratiser, et synonyme exact de trivialiser.


samedi 10 août 2024

Orsay, un espoir ?

Détails de 4 tableaux du musée d’Orsay reproduits en haute définition sur le site "Google Arts & Culture" : 
Ingres, La source (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)
Degas, Répétition de ballet (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)
Monet, Coin d’appartement (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)
Vuillard, Comtesse de Polignac (lien sur le site d’Orsay, sur Arts&Culture)

On devra s’y habituer, les musées français, comme les italiens, ne nous dévoileront jamais leurs collections et leurs réserves avec des reproductions de haute qualité, gratuites et d’une définition suffisante pour en explorer les détails et la matière. Les grands musées anglais, américains, hollandais, nordiques, le font, pour certains depuis 20 ans.
On en a déjà parlé ici-même, c'est comme si une ligne séparait sur le globe les pays qui partagent leurs biens culturels avec générosité (jusqu’à rendre souvent gratuite l’entrée de leurs musées) et ceux qui les cachent jalousement. Des penseurs appointés l’expliqueront par l’influence de la réforme protestante, des philosophies utilitaristes, du libéralisme juridique qui en a découlé. Admettons. Le résultat est que les images et les idées anglo-saxonnes ont envahi les médias, les télévisions et tous les téléphones de la planète, pour le pire comme pour le meilleur, sans que les principes juridiques et l’esprit des institutions n’aient suivi. 

Et les grands musées français se situent du mauvais côté de cette ligne.
Rappelons qu’ils n’exposent au public qu’un centième, voire un millième de ce qu’ils détiennent (le Louvre conserve 250 000 dessins et n’en expose qu’une poignée par an), et que seule une fraction réduite et privilégiée du public a réellement accès à cette portion insignifiante de ces collections, qui appartiennent pourtant à tous. 
Hélas, si on se rappelle cette absurde polémique en 2021, quand un musée français décidait, pour être compris par un plus grand nombre, d’écrire les numéros des siècles ou des monarques en chiffres arabes sur ses cartels, en remplacement des absurdes chiffres romains, causant de virulentes critiques des médias notamment italiens le forçant à se justifier voire à renoncer, on réalise que le partage des biens culturels n’est pas près d’évoluer de ce côté de la ligne. 

Fidèle donc à ces principes arriérés et mercantiles, le musée d’Orsay, gardien des choses créées strictement entre 1848 et 1914, qui avait déjà interdit toute photographie dans son enceinte, nous inflige encore aujourd'hui, sur son site si poussif, des photos tellement médiocres des collections publiques que leur téléchargement, pourtant récemment autorisé, ne tentera jamais personne.  

Conscient peut-être de cette indigence, mais surtout sous la pression (probablement rémunérée) de Google et son impérialisme culturel, le musée a prodigalement accordé que le maitre d’internet publie 157 peintures de ses collections sur le site "Google Arts & Culture". Les reproductions sont d’une bonne qualité, pas toujours exceptionnelle, mais incomparables à celles du site du musée d’Orsay dont le catalogue se garde bien de signaler les œuvres qui sont reproduites sur Arts & Culture. Elles y sont évidemment protégées contre tout téléchargement (petit cadeau au fidèle lectorat, les 4 tableaux en haute définition ayant fourni les détails de notre illustration sont copiables ici).

Ce billet s’achèvera donc sur une note d’espoir : sur 5137 tableaux conservés par le musée d’Orsay en 2022 (sans parler des 48 000 photos, des dessins, pastels, sculptures…), 3% sont déjà reproduits et diffusés en haute qualité, pas sur le site du musée mais quelque part en ligne. Quand on sait que la photo numérique et internet n’existent que depuis 34 ans, à peine, ça fait réfléchir.

samedi 20 août 2022

Le marché au détail (1 de 3)

Lorsque parut en 1992 "Le détail, pour une histoire rapprochée de la peinture", livre de Daniel Arasse, médiatique historien de l’art, tout le monde s’exclama en chœur, reprenant le commentaire auto-promotionnel du livre, qu’il ouvrait un nouveau domaine remettant en question les catégories de l’histoire de l’art. Rien que ça !

En fait le brillant Arasse reconnut lors d’un entretien que c’était parce qu’il s’ennuyait tellement dans les musées, devant ces milliers de portraits identiques, ces paysages semblables et ces allégories religieuses vues et revues, qu’il s’était mis à y rechercher l’anecdote originale, le détail inattendu que le peintre ajoute, plus pour agrémenter son travail, pour éviter, lui aussi, l’ennui, que pour insinuer de profondes cogitations intelligibles aux seuls érudits - comme les rêvait monsieur Arasse. Il aurait même trouvé une tache équivoque (sans doute visible seulement de son esprit) sur la robe couverte de fleurs imprimées de madame Moitessier, qu’Ingres mit si longtemps à peindre, tache qui représenterait, d’après l’historien très inspiré par les billevesées freudiennes, le propre désir du peintre.

En réalité Arasse dans son livre n’inventait rien, sinon ses propres fantaisies. Il suffit de fréquenter un peu les musées et d’écouter les remarques du public, pour constater qu’il s’intéresse avant tout au détail, aux riens qui dévoileraient quelque intention de l’artiste. C’est une impulsion humaine et un biais commun que de voir des desseins partout. C’est même le rôle social de l’art que d’échanger ces points de vue hasardeux, comme au comptoir d’un bistro.
Arasse l’intellectuel, curieux comme tout le monde, a écrit ce livre pour justifier sa passion du détail et son penchant excessif pour le particulier et ses significations imaginaires. Il y échafaudait, comme dans ses autres livres, sur Vermeer par exemple, de laborieuses constructions intellectuelles et en déduisait des conclusions souvent discutables, mais si personnelles et érudites qu’il aurait été épuisant et inutile de les discuter. 

Conscient que tout commentaire non informé sur un objet d’art n’est que l’expression des préoccupations rarement palpitantes du commentateur, nous consacrerons trois chroniques à la présentation de détails d’œuvres passées sur le marché des ventes publiques ces dernières années, mais sans donner de lien vers le tableau entier, sans commentaire, sinon le nom de l’artiste, un vague titre de l’œuvre, et la maison ou la date de la vente. Ça reposera l’auteur de ces lignes, et un peu de recherche sur le site des maisons de ventes devrait permettre aux curieux de retrouver les œuvres en question.  

Aujourd’hui les détails seront panoramiques. On jugera peut-être que ce sont presque des vues d’ensemble, mais regardez bien, elles fourmillent de détails.


Liste des détails 


01 : Brandeis, Antonietta - Venise San Marco - Sotheby’s 2021

02 : Van der Heyden, Jan - Jardin Palatif - Sotheby’s 

03 : Robert, Hubert - Lavandières dans un palais - Sotheby’s 

04 : Shikler, Aaron - Wedding preparation - Doyle 2020

05 : Werner C. - Mur des lamentations - Sotheby’s 2021

06 : Barbault, Jean - Caprice romain - Sotheby’s

07 : Falcone, Aniello - Soldats en nocturne - Dorotheum 2021

08 : Coleman M.B. - In the Rockies, Blackfeet - Christie’s 2020

09 : Frère, Théodore - Caravane, La Mecque - Artcurial 2018

10 : Heilmaye, Karl - Venise - Dorotheum 2019

11 : Rieger, Albert - Miramare castle - Dorotheum 2020 

12 : Vida, Gabor - Alchimiste - Dorotheum 2020 

(voir de Vida de belles reproductions dans les commentaires plus bas)

13 : Vernet C.J. - Naufrage - Sotheby’s 2021 

14 : Goetzloff - Baie de Naples - Dorotheum 2021 

15 : Le Royer, Léon - Lecture - Millon

16 : Wyeth, Andrew - Ring road - Christie’s 2021



lundi 8 août 2016

Eckersberg et la réalité

En 1984, dans une ample exposition sur « l’âge d’or de la peinture danoise », le public français découvrait 54 œuvres de Christoffer Wilhelm Eckersberg. Au fil du temps il revoyait parfois quelques tableaux, comme au Grand palais à Paris en 2001, qui illustraient le thème des paysages d’Italie peints en plein air.
Aujourd’hui jusqu’au 14 aout 2016, la Fondation Custodia à Paris lui consacre une grandiose rétrospective de 80 peintures et une quarantaine de dessins.

Très marqué par ses années passées à Paris de 1810 à 1813, notamment dans l’atelier de David, Eckersberg manifestera toute sa vie une rigueur (voire une rigidité) des formes et des volumes dans sa peinture d’un monde limpide et léger, comme minéralisé, un monde voisin de celui d’Ingres (ancien élève de David) sans en maitriser autant les raffinements dans ses portraits de la bourgeoisie mais excellant dans ses petits paysages esquissés sur le motif et terminés en atelier.

Eckersberg, la villa Raphaël dans les jardins Borghese à Rome, 1815. Détail (Hambourg Kunsthalle)

Comme Ingres également Eckersberg aurait voulu être reconnu comme peintre d’histoire, genre le plus noble de l’époque. Mais comme Ingres il n’avait aucun sens du drame ni du pathétique, et pas un gramme de romantisme non plus. Il était fait pour les points de vue détachés, équilibrés, sobres.

On en voit l’évidence dans la salle de l’exposition consacrée à onze paysages romains. Eckersberg n’y montre jamais les vues les plus courues, ou alors sous des angles banals ou inhabituels et garnies de détails réalistes qui leur ôtent toute grandeur. Dans ses vues des ruines de Rome la profondeur des siècles s’évapore, l’histoire s’arrête l'instant d’une peinture.

On a jugés cruels ses portraits de la bourgeoisie. Ils étaient foncièrement réalistes. Professeur, devenu une célébrité au Danemark, directeur de l’Académie royale des beaux-arts, Eckersberg enseignait qu’il ne fallait pas chercher l’inspiration dans les tourments de l’esprit mais dans l'observation du monde comme il advient « Ne peignez que ce que vous voyez, mais dans les moindres détails ».

Et son petit tableau de 1836 (n°68 de l’exposition) intitulé « Figures courant sur le pont de Langebro au clair de lune » en est l’exemple abouti. L’eau est calme, l’atmosphère est paisible. Dans l'ombre du clair de lune on n’aperçoit pas tout de suite l’agitation des personnages qui courent ou s’exclament sur le pont. Le peintre ne montre pas le motif de leur alarme, et on ne le saura jamais.
L’histoire s’est arrêtée le temps d’une peinture.


Eckersberg, femme sur une balançoire en forêt, plume et lavis d'encre, 1810. Détail (Copenhague SMfK)

mercredi 16 octobre 2013

Revue de détails au Metropolitan (1/2)

Et encore un petit musée provincial qui, sur son site Internet, ridiculise le plus grand musée de l'Univers, notre Louvre vénéré, et aussi notre Orsay national, en se riant des principes immémoriaux de la République, à savoir qu'il faut présenter les musées et les œuvres par de mesquines vignettes de mauvaise qualité, prétendre que leur reproduction est prohibée, et interdire toute photographie au touriste de passage, histoire de vendre de la carte postale.
Inutile de revenir sur un sujet maintes fois traité dans Ce Glob est Plat.

Le souffle d'air frais vient aujourd'hui de l'immense Metropolitan museum de New York qui pulvérise décidément sur son site Internet les records de respect du bien public.

Toute la collection du musée y est à disposition (1). La recherche (en anglais) est simple. On clique sur une vignette, puis un autre clic et c'est le paradis. Sous un éclairage idéal, le nez sur l'œuvre, on déguste les détails les plus indiscrets.
N'écoutez pas le Grincheux en haut dans son nuage, faites glisser la souris et rouler la molette. Un dicton populaire, qui veut dire tout et rien, prétend que le Diable est dans les détails. Tant mieux. Dans un musée lointain qui regorge de merveilles, le visiteur fébrile est impatient de ne rien manquer, de sorte qu'il ne s'attarde sur rien, ne retient pas grand chose, et néglige tous ces détails qui ont pourtant demandé aux peintres tant d'attentions.

Le site du musée nous les offre sans restriction (2).

Ah, au fait, on dit que le visiteur, sur place à New York, a le droit de photographier tout ce qu'il désire. 

***
(1) Une tendance naturelle et certainement perverse de ce blog nous a fait explorer particulièrement les peintures occidentales, mais le Metropolitan expose de quoi satisfaire toutes les obsessions, antiquités, arts asiatiques, costumes, dessins, instruments de musique, photographies, sculptures...
(2) Dans la fenêtre appelée Fullscreen où vous zoomez sur l'image vous verrez en bas à droite une petite flèche blanche. Elle invite à télécharger une très grande reproduction de l'œuvre (3800 pixels). Par ailleurs un logiciel pour les appareils mobiles Apple offre de consulter et télécharger 1500 œuvres en très haute définition. 
 
 

1.1  Verrocchio et atelier - Madone et enfant 1470
1.2  Sargent - Madame X 1884
1.3  De La Tour Georges - La bonne aventure 1630
2.1  Metsys Quentin - Adoration des mages 1526
2.2  Vermeer - Portrait de jeune femme 1667
2.3  Sharaku - L'acteur Matsumoto Yonesaburo 1794
3.1  Schiele Egon - Portrait de femme 1910
3.2  De Predis - Fille aux cerises 1495
3.3  De La Tour Georges - Madeleine pénitente 1640



1.1  Villers Marie-Denise - Charlotte du Val d'Ognes 1901
1.2  Guardi - Capriccio
1.3  Van der Heyden - Huis ten Bosch à La Haye 1670
2.1  Van Ruisdael Jacob - Champs de blé 1670
2.2  Robert Hubert - Artistes ambulants
2.3  Frère Théodore - Vue de Jérusalem 1881
3.1  Corot - Hagar dans le désert 1835
3.2  Van Ruysdael Salomon - Près de Gorinchem 1646
3.3  Bingham - Deux marchands sur le Missouri 1845



1.1  Van Eyck et atelier - Crucifixion et jugement dernier 1435-40
1.2  Carpaccio - Méditation sur la passion 1490
1.3  Tiepolo Giovanni Domenico - L'enterrement de Punchinello 1800
2.1  Rothko Mark - White, Black, Rust, on Brown 1968
2.2  Ingres - Princesse de Broglie 1853
2.3  Kertész André - Fête foraine 1931
3.1  Eckersberg - Rue avec personnages à Copenhague
3.2  Ingres et atelier - Odalisque en grisaille 1834
3.3  Doré Gustave - Cavalier et cheval mort 

À suivre...