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lundi 11 janvier 2021

La vie des cimetières (98)


La pointe nord de la presqu’ile du Cotentin à l’ouest de Cherbourg, dans le département de la Manche, a toujours été faite de lande, de dunes, de fougères, et d’ajoncs. On y produisait des centenaires tant l’air était vif et sain. Quand la peste débarqua au port de Cherbourg en 1630, tous ceux qui se réfugièrent à Biville, 15 kilomètres vers l’ouest, survécurent. L’église y gagna quelques centaines de fidèles et un clocher neuf. Mme Renep, dont on ne sait rien d’autre, y serait morte en 1697 à 116 ans, dit le site de la mairie (dont l'histoire semble s'interrompre dans un article complaisant de la presse locale le 11 octobre 1963).

En juin 1940 l’armée allemande apprécia l’air vivifiant qui balayait les dunes et y construisit de solides édifices qu’elle nomma Mur de l’Atlantique. Quatre ans plus tard, au solstice d’été, elle partait soudainement, abandonnant étourdiment sur place un chaos de blocs de béton et de grands trous dans les dunes de Biville et Vasteville, parsemées d’engins motorisés hors service. 
L’espérance de vie dans la région s’était un peu dégradée.

Pendant une soixantaine d’années les militaires français continuèrent à y jouer seuls à la guerre, et puis, peut-être lassés d'attendre l’adversaire, ils nettoyèrent le champ de tir et le confièrent au conservatoire du littoral en 2013, laissant en souvenir les éternels blocs de béton qui ponctuent encore la plage, et dans les dunes un cimetière d'épaves d'engins états-uniens ou blindés Panhard, qui auraient dû disparaitre pour faire de la figuration au musée de Sainte-Mère-Église. Mais le budget n’a pas été réuni. Elles étaient encore là en juillet 2019, date des dernières images par satellite publiées (coordonnées des épaves : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.)


 
En 1966, l’industrie nucléaire militaire, qui demande des vents vigoureux et de fortes marées pour disperser les traces radioactives et les rejets en mer, installait au cœur de la lande, près du cap de la Hague, au nord, un Centre de retraitement du combustible et de stockage des déchets nucléaires français, puis européens et japonais.
En 1986 démarrait 15 kilomètres au sud après les dunes chaotiques, l’usine nucléaire de production d’électricité de Flamanville, un réacteur puis deux, puis le célèbre réacteur pressurisé européen (EPR), terrain de jeu de la technologie, du politique et de la finance depuis 2007, et loin d’être terminé tant ce petit monde s’y divertit.
Les deux sites sont interdits de survol, masqués sur les outils de cartographie et protégés en permanence par un système de lance-missiles.

Les mairies fantômes des 19 villages de la région, phagocytées par La Hague, et leurs offices touristiques, vantent les paysages austères, la flore et la faune, mais ignorent le cimetière des engins de guerre et les rapports parfois inquiétants des associations citoyennes de surveillance de la radioactivité. 
Les coquillages et les crustacés du littoral, qui ne lisent pas les rapports de l’ACRO, supportent sans dire un mot un niveau de contamination conforme aux normes européennes en cas d’accident nucléaire.

Il arrive qu’en passant au-dessus du site de la Hague les nuages dessinent des formes inattendues. Hallucinations ?

dimanche 6 juillet 2014

Coorte l'immobile

Coorte Adriaen, Nèfles au bord d'une table et papillon
(Collection particulière Hollande)

Adriaen S. Coorte était un peintre discret. On ne sait ni quand il est né, ni quand il est mort.
De 1683 à 1707 on trouve des traces de sa présence à Middleburg, ville côtière du sud-ouest hollandais, et un peu à Delft.

Vers 1950, Bol, un érudit qui le sortit de l'oubli, dénombrait 80 tableaux de sa main, généralement signés, parfois datés, peints sur papier et ensuite collés sur des petits panneaux de bois.

Alors que ses collègues de l'époque peignaient les natures mortes, métaphores des vanités de l'existence, à grand renfort de vaisselles luxueuses, de fleurs éclatantes et de restes de copieuses agapes, Adriaen Coorte n'a représenté, sur ces 80 petits tableaux, qu'un modeste et unique coin de table ou de cheminée, un rebord de pierre à peine éclairé de la gauche par un rayon de lumière.
Comme si, paralysé, il n'avait jamais vu du monde que les rayonnantes grappes de groseilles, les humbles nèfles, les asperges et les coquillages que quelqu'un déposait devant ses yeux, dans ce recoin de l'espace.

Y a-t-il vraiment autre chose à voir ?

Coorte Adriaen, Groseilles à maquereau sur un coin de table,
1701 (Cleveland Museum of Art)

Coorte Adriaen, Botte d'asperges et groseilles, détail
(Washington National Gallery of Art)

jeudi 10 janvier 2013

La vie des cimetières (47)


Dès que l'Homo Sapiens a commencé à « savoir », il s'est mis à décorer tout ce qui bougeait, et tout ce qui restait immobile. Et les coquillages furent parmi les premiers objets utilisés comme parure ou comme décoration.

À Malaga, en Andalousie, tout près de la mer, le visiteur du cimetière anglican de la paroisse de Saint George découvre en se promenant parmi les mille tombes un petit enclos solennel ceint de hauts murs, cimetière dans le cimetière, peuplé de cinquante sarcophages de briques rouges, pour la plupart anonymes. C'est le premier cimetière protestant fondé en 1831.

Chaque cercueil est surmonté d'une forme oblongue de pierres ou de ciment, tapissée de coquilles de coques géantes (1), laissant l'impression étrange que les corps des défunts ont été posés directement sur les sarcophages et abandonnés là.
Le temps et les grandes marées, ou quelque mystérieux rituel, les ont alors recouverts de centaines d'énormes mollusques qui les ont lentement momifiés.

(1) Cardium ou Cerastoderma, Bucarde, Coque des genêts, Hénon, Rigadelle, Fausse Praire, Ameijoa, Clica, Perdigone, Croque, et ainsi de suite...

samedi 30 décembre 2006

Misons sur la Grande peinture!

Le Louvre a bien raison de miser sur Rubens et de lui consacrer cette immense galerie rutilante à la gloire d'une grosse reine de France. Ce ne sont pas les asperges ni les nèfles qui attirent les euros du badaud, mais bien les anecdotes prétendument historiques et si possible allégoriques*, peintes au mètre carré, ou plutôt au mètre cube d'ors, de dégoulinantes soieries, et de viande humaine boursouflée. C'est un bon calcul. Adriaen Coorte peignait des fraises, des groseilles, des asperges, des nèfles, sur un coin de table en pierre, où venait quelquefois se figer un papillon égaré. On ne sait rien de lui, sinon qu'il vivait aux Pays-Bas entre 1680 et 1710. Ses tableaux sont petits, sa lumière précise, sa matière nacrée.

  Le Louvre possède deux tableaux représentant quelques coquillages, sur le même coin de pierre. Ils surgissent de l'ombre, dans une lumière chirurgicale qui leur attribue une réalité presque surnaturelle. Depuis des années, chacune de mes visites au Louvre est ponctuée d'une pause devant ces deux joyaux exposés en pleine lumière naturelle. Ils révèlent la féerie qui pare souvent la matière la plus quotidienne.

  Mais le Louvre a calculé que les coquillages ne rapportaient pas, au poids probablement. Il les a relégués dans une vitrine à l'angle d'un couloir lugubre, éclairés de deux petites lumières indigentes, dont l'une est en panne. On ne distingue plus la subtilité des coloris ni ces fins détails qui leur conféraient une telle présence. Qu'importe. À quelques mètres de là, sur les murs de la galerie de Médicis, resplendissent l'Histoire de France et ses trésors ruisselant d'étoffes enflées, de bijoux et de nacres.
***
* J'aime les consonances du mot allégorique. Il m'évoque une sorte de maladie où le corps exprimerait sans retenue toute sa bile, ses humeurs et ses viscères.