Mongin Antoine Pierre, Le curieux, 1823 (Cleveland Museum of art)
Déambulant
récemment dans les réserves des collections du Musée d'art de Cleveland, peut-être avez-vous découvert ce singulier tableau de
Mongin (Antoine Pierre).
Mongin était peintre en France à la fin du 18ème siècle et au début du suivant. Il aimait comme son collègue
Hubert Robert les pierres et les
statues que la mode gréco-romaine avait sorties du placard et que le romantisme naissant cherchait à dissimuler sous la végétation. Il y ajoutait des
nymphes dénudées, des soldats de
Napoléon, beaucoup d’
arbres, et
peu de talent.
On connait peu de peintures à l’huile de sa main, mais des gouaches, des lithographies et des
cartons de papier peint. Il fallait vivre.
"Le curieux", exposé au Salon de l’Académie de Paris en 1824 comme une "étude d’après nature", donné en 1977 au musée de Cleveland qui ne l’expose pas, représente la vue de toits (à Paris) et d’un homme en haut d’une échelle posée contre le mur d’une institution de jeunes demoiselles. Nonobstant le titre du tableau, la position dynamique de sa jambe droite semble indiquer que l'homme n’est pas un simple voyeur et qu’il pourrait bien franchir le mur.

Fin 2020, une donation également faisait entrer dans la collection de la fondation Custodia une
vue des toits de Paris près du Louvre par Mongin, semblable au tableau de Cleveland mais sans le curieux et son échelle, et que le
site de la fondation qualifie d’esquisse.
Esquisse ? En tout cas les deux sont des huiles sur papier collées sur toile, de mêmes dimensions, et l’effet de contrejour sur l’esquisse est plus subtil que l’éclairage direct assez plat de l'autre.
Ces
esquisses ou études, parfois très abouties comme ici, étaient faites sur place, devant le motif, puis servaient de modèle pour des tableaux plus ambitieux réalisés dans le confort de l’atelier. Elles étaient considérées comme des croquis qu'on n'exposait pas dans les salons
(il n’y a pas si longtemps que le Louvre expose une série d’études de paysages que Pierre de Valenciennes peignait à la même époque).
Elles se pratiquent beaucoup moins depuis l’invention de la photographie.
Pour attirer l’attention du bourgeois au Salon avec un paysage, il était alors conseillé d’y situer une anecdote avec des personnages, si possible moralisante, ou à la rigueur grivoise. C'est ce que fit Mongin.
On remarque nettement en zoomant sur le personnage (les lignes horizontales sur le pantalon noir), qu’il a été ajouté après coup, avec quelques plantes, sur un mur déjà peint et sec, et on peut aisément en déduire que Mongin avait réalisé deux études (au moins) de ce point de vue à des heures très différentes et qu’il a choisi plus tard celle de Cleveland, y a greffé l’anecdote et amélioré certains détails, pour l’exposer au Salon.
Notre époque a tendance à préférer la vue naturelle, le paysage pur, à le trouver plus artistique, plus essentiel, et à se rire de l’anecdote. Peut-être se trompe-t-elle, en se privant inutilement d’une dimension. Les ruines d’Hubert Robert deviendraient sans doute démonstratives et ennuyeuses si ne s’y affairaient ces nuées de
lavandières indifférentes.