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dimanche 13 février 2022

La vie des cimetières (103)

L’histoire du vivant est un interminable développement erratique, mais ininterrompu, de la bactérie à l’humain. Aussi il n’est pas étonnant que des gestes qui s’apparentent à un comportement funéraire aient été observés chez des animaux, comme le corbeau, le singe bonobo, ou l’éléphant. Dans 500 ans d’imposture scientifique, G. Messadié cite « la naturaliste Daphne Sheldrick, qui rapporte que les éléphants retournent pendant des années sur les restes d’un congénère mort et les couvrent de branchages, ébauche d’un rite funéraire ».

Thierry Ripoll, chercheur et enseignant en psychologie cognitive, sait comment et pourquoi ces comportements rituels rudimentaires se sont développés en de délirantes fabulations dans le cerveau humain. Il a rassemblé et savamment commenté les connaissances en la matière dans un livre limpide paru fin 2020 « Pourquoi croit-on ? Psychologie des croyances ».

Il y distingue dans le cerveau un système intuitif, archaïque, émotionnel et affectif, spontané, économe en énergie, usant de certitudes profondément ancrées, et un système analytique, apparu sans doute tardivement avec le langage, lent, non spontané, prodigue en énergie et fonctionnant par raisonnements logiques. Ripoll n’a pas inventé ces deux modes de pensée, les auteurs et les expériences qui attestent de leur existence pullulent. 

Le système intuitif est le circuit par défaut. Prioritaire, il est employé par réflexe. C’est le vieux système instinctif, qui ne s’embarrasse pas à calculer l’angle de fuite optimal lorsqu'il voit qu’il peut compter les caries dentaires du tigre. Il ne s’encombre pas des questions de logique, trop complexes. Il a ses propres réponses, qui remontent à un passé lointain, souvenirs personnels ou ancestraux, réponses fondées sur une vision simplifiée du monde imitée de ce qu’il perçoit de son propre fonctionnement. Il masque les apparentes incohérences de la réalité par des interprétations imaginaires qui n’ont pour objectif que de se rassurer, de dissiper les angoisses.
D'après l'auteur c'est l’état normal du psychisme humain de croire instinctivement qu’il y a deux mondes distincts, l'esprit immatériel qui pilote et le corps qui exécute, et que le monde matériel ne fonctionne pas de manière aléatoire mais dirigé par des volontés invisibles. 

Le système analytique de son côté est un truc récent assez expérimental, que le cerveau n’utilise que s’il a des loisirs et le temps de réfléchir ; il le sollicite le moins possible parce qu’il consomme beaucoup d’énergie et n’arrête pas de se poser des questions qui remettent en cause les convictions du système intuitif, sans apporter de réelles certitudes, ce qui ne fait qu’ajouter au stress.


Il y a une vie après la mort, c'est ce que démontre cette installation dans une galerie du cimetière monumental Staglieno à Gênes, en Italie. Les défunts attendent dans de confortables casiers capitonnés. À l ‘appel de leur nom - impossible de frauder, leur identité est vérifiée sur le couvercle du casier - ils descendent les quelques degrés de l’échelle qui s’est automatiquement positionnée sous leur casier et gravissent les marches de l’escalier mobile d’embarquement déjà en position sous un hublot. Là, ils attendent sur la plateforme le prochain départ vers l’au-delà. Les vols sont réguliers.

Quand le système analytique apprend par exemple que la vie est l’association coordonnée d’un ensemble de molécules et qu’elle disparait quand il se désorganise et s’éparpille, on comprend que le système intuitif en soit froissé, lui qui promet à tous la survie, malgré la mort, d'un ectoplasme personnalisé et surnaturel qu’il appelle l’âme, fondement de toutes les croyances religieuses et de nombreux rituels funéraires. 

C’est pourquoi, explique M. Ripoll, presque tous les humains (aujourd'hui 85%) croient, sans qu’on n'ait jamais pu le constater ni l’expérimenter, en un autre monde, meilleur évidemment, car cette croyance est pour eux le plus efficace des médicaments anxiolytiques, remède si puissant que ne sont pas rares les conversions religieuses soudaines et instantanées de mécréants notoires, après un stress violent ou au seuil de la mort, quand le système intuitif reprend les commandes.
Et l’auteur d’ajouter qu’il est inutile d'essayer de contredire des croyances infondées à coups d’arguments raisonnables ; le cerveau, confronté aux incohérences cachées sous le tapis, sent son système de défense compromis et abandonne alors dans la panique toutes les manettes à l'antique circuit instinctif, qui est prêt à n'importe quoi pour recouvrer sa sérénité.     

***
On trouve sur internet pas mal d’interventions de Thierry Ripoll depuis la sortie de son livre. Deux au moins d’entre elles donnent un bon aperçu de son contenu, en janvier 2021 sur la chaine Youtube Philoscience (durée 1h28) et en novembre de la même année aux Journées de l’esprit critique d’Angoulême (durée 1h01). Elles peuvent être écoutées sans regarder bêtement l’écran où il ne se passe presque rien.
 

jeudi 14 avril 2016

Anecdotes autour d'une cathédrale



La cathédrale de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) est ténébreuse. C’est la crasse disent les visiteurs. Les Auvergnats objectent que c’est la couleur grise de la pierre volcanique de Volvic.

En effet il y a peu à l'échelle géologique, le puy de la Nugère qui surplombe Volvic digérait mal et se laissait aller à d’épaisses coulées d’une lave sombre. 9000 ans plus tard, après s’être assurés que le tout était bien refroidi, les paroissiens du coin se servirent abondamment pour édifier non loin une splendide cathédrale à la gloire de leur dieu et de ses soi-disant représentants sur terre. C’était entre les 13ème et 14ème siècles de l’ère actuelle.

Vint la Révolution.
On sait que la pierre de Volvic peut durer des millénaires, mais rien, ni l’évidence ni la raison pas plus qu’un puissant édifice de pierre, ne peut résister à la fureur d’une population qui se libère de siècles de frustration pour consentir à d'autres servitudes.
Et la cathédrale ne doit d’avoir à moitié survécu qu’aux négociations d’un habile prélat et à quelques concessions humiliantes, dont un acte de foi inscrit au printemps 1794 sur le fronton de la façade nord qui déclare « LE PEUPLE FRANÇAIS RECONNOIT L’ÊTRE SUPRÊME ET L’IMMORTALITÉ DE L’ÂME ». Il est vrai que l’affirmation pouvait s’appliquer indifféremment à l’ancienne comme à la nouvelle croyance, en restant vague sur la définition de l’Être Suprême.
Robespierre, effrayé par les louches complaisances iconoclastes du culte de la Raison, avait alors repris les choses en main et proclamé le culte de l’Être Suprême. C’était un ensemble disparate de valeurs censées moraliser périodiquement le peuple, tous les dimanches. On y trouvait entre autres la liberté du monde, la haine des traitres, l’agriculture, la pudeur, la bonne foi et l’immortalité.

C’était l’époque de la Terreur. 
Au cours de somptueuses festivités populaires organisées par le peintre J.L. David on brulait des statues de l’Athéisme, de l’Ambition et de la fausse Simplicité. On s’amusait vraiment bien. 
Gossec avait composé l’hymne à l’Être suprême, les paroles de Désorgues disaient :

« Père de l’Univers, suprême intelligence, 
Bienfaiteur ignoré des aveugles mortels, 
Tu révélas ton être à la reconnaissance, 
Qui seule éleva tes autels
[…]  
Ton temple est sur les monts, sur les airs, dans les ondes, 
Tu n’as point de passé, tu n’as point d’avenir, 
Et sans les occuper tu remplis tous les mondes, 
Qui ne peuvent te contenir. »

La complexité du concept, notamment les deux derniers vers, donnait des migraines aux plus zélés et laissait les autres indifférents. Le culte disparut après quelques mois, fin 1795.





Enfin Viollet-le-Duc, architecte habité par le Moyen Âge, fut chargé de la restauration de l’édifice à partir de 1866. Les deux flèches, deux travées, la façade occidentale et une grande partie de la statuaire seront refaites suivant ses instructions.

Comme Alfred Hitchcock dans nombre de ses films, l’architecte avait coutume de déposer sa propre effigie un peu partout sur les monuments qu’il restaurait. On le retrouve en apôtre de bronze sur la flèche de Notre-Dame de Paris, en pierre sur la façade du même monument tenant un bouquet de violettes, pèlerin sur la chapelle de Pierrefonds ou accroupi sur la flèche de la cathédrale d’Amiens.

On le trouvera sculpté en pied et en saint Paul flanqué d’une épée sur la façade occidentale de la cathédrale de Clermont-Ferrand.


dimanche 25 janvier 2015

Pourquoi les tortues ne sont pas cubiques

Au commencement, Dieu a créé les tortues cubiques.
Mais c’était l'hécatombe, dès qu’une tortue faisait un faux pas et se retrouvait sur le dos elle était incapable de se redresser sur ses pattes, se desséchait sur place et mourait.
Après une période de réglages, qui dut être amusante à observer, puisqu'on y voyait gambader des tortues aux formes les plus expérimentales, Dieu finit par trouver la courbure idéale de la carapace qui permit à la tortue, une fois renversée, de se retourner et de retrouver le plus souvent une position décente.

C'est le journal scientifique américain Discover Magazine qui vient de le dire, d’après des mathématiciens terriblement compétents, aidés de calculs horriblement compliqués qui affirment que les tortues terrestres dont les pattes et le cou sont trop courts pour servir de points d’appui ne peuvent se redresser que parce que la courbure du dôme de leur carapace est calculée pour un mouvement de basculement quasi optimal.
Pourquoi quasi ? L’article ne le dit pas, mais on peut imaginer que c’est pour justifier la série de gesticulations éperdues qui agite un temps la tortue avant qu’elle ne recouvre sa dignité.
Suggérons à ces fervents mathématiciens que les tortues dont la courbure était défavorable et qui ne se seront pas retournées n’ont probablement pas pu se reproduire (malgré une position avantageuse pour la chose), entrainant ainsi petit à petit l’extinction de ces lignées à la géométrie inadaptée.

Ce genre de déduction à l’envers fleurit depuis quelques années dans les revues scientifiques. Par exemple, la Lune aurait-elle été un peu déplacée que l’instabilité de l’axe de la Terre n’y aurait pas permis l’éclosion de la vie (ni la formulation d’un tel truisme).
Il en ressort généralement l’impression que tout cela a été calculé et ajusté par une intelligence supérieure dans l’intention narcissique d’être admirée par ses propres créatures.

Tortue expérimentale dans son ascension vers le paradis des tortues ratées (Gênes, musée d’histoire naturelle).

Ces articles sur le réglage « miraculeux » des paramètres de l’Univers rappellent irrésistiblement la célèbre vidéo d’une sorte de prédicateur américain, au début des années 2000, « la banane, cauchemar des athées ».
Cette vidéo fut souvent prise pour une parodie des dogmes théistes tant son argumentaire était dérisoire, alors qu’elle voulait être à l’origine une démonstration de l’existence d’un dieu.
Le pauvre illuminé y constatait que la banane possède le même nombre de faces que l’intérieur de la main humaine a de replis, assurant ainsi une parfaite préhension, que la banane est dotée d’un code de couleurs permettant de la consommer sans erreur, vert pour bientôt mangeable, jaune pour consommable, noir pour gâtée, qu’elle est munie d’une excroissance en haut exactement conçue pour l’ouvrir et en déployer la peau aisément autour des doigts sans se salir, et ainsi de suite. Il en concluait que seul un être supérieurement intelligent pouvait l’avoir conçue ainsi.

La réfutation de ces inepties sur Wikipedia est savoureuse (malheureusement en anglais). Elle montre une banane à l’état naturel avant qu’elle n’ait été domestiquée et métamorphosée par quelques millénaires de culture humaine ; et cette banane sauvage ne possède aucune des propriétés qui en font, d’après le brave catéchiste, la création d’un dieu suprêmement intelligent.

À l’évidence les propriétés de notre monde font qu’il peut exister. En logique cela s’appelle une tautologie. Et l’ajustement des valeurs de ses paramètres ne prouve rien de plus. Réglé différemment, il existerait différemment et les tortues seraient peut-être cubiques avec des pattes sur tous les côtés.

Ou peut-être n’existerait-il pas, ni la question de son existence.

mardi 4 septembre 2012

L'état des cieux

Un important sondage de l'institut Win Gallup (52 000 sondés dans 57 pays), cité par le Courrier International, affirmait récemment que le nombre de personnes qui croient qu'il existe un autre monde (qui sont religieuses) a chuté de 9% en 7 ans, passant de 68% à 59% de la population mondiale. À ce rythme, plus personne ne croirait aux alentours de l'an 2050. Ne rêvons pas. 
Le sondage confirme que la majorité des croyants se trouve dans les populations pauvres et peu éduquées (pour supporter une vie opprimée il faut bien se persuader qu'il y aura un jour une solution).

Et les Français seraient passés durant la même période de 14% d'athées déclarés à 29%. Une personne sur trois. De là à faire un lien avec l'état dans lequel sont laissées les 4 000 statues qui ornent les flancs de la cathédrale de Chartres, décapitées pour décorer musées et collections privées, abandonnées à la morsure des intempéries et de la vermine...





dimanche 29 juillet 2012

Nul n'est prophète...

Au delà de la Terre, au delà de l’infini,
Je cherchais à voir le paradis et l’enfer.
Une voix solennelle m’a dit :
Le paradis et l’enfer sont en toi.
Referme ton Coran. Pense librement,
Et regarde librement le ciel et la terre.
Omar Khayyam (1048-1131), extraits des Quatrains (Robaiyat)

La Turquie est bienheureuse.
Elle a depuis bientôt 20 ans Fazil Say, impressionnant virtuose qui fait la renommée de l'art du piano et de son pays dans le monde entier. Comme György Cziffra ou Alexis Weissenberg en leur temps, sa technique est éblouissante, son style fantasque, et son succès considérable.
Il compose également, quantité d'oratorios et de symphonies qui réclament une exubérance d'instruments et beaucoup de résignation de la part de l'auditeur, qui a l'impression d'écouter l'accompagnement musical des pesants films de science fiction américains, comme avec les symphonies d'Anton Bruckner ou de Gustave Mahler.

Mais la Turquie est déchirée.
Car elle organise le 18 octobre une sorte de procès galiléen en miniature, contre son idole Fazil Say pour avoir insulté les valeurs de l'Islam. Trouvant en effet amusante une évocation du poète perse Khayyam, reçue par le réseau Twitter, qui comparait le paradis des musulmans à un rade pour ivrognes garni de prostituées, Fazil a commis le blasphème irréparable de retweeter le tweet. C'est à dire qu'il a transmis le court texte, d'une légère pression sur le bouton idoine de son téléphone, à ses milliers de fans suiveurs. Erreur fatale qui pourrait bien l'enfermer 18 mois dans les prisons turques, dit la loi « pénale ».

Fazil Say n'a jamais caché son athéisme.
La Turquie n'a jamais caché sa laïcité, depuis la révolution de Mustafa Kemal en 1922. Jusqu'à l'inscrire dans sa Constitution.
Mais elle la pratique de moins en moins.

Mise à jour du 21.11.2012 : le tribunal étudie le dossier de la défense. Prochaine audience le 18.02.2013 15.04.2013.
Mise à jour du 16.04.2013 : le verdict clément, 10 mois de prison, ne sera exécuté qu'en cas de récidive dans les 5 ans. Encore un petit effort vers la civilisation...
Mise à jour du 14.11.2018 : l'affaire traine. Le jugement, confirmé en appel en 2013, annulé en 2015 par la Cour suprême, est renvoyé devant un autre tribunal et annulé définitivement en septembre 2016 alors que la presse, les instances européennes et le public éclairé réclament que le pianiste ait le droit de s'exprimer. Pendant ce temps, le pays s'enfonce doucement dans une autocratie réactionnaire, comme bon nombre d'autres pays dans le monde.



Le palais de l'Alhambra à Grenade, en Espagne. L'intérieur du palais (ici la tour de Comares) est totalement recouvert de grouillantes arabesques et d'innombrables inscriptions affirmant qu'Allah est le seul vainqueur. Fazil Say qui est musicien aurait pu se douter qu'en matière d'opinions les murs ont aussi des oreilles.

dimanche 4 octobre 2009

L'athéisme n'existe pas

Depuis maintenant sept ans reviennent chaque été les réjouissances hédonistes (1) du mois d'aout. Pendant tout le mois, chaque jour de la semaine un peu avant 18 heures, on s'installe confortablement au fond du jardin, à l'ombre, pour écouter Michel Onfray, sur les ondes radiophoniques de France-Culture. Il nous raconte les récits merveilleux d'un monde idéal où on peut remettre en cause ce qu'affirment parents et professeurs, ne pas aimer le travail, ou désirer la femme de son voisin (ou le mari de sa voisine, ou toute autre combinaison).

Il appelle ça une «contre-histoire de la philosophie» mais on sent bien que c'est notre véritable histoire, et qu'il est comme un frère instruit qui nous relate la vie de vieux oncles éloignés et savants. On ressent de l'affection pour ces ancêtres qui ont pensé, longtemps avant nous, qu'il n'y a rien au-delà de la réalité, et qu'être matérialiste n'est pas une maladie honteuse mais plutôt la manifestation d'une certaine lucidité.
Et parce qu'au fond du jardin flotte pendant une heure un air de liberté, on oublie les tics de langage du narrateur, ses hapax, ses oxymores et cette manie de truffer son discours de mots en «...isme» et de qualificatifs en «...iste».

Mais il y a un hic dans ce tableau idyllique, car Michel Onfray est atteint d'une maladie grave : il est athée. Et il a écrit des pages et des pages, des conférences, des traités sur cet athéisme.


Naples, deux points de vue sur la religion : la Vierge au néon, preuve incontestable de l'existence de l'électricité, et un graffiti subversif dont le personnage s'exclame «Arrêtez la plaisanterie, enlevez le bandeau et rendez-moi mon cerveau!»

Or qu'est-ce qu'être athée ? Étymologiquement c'est être sans dieu (avec le «a» privatif). Comme l'anorexique a perdu le désir de nourriture, l'athée a perdu Dieu. On frémit. L'athéisme est donc une maladie de l'absence, comme l'anémie, l'achondroplasie, l'agénésie, l'anencéphalie. Mais si on peut comprendre et constater facilement l'absence d'une fonction vitale, d'un membre, d'un cerveau, on a plus de mal à se représenter l'absence de quelque chose qui n'existe pas.

Simple question de logique direz-vous. Les croyants, incapables de démontrer ce qu'ils affirment autrement que par un vent de rhétorique, ont souvent exigé de leurs contradicteurs qu'ils produisent la preuve du contraire, et on sait que la torture parvient à résoudre bien des problèmes de logique.
Il serait judicieux, afin d'éviter ces incohérences et ces dérèglements, de nommer asensés, aréalistes, ou alucides les porteurs d'une croyance quelconque, car ils ont perdu l'usage d'une partie de leur raisonnement. Ce sont les vrais malades, ils souffrent d'un dysfonctionnement psychophysiologique comme l'atteste wikipedia qui ne ment jamais. Mais n'accablons pas ces pauvres gens qui ont besoin de jolies légendes (2) pour supporter la réalité. Le qualificatif «croyant» leur convient. Clair et explicite.

La croyance est la valeur par défaut parce que l'autorité de quelques-uns sur tous les autres est également une valeur par défaut des sociétés humaines. L'une et l'autre, croyance et pouvoir, ont probablement la même origine. Croire c'est se soumettre.
Mais dans le monde réfléchi et réaliste de Démocrite, d'Épicure, de Spinoza et de Nietzsche, les athées sont les gens normaux et l'athéisme est un mot vide de sens. Et la véritable magie de ce monde, plus belle que toutes les chimères de toutes les religions, c'est que les paroles bienfaisantes de Michel Onfray parviennent au fond du jardin sur des ondes invisibles qui ont traversé l'espace et le temps, comme par miracle.

***
(1) Rappelons que le véritable hédonisme n'est pas la recherche sans frein du plaisir mais une philosophie plus frugale qui poursuit le bien-être dans l'évitement de la souffrance, du déplaisir et de l'ennui.
(2) La religion de la Licorne Rose Invisible (et de l'Huitre Violette de la Damnation) possède son Livre Sacré, dont les premiers mots, la Genèse, sont ainsi :
«Au commencement, la réalité créa les cieux et la terre,
Ce qui fut fut, et ce qui ne fut pas ne fut pas,
L'obscurité enveloppa ce que la lumière n'enveloppa pas,
Et ce qui ne fut ni lumière ni obscurité fut Elle, la Licorne Rose...»

samedi 13 décembre 2008

Tourisme : l'île aux fleurs

Cette chronique est destinée à ceux qui ne connaissent pas L'île aux fleurs (Ilha das flores). C'est un court métrage de 13 minutes de Jorge Furtado. Diffusé de nombreuses fois à la télévision depuis 1989, couronné de l'Ours d'or au festival de Berlin en 1990, abondamment disponible et commenté maintenant sur Internet, il reste peut-être quelques innocents qui ne l'ont pas vu.

Il raconte la destinée tragique de quelques tomates brésiliennes et les péripéties qu'elles subissent au long de la chaîne alimentaire pour finir sur l'île des marins, à deux pas de l'île des fleurs. Le style en est ironique jusqu'au cynisme, d'une logique un peu démonstrative mais au dénouement implacable.

Certains (1) ont voulu y voir une sorte de pamphlet athée et ont cru voir le commentaire «Dieu n'existe pas» à la fin du film, comme une conclusion, ce qui est faux. Ce texte n'apparaît qu'au début, dans le générique. Et on peut dire sans en dévoiler l'intrigue que la conclusion du film n'est pas que Dieu n'existe pas, question sans réel objet et à la limite du théisme, mais la démonstration de ce film, et le véritable drame, c'est que l'homme existe, malheureusement.

Ce film est à conseiller à tous les enfants. Et aux adultes également, même si pour eux il est déjà trop tard.

Cette image n'a rien à voir avec le film, elle n'est là, comme dans tout boniment publicitaire, que pour attirer la curiosité du passant.
Où voir le film sur Internet ?
Sur Youtube, en 2 parties de bonne qualité, sur DailyMotion sans générique de fin, sur le site de la télévision personnelle du Président de la République dans une copie de bonne qualité, et surtout une très bonne copie de 157 méga-octets téléchargeable depuis la page de Wikipedia consacrée au film.

Traduction
Tous les dialogues et commentaires du film sont en français dans l'ensemble des versions en liens, à l'exception de quelques textes intéressants dans les génériques de début et de fin, en portugais non sous-titré.
Au début du film ESTE NÃO É UM FILME DE FICCÃO - EXISTE UM LUGAR CHAMADO ILHA DAS FLORES - DEUS NÃO EXISTE (Ceci n'est pas un film de fiction - Il existe un lieu nommé l'île des fleurs - Dieu n'existe pas). À la fin du film, le générique détaille ce qui est fictif (notamment certains rôles joués par des acteurs), précise qu'il a été principalement tourné à ILHA DOS MARINHEIROS, l'île des marins à 2 km de l'île aux fleurs, et termine par O RESTO É VERDADE (le reste est vrai).

***
(1) Notamment le meilleur et le plus complet des articles qu'on trouvera sur le film, sur le site FILMdeCULTE, dans son paragraphe intitulé BRAZIIIIL.

mardi 15 juillet 2008

Les perles de l'Encyclopédie (2.2)

Ce qui suit est la fin de la chronique commentant les articles écrits par l'abbé Yvon pour l'Encyclopédie de M. Diderot.

ATHÉES :

Cet article et le suivant sont la quintessence de la production Yvonesque. Il y concentre sa bêtise, sa mauvaise foi, sa rouerie, son venin.
Il commence par démontrer que l'athéisme n'existe pas à l'état naturel, premier élément pour prouver que c'est une perversion. L'historien Strabon et quelques témoignages de voyageurs affirment qu'existeraient des peuples ignorants et stupides vivant comme des bêtes, sans religion; Yvon rejette ces récits comme peu fiables et ajoute que si on a l'impression que tous les chinois sont athées, c'est parce qu'on ne comprend pas le chinois. Puis il démontre que tous les athées sont en réalité des croyants qui simulent: «Il ne saurait assurément y avoir d'athée convaincu de son système; car il faudrait qu'il eût pour cela une démonstration de la non existence de Dieu, ce qui est impossible.».
Enfin il conclut par un interminable sermon moral sur la vertu. La vertu est difficile. Elle n'apporte pas les satisfactions immédiates que procurent le vice et la réalisation de nos désirs réels et imaginaires. La religion imprime un frein à la satisfaction débridée de ces désirs, qui est un ferment du désordre social. Ainsi, les athées sont dangereux pour la société car ils ne croient pas qu'il existe un châtiment perpétuel qui les persuaderait de calmer leurs instincts. C'est le sermon préparatoire à l'appel au meurtre de l'article suivant.

ATHÉISME :

Ici l'abbé se déboutonne allègrement. Abandonnant les règles les plus élémentaires de la logique qu'il professe dans l'encyclopédie, il exige des athées qu'ils prouvent l'inexistence d'un dieu. Admirons la subtilité de l'argumentaire:
«C'est à l'athée à prouver que la notion de Dieu est contradictoire, & qu'il est impossible qu'un tel être existe; quand même nous ne pourrions pas démontrer la possibilité de l'être souverainement parfait, nous serions en droit de demander à l'athée les preuves du contraire; car étant persuadés avec raison que cette idée ne renferme point de contradiction, c'est à lui à nous montrer le contraire; c'est le devoir de celui qui nie d'alléguer ses raisons. Ainsi tout le poids du travail retombe sur l'athée; & celui qui admet un Dieu, peut tranquillement y acquiescer, laissant à son antagoniste le soin d'en démontrer la contradiction. Or, ajoutons-nous, c'est ce dont il ne viendra jamais à bout. En effet, l'assemblage de toutes les réalités, de toutes les perfections dans un seul être doit nécessairement exister, l'existence étant comprise parmi ces réalités: mais il faut renvoyer à l'article Dieu le détail des preuves de son existence
De nombreux auteurs attribuent l'article DIEU à Yvon, malgré l'absence de sa signature. On y retrouve effectivement son style et ses références. Lisez plutôt: «L'existence de Dieu étant une de ces premières vérités qui s'emparent avec force de tout esprit qui pense & qui réfléchit, il semble que les gros volumes qu'on fait pour la prouver, sont inutiles... Pour contenter tous les goûts, je joindrai ici des preuves métaphysiques, historiques & physiques de l'existence de Dieu.». Hélas, ses principaux arguments ont perdu toute pertinence avec les découvertes de l'archéologie et des sciences de l'évolution et de la génétique. Yvon avait même prédit leur invalidation: «Si on prouve que le monde ait existé avant le temps marqué dans cette chronologie, on a raison de rejeter cette histoire». Par Chronologie il entendait celle décrite dans les textes bibliques, qui dataient de 6 à 7000 ans la création de la terre et des humains.

Il continue sa démonstration, juge les systèmes athées trop complexes et difficiles à comprendre comparés à la simplicité de la solution religieuse qui dissout toutes les questions, affirme que l'athéisme avilit et dégrade la nature humaine, et couronne son raisonnement par cette mémorable profession de foi humanitaire:
«L'homme le plus tolérant ne disconviendra pas, que le magistrat n'ait droit de réprimer ceux qui osent professer l'athéisme, & de les faire périr même, s'il ne peut autrement en délivrer la société... Par conséquent le magistrat doit avoir droit de punir, non seulement ceux qui nient l'existence d'une divinité, mais encore ceux qui rendent cette existence inutile, en niant sa providence, ou en prêchant contre son culte, ou qui sont coupables de blasphèmes formels, de profanations, de parjures, ou de jurements prononcés légèrement. La religion est si nécessaire pour le soutien de la société humaine, qu'il est impossible, comme les Païens l'ont reconnu aussi bien que les Chrétiens, que la société subsiste si l'on n'admet une puissance invisible, qui gouverne les affaires du genre humain.»
Tout est dit.



On raconte parfois que les gargouilles représentent les êtres égarés sans le secours de la foi, rejetés par l'église. L'incroyant a donc le choix: périr par la justice humaine suivant les conseils de l'abbé Yvon ou finir pétrifié pendant quelques siècles dans une pose grotesque, comme ces gargouilles de Notre-Dame de l'Épine, en Champagne.

ATOMISME :

Nous finirons un peu plus légèrement cette balade dans les idées de l'abbé Yvon, par la conclusion de son petit article sur l'Atomisme.
«Le tout s'est fait par hasard, le tout se continue, & les espèces se perpétuent les mêmes par hasard; le tout se dissoudra un jour par hasard; tout le système se réduit là. Il serait superflu de s'arrêter à la réfutation de cet amas d'absurdités.»

Vous n'avez pas rêvé. Tout cela a été écrit dans la grande Encyclopédie du siècle des lumières par l'abbé Yvon. Le lecteur qui désirera poursuivre la lecture de ces sophismes et démonstrations fumeuses, dont les raisonnements recueillent encore une étonnante considération auprès de certains athées contemporains, en trouvera la liste complète en suivant ce lien, et je lui conseillerai de débuter par la description des monstrueuses conséquences de l'adultère dans la société.

Enfin au lecteur qui s'exclamera «C'est facile de se moquer des erreurs du passé!», je répondrai «Oui». Et je lui suggérerai de rechercher et corriger lui-même les erreurs du présent, au hasard dans la célébrissime et omniprésente encyclopédie participative Wikipedia, qui en fourmille. Par exemple, l'article sur la ville de Jéricho. Tout le monde connaît le récit biblique du petit air de Louis Armstrong qui, joué sept fois consécutives, fit s'écrouler les murailles millénaires qui protégeaient la ville. Le 2 juillet 2006, ce récit était dans le chapitre Histoire de l'encyclopédie Wikipedia. Le 4 juillet un lecteur plus rigoureux créait un chapitre Mythologie et y déplaçait le récit. Le 10 juillet un lecteur croyant (ou conciliant) remplaçait le titre du chapitre par Récit biblique, solution molle qui a l'avantage de ne plus choquer personne.

vendredi 25 avril 2008

Dieu s'appelle Antoine

Les Athéistes et autres Spinozistes sont bien feintés! Dieu existe. Enfin il a existé. Né en France en 1662, il se prénommait Antoine.

Il ne reste plus grand chose de sa création, quelques œuvres où domine le plus souvent une grande confusion baroque, où se répand un bric-à-brac surchargé. Il s'était spécialisé dans les pesantes allégories bibliques (dont naturellement nombre de scènes avec Jésus) ou guerrières. À peine peut-on trouver un charme un peu fané à ses «jeunes filles jouant aux osselets».

Il était commerçant, dessinateur et peintre, et si on parle encore de lui aujourd'hui, c'est parce qu'il eut la bonne idée de servir les puissants: le duc d'Orléans, le duc de Bourgogne, Louis 14. C'est pourquoi ses œuvres traînent encore de nos jours dans les galeries du château de Versailles, où on ne les remarque pas parmi les ors et la quincaillerie tape-à-l'œil.



Dieu est mort le soir du 17 octobre 1727.*

Que tout le monde se rassure, il reste encore aujourd'hui quelques Dieu. Il sont très discrets mais on peut tout de même les contacter en cherchant leurs coordonnées dans un annuaire téléphonique. Les pages jaunes en dénombrent déjà une trentaine à Paris, et si on en croit les statistiques, il en naît de plus en plus, surtout dans le nord de la France.

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* En réalité, je ne connais pas le jour ni le mois de sa mort, la date est donc inventée pour embellir les sonorités de cette phrase. J'espère qu'un lecteur savant nous renseignera sur la date précise, et sur la localisation de la tombe de Dieu.
Dernière minute du 30 avril
: Dieu serait mort, en fait, le 12 avril 1727. Nous devons cette révélation à la sagacité d'un lecteur bien outillé (voir les commentaires ci-dessous).

mardi 9 janvier 2007

Pardonnons aux peintres d'histoire

Dans les salles obscures du musée d'archéologie et des beaux arts de Poitiers, le musée Sainte Croix, vous flânez nonchalamment parmi les œuvres intéressantes, quand, soudain, une bombe blasphématoire et puante vous explose au visage!

  Le forfait est signé : Müller, Charles Louis (1815-1892) "La fête de la raison le 10.11.1793", peint en 1878. Nous n'en présentons qu'un détail... Vous êtes prêt à écrire au préfet, au ministre, voire au pape. Mais vous vous contrôlez et allez aux renseignements sur l'auteur de cette laideur. Vous trouvez très peu de choses sur le peintre, mais néanmoins suffisamment pour tempérer votre premier jugement. Et surtout, entre autres distinctions, il fut fait officier de la légion d'honneur en 1850. Ça fait réfléchir. Müller était un vrai peintre d'Histoire, un mercenaire de la peinture, qui glorifiait sans distinction les victimes comme les bourreaux. On lui demandait de peindre la naissance de l'humanité en -4000 avant notre ère (à quelques années près s'entend), il le faisait. Sans aucun style, mais très proprement. On lui enjoignait de figurer des choses extrêmement difficiles à peindre avec précision : la religion, la patrie (demandez aux amateurs du jeu Pictionary comme c'est ardu). Il s'exécutait. Et même La France (illustration ci-dessous : Allégorie de La France, musée du Louvre). Il l'a représentée avec les petits carreaux qu'il est si difficile de faire bien droits.

  La peinture d'Histoire doit, parmi ses nobles desseins, montrer aux générations futures que l'homme a connu des moments d'obscurantisme dans son inéluctable progrès vers la lumière des temps modernes. Müller travaillait sur commande. Il illustra parfois des idées immorales auxquelles il ne croyait pas. On lui pardonnera.