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mercredi 11 septembre 2024

Du bon usage de la logique Shadok

La centrale électrique EPR de Flamanville, vue de la route touristique. On sent à certains détails imperceptibles qu’on souhaite faire comprendre au quidam en villégiature (de préférence francophone) qu’il aborde à ses risques et périls les secrets de la Défense nationale. 

Le 3 septembre dernier, sur la côte marine de Flamanville en Cotentin, non loin de Cherbourg, l’uranium du premier réacteur pressurisé européen en France (EPR) subissait les outrages de quelques neutrons sciemment envoyés pour semer la discorde. L’agression énervait passablement les noyaux du métal qui ne tardaient pas à s'échauffer. Leur énergie thermique savamment captée taquinait alors une simple bouilloire du commerce dont l’eau, à son tour surexcitée, tentait de fuir l'offensive en se vaporisant. Cette pression était intelligemment captée et détournée vers une turbine placée là opportunément pour transformer le désordre cinétique en un travail mécanique régulier, apte à faire tourner sur son axe le champ magnétique d’un aimant dans la bobine d’un alternateur… Là, on est en train de perdre le lecteur ! 


Résumons. Tout cela générait finalement un flux électrique grâce auquel le plus haut responsable de la centrale de Flamanville présent ce jour-là et un haut fonctionnaire du gouvernement, désigné d'office, se congratulaient rassérénés devant la machine à café de la salle de réunion, qui venait donc de redémarrer.

Et encore, on a énormément simplifié la description du mécanisme.


Évidemment les médias ont suivi l'évènement, mais au lieu d’informer le public sur le fonctionnement de cette merveille de la technologie, ils ont insisté lourdement sur les délais et les couts démesurés de réalisation du projet, en détaillant les 12 ans de retard, le délai multiplié par 3, et le budget initial multiplié par 4 (en réalité c'est par 6, soit 20 milliards d’euros, car la presse recopie sans réfléchir les communiqués de l'AFP, qui a oublié les frais annexes dont les frais financiers, rappelés par la Cour des comptes et par Reporterre).


Tout cela est mesquin. Les médias savent, leurs archives l’attestent, que le mensonge prévisionnel par omission est la raison d’être de tous les projets d’envergure, sans quoi ils n’obtiendraient jamais le moindre financement. Quant au délai, il est permis d’espérer qu’il aura servi à récupérer un peu de l’expérience et des compétences perdues au long des dizaines d’années de sous-traitance au rabais de cette industrie.

Enfin, rappelons comme le répète M. Jancovici sur la chaine Public-Sénat, que le prix de l’électricité, même multiplié par 3 ou 4, sera toujours quasiment gratuit compte tenu de l’absolue nécessité du produit. 



***

Le lendemain, 4 septembre, l’électricité était coupée par le système d’alerte automatique. Plus de réaction nucléaire, plus de café.


La porte-parole d’EDF et l’AFP étaient rassurantes. Contrôles et analyses étaient mis en œuvre pour identifier l’aléa, peut-être y avait-il une pièce défectueuse ou une "mise en configuration inappropriée de l’installation." Et d’ajouter "Ça prouve que le système de sécurité fonctionne bien."


Magnifique sentence ! 

En effet, s’il faut qu’un système sur deux tombe en panne, il est préférable que ce ne soit pas le système de sécurité, celui qui surveille l’autre, notamment en matière nucléaire. Et puis personne ne contredira que le socle de tout progrès scientifique est l’expérimentation, faite d’essais et de ratés continuels. C'est la méthode expérimentale préconisée dans le livre 1 chapitre 18 de la philosophie des Shadoks de Jacques Rouxel, qui a depuis longtemps supplanté Descartes dans les hautes sphères de l’État.  


Rappelons l’article 1 de la philosophie expérimentale Shadok :

Chez les Shadoks la situation est satisfaisante, les essais de fusée continuent à très bien rater. Car c’était un des principes de base de la logique Shadok, ce n’est qu’en essayant continuellement que l’on finit par réussir, ou en d’autres termes, plus ça rate plus on a de chances que ça marche. […] Il commençaient donc à essayer très tôt le matin. Les essais rataient d'abord pendant toute la matinée. […] Vers midi, ils prenaient un repas léger. Ça continuait ensuite jusqu'à la nuit. Et le lendemain, de très bonne heure, toujours, ils recommençaient.


***

La machine a café fonctionne à nouveau depuis le 7 septembre, à 0,2% de sa puissance théorique. Les cafetières des habitants du Cotentin seront probablement alimentées à partir de cet hiver, sauf aléa, imprévu, impondérable, ou manque de chance. 


Et il est réconfortant d’apprendre qu’une floraison d’EPR de future génération poussera bientôt dans les régions de France (loin de la capitale, si possible). Ils ne sont pas encore conçus mais on nous dit qu’ils seront moins compliqués et moins chers, tout en restant aussi fiables et sécurisés. On est impatient de les voir fleurir près de chez nous, par exemple pour remplacer à Saint-Laurent-des-Eaux les deux réacteurs dont le combustible avait commencé à fondre en 1969 et 1980, hors service depuis 1992 et toujours en cours de démantèlement, mais qui, en dépit de ces accidents ("incidents graves" dit la police), manquent cruellement à la prospérité économique, culturelle et sportive de cette belle région.



***

Pendant ce temps aux antipodes, dans feue la centrale nucléaire de Fukushima, tout est parfaitement conforme au pire des scénarios. Les millions de mètres cubes d’eau de refroidissement encore un peu contaminée commencent à être déversés dans l’océan, pour faire place, dans les citernes, aux eaux nettement plus contaminées. La Chine et la Russie utilisent ce prétexte pour cesser leurs achats de poisson, coquillages et crustacés Japonais. 

Mais 13 ans après la fusion du combustible des cœurs de la centrale, l’opérateur Tepco a bien d’autres choses en tête. Il cherche à se défaire des centaines de tonnes de débris fondus ultraradioactifs. Et conformément à la philosophie Shadok, décidément fort pratiquée dans ce secteur d’activité, il envoie dans l'enfer des robots de plus en plus sophistiqués et cuirassés, que les radiations déglinguent instantanément.


Pourquoi s’embêter à les récupérer au lieu de tout laisser sur place ? Pour les vendre à la France qui les entreposerait, rente viagère éternelle, dans ses cimetières de déchets de La Hague ou du plateau de Bure ? Sa réputation d’excellence dans les projets sans fin aurait-elle traversé les frontières, comme la radioactivité ? 


mercredi 10 août 2022

Nouvelles du front

Rappelez-vous, le 15 avril 2019, la cathédrale de Paris, retapée par Viollet-le-Duc au 19ème siècle, pas vraiment gracieuse mais imposant symbole de la France éternelle, Notre-Dame brulait, d’une étincelle profane sans doute, et à un rien de s’effondrer.

Le président français, soutenu par des milliardaires de ses amis alléchés par la vaste opération publicitaire, les marchés à venir, et les exonérations fiscales, promettait alors la réouverture de la cathédrale en 2024, juste à temps pour que l’inauguration à Paris du joyeux et gigantesque gaspillage des Jeux olympiques soit bénie par les représentants du dieu du 4ème arrondissement, aspergée par le goupillon et parfumée par l’encensoir, et afin que le touriste, habituellement deux fois plus nombreux que celui de la Tour Eiffel, revienne y dépenser sa longue épargne.

Mais au vu des fautes et incompétences diverses des gouvernements successifs dans la gestion des épidémies, des hôpitaux, des centrales nucléaires, et de tant d’autres services publics, on imaginait que la conduite des opérations de restauration ressemblerait plutôt au fiasco du réacteur nucléaire à eau pressurisée de Flamanville, et que la liturgie se réduirait à la distribution d’hosties contaminées au plomb sous une tente de la Croix-rouge sur le parvis de Notre-Dame.

Autre chef-d’œuvre du génie humain, la cathédrale de Beauvais, ambitieuse, trop haute, un chœur en voute de 48,5 mètres, qui s’effondrera en 1284, inachevée, estropiée, interrompue par la peste de 1347 et la guerre de 100 ans, une tour-lanterne qui s’écroulera de 153 mètres d'altitude un matin d’avril 1573, puis quelques siècles sous perfusion, et enfin ne survivant depuis les années 1990 qu'enserrée dans une prothèse, une vaste armature de poutres. Des capteurs hypersensibles attendent en temps réel son dernier souffle.

Mais c’était compter sans l’à-propos du président de la République, qui nomma sans attendre, pour piloter l’entreprise, un général à la retraite expert en cathédrales car fervent catholique, ressuscitant ainsi l’alliance, si fructueuse dans le passé, du sabre et du goupillon.
On se souvient que le général avait déjà secoué les amis de l’art gothique en enjoignant à l’architecte en chef des Monuments Historiques de "fermer sa gueule" alors qu’il donnait un avis sur la reconstruction de la flèche de la cathédrale.
C’était une saillie bienveillante, une souriante affirmation de l’autorité pour mobiliser les troupes dans une même direction. D’ailleurs le général d’armée vient d’affirmer la constance de sa détermination et la pondération de son optimisme dans un récent entretien dans le journal Le Figaro

Et ses paroles ont tant de retenue, de sens cachés entre les mots, comme dans une poésie, que les optimistes y voient déjà les présages d’une réussite éclatante et les pessimistes d’une déconfiture assurée.

"2024 est un objectif tendu, rigoureux et compliqué. Mais c’est surtout une ambition au service d’une mobilisation de tous. On se battra pour gagner cette bataille, et pouvoir ouvrir au culte, en 2024. À cette date, Notre-Dame sera complètement nettoyée, au point que les visiteurs auront un choc visuel en entrant."
"Mon travail est de trouver […] des solutions pour s’adapter à l’imprévu. Jusque-là, nous avons toujours trouvé les moyens de nous adapter, d’avancer et d’écouter les clignotants lorsqu’ils passaient à l’orange."

On notera évidemment que ces nouvelles du front n’apportent pas d’information sur l’avancement réel de la bataille, ce qui est normal, c’est la censure de guerre. Le Figaro pourrait être intercepté par l’ennemi, ruinant alors tous les plans du stratège.

Enfin les esthètes auront remarqué le touchant aveu synesthésique du général, quand il déclare entendre les clignotants qui changent de couleur. D’aucuns attribueront ce dérèglement des sens au stress ou au surmenage, mais c’est plus surement un hommage à Arthur Rimbaud, autre grand poète amateur d’armes, quand il écrivait A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu

lundi 17 mai 2021

Fairepart

Paysage bucolique de la Meuse, vu de Mandres-en-Barrois. À l'horizon, le Bois Lejuc, futur tombeau promis à un avenir rayonnant et une renommée durable.

Quand on ne peut pas détruire définitivement ses déchets, il faut bien les entreposer quelque part. Le problème, avec les pires déchets de l’industrie nucléaire, c’est qu’ils diffusent une radioactivité qui détériore les cellules des êtres vivants et qui dure si longtemps qu’à l’échelle d’une civilisation on peut parler d’éternité.

Habituellement les problèmes concernant l’éternité et l’infini, quand ils ne sont pas escamotés par les religieux, sont confiés à des philosophes ou à de grands scientifiques dont on trouve le nom dans les dictionnaires. Mais là, par un de ces trucs dont l’administration a le secret, la tâche a été confiée à de modestes bureaucrates, assistés par la police et l’armée, car on est dans un domaine soumis au « secret défense ». On constatera qu’il ne fait pas bon s’y opposer.

Après avoir durant des décennies rejeté leurs poubelles en pleine mer, ou en avoir truffé des mines abandonnées qui fuyaient de partout, ils ont cette fois choisi la solution de l’ensevelissement sous terre, parce que la balance bénéfices-risques leur parait être aujourd’hui la meilleure. En vérité il n’y a que des risques et pas vraiment de bénéfice, sinon celui de réduire un peu les risques. Leur projet s’appelle Cigeo.
 
Après un laborieux semblant de consultation populaire et à l’aide d’un appui financier important, une région déshéritée et très éloignée des centres de décision a été choisie, qui sera le tombeau des déchets radioactifs de l’Europe. C’est le Bois Lejuc, entre Bure et Mandres-en-Barrois, en Lorraine. Pendant quelques décennies un défilé continu de camions sous surveillance y convoiera des déchets nucléaires qui seront versés dans un grand puits. Puis on fermera le couvercle, peut-être vers la fin du 21ème siècle. 
Comme l’Assemblée nationale a demandé la réversibilité du processus, on ne pourra pas emmurer toutes les personnes qui auront participé au projet, comme cela se fait couramment pour les grands secrets d’État, sépultures de pharaons ou de dictateurs, puisqu’il faudrait alors leur laisser une porte pour ressortir, ce qui serait contreproductif.

Considérant qu’on n’y enterrera pas seulement des déchets nucléaires mais aussi la démocratie - qui était déjà bien malade avant la prise de pouvoir en France d’un monarque omniscient et omnipotent et la répression sanglante des protestations populaires par de notoires psychopathes - les opposants au projet nous convient à apporter une poignée de terre, ou une fleur, à la cérémonie.

Elle se déroulera au tribunal de Bar-le-Duc, les 1, 2 et 3 juin prochains. Sept dissidents seront jugés pour « association de malfaiteurs ». Ça n’est pas une blague, le journal Libération, qui a lu le dossier judiciaire, parle d’une « procédure titanesque employant les ressources de la lutte antiterroristes pour faire taire une poignée d’opposants au projet » (Lisez ici le dossier complet de Reporterre).
 
Notez que le tribunal est situé en face de l’église Saint-Étienne qui héberge le fameux transi de Ligier Richier, effrayante prémonition. Profitez-en pour faire un peu de tourisme.

Si vous ne pouvez pas assister aux funérailles (le providentiel état d’urgence permanent limitera peut-être ce genre de déplacement), vous pouvez tenter d’impressionner la justice en signant une pétition en ligne, soutenue déjà par nombre d’éminentes personnalités.
Elle réclame, au-delà de la légitime relaxe des militants courageux, l’abandon du projet Cigeo. Est-ce bien judicieux ?  
Incontestablement, le projet est pharaonique, dans tous les sens de l’épithète, notamment parce qu’on cherche à cacher les déchets de notre inconséquence dans un endroit inaccessible même aux forces de la nature, alors qu’on sait que les tombeaux des pharaons, qui avaient le même objectif et déployaient des moyens similaires, ont quasiment tous été aussitôt pillés.
 
Mais que faire des déchets si le projet est abandonné ?
On n’aura pas l’ingénuité de suggérer la reprise du projet en respectant cette fois une démarche réellement démocratique. Cela ferait rire tout le monde et provoquerait immanquablement des plaisanteries dans le style « Enterre-les sous les jardins du palais de l’Élysée ! », ce qui serait irréaliste car comme chacun le sait maintenant, le palais de l’Élysée n’est plus tout à fait là où il se trouve.

Laissons donc la question en suspens quelques temps, le calendrier du projet le permet, mais notez bien les coordonnées de l’endroit, car bientôt les cartographies officielles afficheront ostensiblement que la zone n’existe pas, et terminons avec un sujet qui paraitra peut-être plus léger dans ce dossier sensible.

Vous l’aurez remarqué, la pétition, relayée par 9 médias en ligne, pratique l’écriture inclusive, très modérément, par-ci par-là seulement (9 mots sur 606). Louable tentative qui l’honore mais qui lève le voile sur une inégalité flagrante entre les médias en ligne.

En effet seuls 2 des 9 médias - osons moucharder, il s’agit de Libération et de Médiapart - ont été en possession, pour imprimer la pétition, de ces fameux points médians [·] qui ont fait la sinistre réputation de ce mode d’écriture. Les 7 autres médias, plus humbles, n’ont eu à leur disposition que des points communs, banals, indistincts, quelconques [.].
Il faudra bien un jour aussi rechercher l’origine de ces inégalités qui ternissent un peu, malgré tout, l’éclat de notre république.

 

Post-scriptum
Ah, au fait, puisqu’on en parle, des réactions nucléaires font surchauffer graduellement depuis 4 ou 5 ans la marmite de la gigantesque enceinte de protection qui couvre le réacteur en miettes n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine. Incapables d’envoyer le moindre engin qui survivrait aux radiations, les scientifiques ne savent pas ce qu’il s’y passe. Mais ça ne serait pas trop grave, disent-ils.


dimanche 25 avril 2021

Vous reprendrez bien un peu de plutonium ?

Alors que les pages « Sport et culture » des médias sont sous assistance respiratoire depuis plus d’un an, éclipsées par les sujets médicaux, profitons de cet engouement pour parler « Sociologie et salubrité publique ».

Tous les ans au printemps reviennent en mémoire les pétales de cerisier flottant comme des cendres sur les ruines de la région de Fukushima, au Japon. On aura dit ici-même beaucoup de bêtises depuis 2011 sur le drame de la centrale de Fukushima, alors que les autorités nucléaires mondiales, guidées par l’infaillible expertise française, claironnent qu’on peut fêter fièrement son 10ème anniversaire, parce qu’elle n’a quasiment pas fait de morts, et parce qu’elle nous aura appris tant de choses sur la résilience (1) de notre espèce, et sur les méthodes de gestion d’un désastre humain, expérimentées ici dans le vif.

(1) Très en vogue depuis une vingtaine d’année, ce mot savant, venu de la physique de la résistance des matériaux aux chocs violents, signifie simplement que la population s’est malgré tout adaptée à un taux élevé de contamination radioactive éparpillée un peu partout, et a su jusqu’à présent et en grande majorité en réchapper. On dit alors que la population est résiliente [comprendre résignée].
  
Dans la riante vallée de la Loire près de Gien, la centrale de Dampierre fête 41 ans sans accident nucléaire (connu). Gougueule Street view, à la demande récente du gouvernement français, assure avec une vraisemblance très relative que la centrale n’existe pas, où peut-être veut-on seulement cacher par pudeur les stigmates de la vétusté qui défigurent sans doute déjà le site.
 
Qu’avons nous appris depuis Fukushima ?
 
Relisons les grands articles de Cécile Anasuma-Brice, sociologue vivant au Japon, ou les rapports d’associations spécialisées comme l’ACRO, qui vient de publier un bilan chiffré (à lire seulement si vous êtes atteints d’un optimisme à toute épreuve, ou si vous avez perdu tout espoir dans l’Humanité).

Nous avons appris qu’au lieu de définir la zone sanitaire d’évacuation de la population en fonction du risque de contamination, il était plus pertinent de la définir en fonction du risque économique de gestion de la catastrophe. Quand l’évacuation devient ruineuse, il est plus simple d’augmenter sur le papier la quantité d’irradiation acceptable pour un humain, ce qui réduit automatiquement les dimensions de la zone à évacuer.
Grâce à Fukushima, la norme internationale a ainsi été multipliée par 20 (et 100 en cas d’accident nucléaire). On notera que la variabilité locale et temporelle de la radioactivité, dans un paysage, est si importante - il suffit parfois de se déplacer de quelques mètres - que toute mesure fiable est impossible, laissant ainsi une bonne latitude aux statistiques des organes de contrôle.

Nous avons également appris qu’après avoir amoncelé la terre radioactive dans des millions de sacs de plastique éparpillés sur le territoire (qu’on utilise maintenant dans la voirie - ils se sont mis à fuir) et avoir constaté que les ruissellements de la montagne et des forêts défaisaient en permanence le travail de décontamination, il était plus efficace de se focaliser sur la diffusion de l’information.
Il a suffi de supprimer petit à petit, dans les lieux publics, l’affichage en temps réel du niveau de radioactivité, de lancer une campagne d’information sur les bienfaits du retour sans risque des habitants (avec néanmoins de strictes consignes sanitaires sur les produits à ne pas consommer et les lieux à éviter), et de promettre la reprise économique de la région en y organisant par exemple certaines épreuves des jeux olympiques (idée qui semble abandonnée depuis).

Nous avons appris qu’une simple astuce administrative pouvait faire revenir dans la région une population incrédule et rétive, ce qu’a fait le Japon en 2017, en interrompant les subventions au logement attribuées depuis 2011 aux exilés, mais en l’accompagnant de programmes pédagogiques destinés à leur apprendre à « gérer le quotidien dans un environnement contaminé ».

Enfin nous savons maintenant que les mauvaises nouvelles, quand elles sont prévues de longue date et inévitables, gagnent à être ressassées dès le début et progressivement, pour une bonne acceptation par les populations. Prenons l’exemple des immenses réservoirs d’eau contaminée pour le refroidissement des réacteurs en fusion, qu’on a additionnés jour après jour jusqu’à ce qu’il y en ait 1000, et plus de place autour de la centrale. La population et les pays voisins ont eu le temps de comprendre, sinon d’accepter, qu’on ne se débarrasserait de ce milliard de litres d’eau, qui risquent de se répandre dans les terres par accident, fuites, tremblement de terre (2), qu’en les jetant à la mer, où ils se dilueront dans une proportion si faible que les poissons les plus rebelles ne protesteront même pas, affirment les experts de la société d’électricité (3).

(2) Arguments spécieux, le véritable motif étant que cette vidange doit laisser la place libre aux milliards de litres suivants, et ce pendant au moins un siècle, disent les pessimistes.
(3) À propos d'information du public sur les rejets, rappelons le 2ème accident nucléaire français, à Saint-Laurent-des-Eaux, le 13.03.80, avec début de fusion du cœur du réacteur et rejets radioactifs [lire le rapport ministériel de 2016], notamment de plutonium dans la Loire, pendant 5 ans sans que les riverains n'en aient étés clairement informés « C'était pour ne pas créer de panique. Il faut être responsable ! » se défend le président d’honneur d’Électricité De France en 2015 dans le reportage Nucléaire la politique du mensonge.

En résumé, nous aurons retenu qu’en changeant de point de vue et en analysant la situation non plus sous un angle défaitiste, mais avec sang-froid et rigueur, tout problème a sa solution économique.
D’ailleurs le gouvernement français, toujours prompt à mettre en œuvre les préceptes innovants, vient de décider la prolongation de 10 ans de la « durée de vie » de son parc de centrales, répondant ainsi aux propos alarmistes du responsable de l’ASN en 2013 (4) par une maitrise désinhibée du risque nucléaire.

(4) Le président de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN), P.F. Chevet, déclarait à l’Assemblée nationale le 30.05.2013 « Nous disons clairement, depuis un certain temps déjà, pas seulement à la suite de Fukushima, que l’accident est possible en France, et qu’il faut donc se préparer à ce type de situation, y compris à des crises importantes et longues. »

lundi 11 janvier 2021

La vie des cimetières (98)


La pointe nord de la presqu’ile du Cotentin à l’ouest de Cherbourg, dans le département de la Manche, a toujours été faite de lande, de dunes, de fougères, et d’ajoncs. On y produisait des centenaires tant l’air était vif et sain. Quand la peste débarqua au port de Cherbourg en 1630, tous ceux qui se réfugièrent à Biville, 15 kilomètres vers l’ouest, survécurent. L’église y gagna quelques centaines de fidèles et un clocher neuf. Mme Renep, dont on ne sait rien d’autre, y serait morte en 1697 à 116 ans, dit le site de la mairie (dont l'histoire semble s'interrompre dans un article complaisant de la presse locale le 11 octobre 1963).

En juin 1940 l’armée allemande apprécia l’air vivifiant qui balayait les dunes et y construisit de solides édifices qu’elle nomma Mur de l’Atlantique. Quatre ans plus tard, au solstice d’été, elle partait soudainement, abandonnant étourdiment sur place un chaos de blocs de béton et de grands trous dans les dunes de Biville et Vasteville, parsemées d’engins motorisés hors service. 
L’espérance de vie dans la région s’était un peu dégradée.

Pendant une soixantaine d’années les militaires français continuèrent à y jouer seuls à la guerre, et puis, peut-être lassés d'attendre l’adversaire, ils nettoyèrent le champ de tir et le confièrent au conservatoire du littoral en 2013, laissant en souvenir les éternels blocs de béton qui ponctuent encore la plage, et dans les dunes un cimetière d'épaves d'engins états-uniens ou blindés Panhard, qui auraient dû disparaitre pour faire de la figuration au musée de Sainte-Mère-Église. Mais le budget n’a pas été réuni. Elles étaient encore là en juillet 2019, date des dernières images par satellite publiées (coordonnées des épaves : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8.)


 
En 1966, l’industrie nucléaire militaire, qui demande des vents vigoureux et de fortes marées pour disperser les traces radioactives et les rejets en mer, installait au cœur de la lande, près du cap de la Hague, au nord, un Centre de retraitement du combustible et de stockage des déchets nucléaires français, puis européens et japonais.
En 1986 démarrait 15 kilomètres au sud après les dunes chaotiques, l’usine nucléaire de production d’électricité de Flamanville, un réacteur puis deux, puis le célèbre réacteur pressurisé européen (EPR), terrain de jeu de la technologie, du politique et de la finance depuis 2007, et loin d’être terminé tant ce petit monde s’y divertit.
Les deux sites sont interdits de survol, masqués sur les outils de cartographie et protégés en permanence par un système de lance-missiles.

Les mairies fantômes des 19 villages de la région, phagocytées par La Hague, et leurs offices touristiques, vantent les paysages austères, la flore et la faune, mais ignorent le cimetière des engins de guerre et les rapports parfois inquiétants des associations citoyennes de surveillance de la radioactivité. 
Les coquillages et les crustacés du littoral, qui ne lisent pas les rapports de l’ACRO, supportent sans dire un mot un niveau de contamination conforme aux normes européennes en cas d’accident nucléaire.

Il arrive qu’en passant au-dessus du site de la Hague les nuages dessinent des formes inattendues. Hallucinations ?

jeudi 11 juillet 2019

Comptes de faits (3)

On n’a sans doute pas oublié que le président-directeur du musée du Louvre depuis 2013, M. Martinez, reconduit en 2018, jadis expert en antiquités grecques et romaines, détenteur du record mondial du nombre de visiteurs, a audacieusement refusé à une ministre de la Culture tout déplacement de la Joconde de Léonard de Vinci, pour la raison de l’extrême vétusté de son support en peuplier.
Et comme on le soupçonnait, le motif décisif, inavoué publiquement, était la crainte de subir pendant de trop longs mois le déclin hypothétique (1) du nombre de visiteurs payants.

En effet, le 28 juin dernier, M. Martinez se justifiait clairement, dans une communication à l’Agence France Presse (AFP), en annonçant que la Joconde serait incessamment déplacée de 100 pas, de sa position actuelle vers la galerie Médicis et ses Rubens. Elle en reviendrait, et reprendrait sa place précise dans la galerie des États, au bout de 4 mois, juste avant l’ouverture du grand show du demi-millénaire de Léonard, qui aura lieu moins de 200 mètres plus loin, en bas, au bout du hall Napoléon, mais qu’elle ne rejoindra donc pas.
Cette promenade n’était pas prévue dans la description des travaux de janvier 2019, où la Joconde restait seule visible pendant un an dans l’immense salle des États en chantier.
Pour être plus précis, les 100 pas de M. Martinez mesurent en réalité 250 mètres, ou 500 mètres aller-retour.

L’intrépide contradicteur de l’AFP s’exclamait, en substance « Mais vous avez refusé le moindre déplacement du tableau, à des gouvernements étrangers, à un ministre français, et à votre propre monumentale exposition de l’automne, alléguant la vulnérabilité du panneau de bois ».

L’auguste M. Martinez rétorquait que le Louvre, qui n’avait pas refait les peintures depuis 15 ans (les murs, pas les tableaux !) préférait rester ouvert pendant les travaux, et que le déplacement vers l’exposition d’automne n’était pas exclu pour des raisons de sécurité, mais pour la satisfaction des visiteurs. « Les espaces de l’exposition temporaire ne permettent d’accueillir que 3000 à 5000 visiteurs par jour alors qu’il y a au moins 21 000 personnes qui viennent au Louvre pour voir la Joconde », dit-il.

Calculons, 10 200 000 visiteurs en 2018, divisés par 310 jours d’ouverture font 32  900 visiteurs par jour. La rumeur disait qu’un visiteur sur deux passait devant la Joconde. 21 000 font deux visiteurs sur trois.

Les choses sont donc claires. Comme pour la production d’électricité en France, l’objectif impérieux de M. Martinez est de poursuivre la croissance, en concentrant les risques sur une seule ressource et sans en chercher la diversification, sans quoi il ne maintiendrait pas sa place de président-directeur du musée le plus couru de tout l’univers, pense-t-il.

À l’instar du parc fragile et vieillissant des réacteurs nucléaires français (2), le bois du tableau de Léonard travaille et se déforme un peu plus chaque jour, au point que sa restauration, longtemps ajournée, semble aujourd’hui définitivement abandonnée.

Qui sait ce qui pourrait lui arriver, à l’occasion de ces déplacements et d'un exil de quatre mois parmi 300 mètres carrés d’allégories flamandes indigestes, qui en fragiliseront inévitablement la sécurité et l’intégrité ?

***
(1) On ne saura probablement jamais si les périples de la Joconde en 1963 aux USA et 1974 au Japon on influé sur le volume annuel de visiteurs du Louvre, ou stimulé le désir des Américains et des Japonais de visiter le Louvre et la France, attirance largement constatée depuis dans les statistiques de fréquentation du musée.
Des raisons similaires ont empêché le prêt en 2016 au musée de Bois-le-Duc, par le musée du Prado, du triptyque du Jardin des délices de Jérôme Bosch pour la rétrospective du demi-millénaire de sa mort. Ainsi la véritable rétrospective a eu lieu à Madrid au Prado et non dans la ville natale de Bosch. 
(2) P.F. Chevet, président de l’Autorité de sureté nucléaire (ASN), déclarait à l’Assemblée nationale le 30.05.2013 « Nous disons clairement, depuis un certain temps déjà, pas seulement à la suite de Fukushima, que l’accident est possible en France, et qu’il faut donc se préparer à ce type de situation, y compris à des crises importantes et longues. » 


Mise à jour du 17.07.2019 : la Tribune de l'Art, toujours prête à expérimenter les extrêmes, vient de faire ce nouveau et temporaire parcours de la Joconde, en pleine flambée touristique. Il en sort la description d'un long chaos comme dans l'Apocalypse de Jean, avec moult photos insoutenables, comme celle où l’immense galerie Médicis vide est couverte de la forêt des poteaux qui guident le cordon qui contiendra la piétinante procession, serpentant lentement dans l’espoir d’apercevoir la sainte relique pour une poignée de secondes.

Mise à jour du 23.07.2025 : entendu aujourd'hui dans une vidéo de 2019 par les commissaires de l'exposition du 500ème anniversaire de la mort de Léonard que l'absence de la Joconde à l'exposition était bien due à des problèmes de fréquentation, en "inventant" des valeurs très différentes de celles du président : pour le nombre maximum de visiteurs de l'exposition ils disent 7000 quand le président disait 3000 à 5000, et pour les visiteurs quotidiens de la Joconde ils disent 30 000 quand le président annonçait plus modestement 21 000. La peinture n'est pas une science exacte. 

vendredi 12 avril 2019

Le « Léonard » a disparu

Le « génie universel » de Léonard de Vinci est une création de la littérature et des médias. À l’exception de dessins et de quatre ou cinq tableaux prodigieux, Léonard n’a laissé que des œuvres inachevées (pathologie constatée par ses contemporains même), raté la plupart de ses expérimentations, hormis les spectacle avec machineries, musique et costumes, et couvert plus de 7000 feuilles de gribouillages spéculaires à la limite de l’autisme, remplis d’utopies mécaniques qui ne fonctionnent pas, de listes de choses à ne pas oublier, de dessins de cadavres qu’il dépeçait consciencieusement, et d’observations visionnaires qui seront lues trop tard.
Sa plus grande réussite est certainement sa renommée posthume. Car comment expliquer l’hystérie médiatique autour de la Joconde, ou le prix exorbitant et insensé atteint par ce tableau médiocre, le Salvator Mundi, restauré « à la Léonard », et qui lui est attribué par un nombre déclinant de spécialistes ?

On se souviendra peut-être du premier acte de cette comédie burlesque, où l’on voyait ce tableau raté, représentant un christ junkie bénissant distraitement et tenant un orbe, acheté 450 millions de dollars par le prince MBS, satrape de l’Arabie saoudite, et promis à devenir la « Joconde » du musée de prestige des Émirats arabes unis, le Louvre Abu Dhabi, qui venait alors d’ouvrir.

Hélas, depuis les enchères miraculeuses du 15 novembre 2017, les aventures du tableau le plus cher du monde piétinent. Personne ne sait où il se trouve. Toujours pas sur les cimaises du musée d’Abu Dhabi. Et plus se manifestent les doutes sur sa paternité, plus les communications des autorités compétentes se font chaotiques.

Sur son site ArtWatch, Michael Daley signale un article du 16.02.2019 du Telegraph qui annonçait que le Louvre, doutant de son authenticité, n’inclurait pas le tableau dans sa grande exposition d’automne pour le 500ème anniversaire de la mort de Léonard. Le Telegraph tenait cette affirmation d’un spécialiste du peintre et familier des autorités du musée.
Dès le lendemain, l’attaché de presse du musée, pour discréditer le témoignage du spécialiste, mentait en minimisant ses relations avec le Louvre, et déclarait que le musée voulait le Salvator Mundi pour sa superproduction d’octobre et l’avait demandé à son propriétaire, sans autres précisions.

Daley déduit, de ces atermoiements et faux démentis, que le Louvre aimerait exposer le tableau (sa renommée à 450M$ réjouirait le compteur de visites), mais pas sous le nom de Léonard (peut-être comme « atelier de » ou « école de »), et que le propriétaire aimerait prêter le tableau, mais uniquement s’il était attribué sans réserve à Léonard (histoire de lui donner, avec la bénédiction du plus grand musée du monde, la respectabilité nécessaire à la rentabilisation d’un investissement foireux).

Après ce deuxième acte confus et cornélien, le spectateur espère sans doute un acte final détendu, où tout le monde s’embrasse devant le tableau réapparu et lance au public un clin d’œil complice.
On sait déjà qu’il se déroulera au plus tard le 24 octobre 2019, jour de l’ouverture du super show Léonard de Vinci au Louvre, et on peut, sans trop de risque, supposer que la fin sera effectivement heureuse, que les bonnes relations diplomatiques et commerciales y auront infusé leur bonne humeur.

Et on frissonnera dans l’attente du catalogue de l’exposition qui devrait être un summum d’érudition. Il attribuera le tableau à la main de Léonard, comme l’avait déjà fait la National Gallery de Londres en 2011. Une note de bas de page, en caractères minuscules, dans une annexe très technique, émettra peut-être discrètement un léger doute, en priant pour ne pas être remarquée.
Peut-être même y trouvera-t-on, attribué également à Léonard, la belle princesse, ce dessin refusé en 2011 par la National Gallery, alors qu’il semblait présenter, il est vrai à grand renfort de documentaires et d’articles de presse sensationnalistes, des arguments d’authenticité plus probants que le Salvator Mundi.

Mais pour l’instant, à 6 mois seulement de l’exposition monumentale, un silence de tombeau pèse étrangement sur le site du Louvre, certainement par respect pour le grand génie. N’oublions pas qu'on célèbrera alors l’anniversaire de sa mort.



Léonard de Vinci, Codex atlantico, projets mécaniques, planches utilisées par Électricité de France pour construire la centrale nucléaire de nouvelle génération de Flamanville. Par chance, comme tous les projets de Léonard, celui d'EdF traine depuis 14 ans et n’est pas près de voir le jour (Milan, bibliothèque Ambrosienne).

mercredi 4 juillet 2018

Tout n'est pas désespéré

Est-il spectacle plus réjouissant que celui de gens simples, éparpillés, démunis, terrassés par les mesures aveugles de fonctionnaires zélés qui exécutent une décision arbitraire, motivée par le pouvoir ou l'enrichissement de politiciens soudoyés par des entreprises privées, quand ces gens se regroupent clandestinement, résistent par des sabotages taquins, et obtiennent, avec bravoure mais bonhommie, l'abandon d’un projet dévastateur ?

C'est un plaisir extrêmement rare (il faut déjà avoir réussi à lire cette phrase indigeste sans sourciller).

« La bataille de l’Eau Noire » (2015), de Benjamin Hennot, plus qu’un documentaire, est un film humaniste, libertaire et euphorisant, qui fait le récit, par le témoignage de ses principaux acteurs, de la résistance des villages belges de la région de Couvin, afin d’empêcher la construction d’un barrage dans la vallée de l’Eau noire, en 1978.
Le sujet peut sembler rébarbatif. C’est une jubilation permanente.
Téléchargez-le pour 8 euros sur le site de la coopérative audiovisuelle « Les Mutins de Pangée », et savourez-le entre amis. Il est médicalement conseillé contre toutes les formes de mélancolie, les neurasthénies les plus tenaces et devrait être bientôt remboursé par la Sécurité sociale.

Et vous réaliserez une bonne action, car il est temps de redonner espoir et courage aux luttes actuelles qui s’embourbent en France sous la violence des autorités, comme à Notre-Dame-des-Landes, ou sur le plateau de Bure, en Lorraine. Là, de minables technocrates prétendent se mesurer à l’éternité en projetant, à l’aide de l’armée et des forces de l’ordre, d’escamoter des dizaines de milliers de tonnes de déchets radioactifs sous un petit bois communal, et pour des millénaires.

Le Bois Lejuc, près de Bure et Mandres-en-Barrois en Lorraine, avant qu'il ne soit repris par les forces de l'ordre. Il se trouve à 30 km de Domrémy-la-Pucelle. C’est dire si l’endroit était destiné à devenir historique, définitivement cette fois-ci.

Pour exemple, voici un épisode récent de la Bataille biblique du Bois Lejuc, raconté par la Fondation BLE Lorraine le 17.08.2017
Le conseil municipal de Mandres-en-Barrois a voté le 18 mai dernier sous haute tension la cession du Bois Lejuc à l’Agence Nationale de gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) pour accueillir le projet d’enfouissement de déchets nucléaires CIGEO. La cession de ce terrain de près de 220 hectares avait déjà été actée en conseil municipal en juillet 2015 de manière rocambolesque avant d’être invalidée par le Tribunal Administratif de Nancy le 28 février 2017 pour vice de forme. Ce dernier avait en effet été saisi par des riverains. La commune avait quatre mois pour régulariser la situation. Une centaine d’antinucléaires avaient fait le déplacement pour empêcher la tenue de ce second vote et dénoncer la « mascarade démocratique » ayant lieu dans ce village de 120 habitants, où des gendarmes mobiles avaient été mobilisés en nombre. Arrivés à la mairie peu avant vingt heures, les onze élus de Mandres ont donc adopté la cession du Bois Lejuc contre un autre bois propriété de l’ANDRA par six voix pour et cinq contre. Quelques jours après le vote, 35 habitants de la commune ont décidé d’attaquer la décision du conseil municipal qui n’a selon eux « aucune légitimité ». Ils dénoncent en effet le fait que « parmi les six élus ayant voté pour l’échange avec l’ANDRA, plusieurs conflits d’intérêts sont avérés. Certains ont des membres de leur famille qui travaillent pour l’ANDRA, tandis que d’autres ont obtenu des terres ou des baux de chasse ». Ces citoyens lorrains veulent également mettre en évidence le « système clientéliste qui écrase les élus et les rend dépendants ». Ils rappellent également la présence massive des gendarmes, plus nombreux que les habitants, le jour du vote, « vécue comme une pression sur la population rurale ».

vendredi 7 avril 2017

L'éternel hiver de Fukushima

Dampierre, la centrale nucléaire près de chez vous. 

Le printemps est de retour. Le bord des routes est ponctué de cerisiers et de pommiers en fleurs. Les journaux, quand on les lit un peu vite, ou seulement les titres, diffusent de bonnes nouvelles du Japon. Les habitants de la région de Fukushima sont maintenant autorisés à revenir sur une grande partie des lieux évacués lors de la catastrophe nucléaire de 2011. On pourra bientôt oublier cette tragédie.

Pour prolonger un peu la douceur de cette information, on écoute « Les années lumière », la plus agréable et fiable (*) des émissions de popularisation scientifique en langue française, disponible en balado-diffusion, et qui se penche justement, le 26 mars, sur le retour des exilés de Fukushima. [écouter les minutes 61 à 78

Mais la sociologue interrogée par Yanick Villedieu, Cécile Asanuma-Brice, semble décidée à contrarier l’optimisme officiel.

Elle nous apprend qu’en réalité le nouveau gouvernement japonais, favorable au nucléaire, contraint les habitants à revenir en leur supprimant toutes les subventions au logement attribuées depuis l’évacuation, que toute vie sur place est déraisonnable, qu’il n’y a plus de commerces, de réseaux, de services, que des millions de sacs de terre et de végétaux contaminés sont répartis sur 115 000 sites, qu’il est interdit d’aller en forêt, dans la montagne, au bord des rivières, dans tous ces endroits qui ne peuvent pas être décontaminés, qu’il est déconseillé de manger nombre de produits comme les champignons, les choux, les épinards, et tous les animaux qui les mangent.

Et si cela ne suffisait pas, la sociologue nous avertit que la question n’est pas seulement régionale, mais que Fukushima reçoit, chaque année depuis le drame, des colloques d’experts et d’organismes internationaux qui, constatant qu’évacuer la population était trop couteux, se sont entendus pour multiplier par 20 les seuils de radiations acceptés pour un être humain (qui sont désormais internationalement - directive de l’UE en 2014 - de 20 millisieverts par an), et pour les multiplier par 100 en cas de crise comme l’explosion d’une centrale nucléaire, ce qui réduira dorénavant considérablement la surface des zones dites inhabitables.
Tout cela, elle le détaille également sur son blog

« Fukushima est devenu un terrain d’entrainement pour la gestion du prochain accident nucléaire où qu’il soit », dit-elle. En 17 minutes, madame Asanuma-Brice aura empoisonné notre printemps.

Dehors il s’est mis à pleuvoir.


(*) Mise à jour 25.12.2017 : hélas, la retraite de l'animateur en juillet 2017 a marqué un virage vers une émission de papotages confite dans les bons sentiments et centrée sur l'écologie et l'enseignement de la science.

samedi 23 avril 2016

Nuages (39)

Saint-Ouen près de Paris, l'usine de barbe à papa tourne à plein régime.

Si vous croyez réellement, comme l’affirment certains médias ou institutions, que les biches, les alouettes et les sauterelles cabriolent, volètent et gambadent aujourd’hui avec insouciance sur les lieux mêmes qui virent se déchainer l’enfer nucléaire le 26 avril 1986, si vous pensez que la résilience de la nature et des hommes existe objectivement et n’est pas un concept fabriqué opportunément, si vous êtes persuadés que la barbe à papa est fabriquée dans de colossales usines d’où elle sort en abondance de hautes cheminées, alors n’écoutez pas cette émission de France-culture « Catastrophe nucléaire, la nature peut-elle survivre aux radiations ? », vous n’y croiriez pas.

samedi 13 juillet 2013

Buzogabuzozozogaga ans !

On le sait maintenant, les déchets nucléaires les plus mortifères le restent pendant des dizaines, des centaines, voire des milliers de milliers d'années.
La Finlande engluée dans la question aujourd'hui insoluble de bazarder ceux qu'elle produit s'est lancée depuis une quarantaine d'années dans un projet insensé sur la presqu'ile d'Olkiluoto qui accueille déjà un complexe nucléaire.
Elle creuse dans la roche une immense galerie poubelle qui serait terminée en 2020, et où seraient entreposés à 500 mètres de profondeur tous les déchets finlandais passés et à venir, pendant un siècle. Puis vers 2100 le couvercle serait scellé « définitivement » de telle sorte que personne ne puisse s'en approcher durant les 100 000 ans qui suivront.

Évidemment c'est une blague ! Pas le projet, qui bénéficie du concours des instances finlandaises les plus officielles, mais les ambitions annoncées.
Les constructeurs sont interrogés dans un reportage récemment diffusé à la télévision (1), au nom pompeux « Into Eternity » (dans l'éternité) et au style ampoulé et prétentieux (musique dramatique, ralentis, personnages fantomatiques, ton grandiloquent). Pas de regard critique, tout y est dramatisé à la gloire de cette opération pourtant dérisoire, digne du professeur Shadoko, et qui aurait demandé plutôt légèreté et ironie.

Car c'est réellement cocasse de voir ces fonctionnaires ordinaires se poser des questions vertigineuses évidemment sans réponse sur des évènements qui surviendraient dans les millénaires à venir, se demander dans quelle langue informer les futures générations de ne jamais creuser dans le coin ou par quel moyen leur faire oublier l'existence de ce tombeau afin d'empêcher les razzias quand le cuivre et l'uranium seront épuisés sur terre.
On réalise que l'ambition du projet dépasse les misérables capacités de l'espèce humaine. Jusqu'à présent toutes les tentatives d'enterrement ambitieuses de ce genre se sont perdues dans des atermoiements irrésolus ou soldées par des monstruosités écologiques, comme le scandale de la mine d'Asse.

Le cinéaste, quant à lui, a déjà les réponses. C'est son film qui traversera les millénaires et informera les habitants de l'avenir. Convaincu de la pérennité de son œuvre, il la sous-titre « Un film pour le futur » et signe sur l'écran. Il aura eu le mérite de nous faire ricaner d'un sujet pathétique. N'est pas Stanley Kubrick ou Werner Herzog qui veut.

Au milieu du film, un directeur de recherche déclare en riant « un bruit court dans les équipes. En creusant on va trouver un sarcophage de cuivre un peu comme ceux que nous allons déposer mais dont on ne comprendra pas les raisons... »
L'espèce humaine a créé une chose monstrueuse dont elle ne se débarrassera peut-être jamais.

*** 
(1) Disponible un peu partout en DVD, en VOD et en P2P.

vendredi 29 mars 2013

Rebondissements

Tout va trop vite. La météo est si glaciale que l'équinoxe est passé sans se faire remarquer, et le printemps est là, quelque part, incognito. Cependant les évènements, indifférents aux conditions climatiques, continuent de se produire.
Habituellement, lorsqu'un évènement, une péripétie, vient enrichir ou infirmer le contenu d'une chronique passée du blog, un additif est aussitôt apporté, daté, à ladite chronique, sans qu'hélas l'abonné fidèle en soit prévenu autrement que par l'ajout du mot clef « Mise à jour ». (Existe-t-il un moyen de l'alerter ?)

Parfois ces rebondissements se précipitent en giboulée, comme en cette fin de mars.

Les serres d'Auteuil et leur jardin botanique, partiellement classés comme monuments historiques, et que le Maire de Paris cherche à brader au profit de la Fédération Française de Tennis pour agrandir le complexe de Rolland Garros, ont obtenu un sursis.
Le Tribunal Administratif de Paris vient d'annuler la décision de la ville. Le juge a considéré que certains éléments du dossier ont été négligemment dissimulés aux conseillers de la ville, et que le montant de la redevance due par la Fédération en échange de l'occupation du terrain pendant un siècle était curieusement bas.
La convention entre les parties doit être résiliée.

Mise à jour du 10 juin 2015 : après maints rebondissements et péripéties, la Mairesse de la ville de Paris, fortement appuyée par le Premier Ministre du moment et contre l'avis du Conseil de Paris, vient de signer les permis de construire lançant la destruction d'une partie des serres d'Auteuil au profit de la Fédération Française de Tennis et de son projet d'extension du stade de Rolland Garros.

Pendant ce temps aux antipodes, le maire de la ville de Namie, sept kilomètres au nord de la centrale nucléaire de Fukushima, dévastée par le tsunami le 11 mars 2011 puis abandonnée pour des siècles, a demandé que Google Street View envoie une voiture sans chauffeur sillonner la zone irradiée.
Ainsi ses 20 000 administrés déportés peuvent-ils se promener virtuellement dans les lieux où ils ont vécu et qu'ils ne reverront sans doute jamais, comme on feuillette des photos de vacances.

Namie, près de la centrale nucléaire de Fukushima, la banlieue de la ville morte est visitée par les voitures sans chauffeur de Google Street View.

Quant au sort de la jeune femme qui avait graffité (sans dommage) un coin du tableau « la Liberté... » de Delacroix, il devient de plus en plus sombre. Son patronyme commence par la lettre K comme le héros malheureux du roman de Kafka, le Procès.
Internée depuis bientôt deux mois dans l'hôpital psychiatrique de Saint-Venant, elle a la malchance de bénéficier d'une loi du 5 juillet 2011, alors très décriée, qui facilite la prolongation des internements arbitraires de personnes sans leur consentement (version démocratique du goulag).
Tous les recours lui ont été refusés. Aucune visite n'est autorisée, même familiale. Pire, malgré cet internement, le procureur de Béthune cherche à la faire déclarer pénalement responsable, ce qui serait un comble et certainement une victoire pour la Liberté.
Un comité de soutien de cette pauvresse s'est constitué. Il faut lire son point de vue qui se distingue par son calme des hurlements de la meute.

Et puis le score en visiteurs de l'exposition Dalí à Beaubourg est tombé. 790 000.
Il bat Edward Hopper d'une moustache. Hopper avait fait 784 000. Mais le Dalí de 2013 ne bat pas le Dalí de 1979 qui avait fait 840 000. Les contraintes de sécurité à l'époque étaient laxistes prétendent les organisateurs. Monet reste au sommet du podium avec ses 913 000.
Rappelons que ces scores ne reflètent pas la qualité des artistes ni des expositions mais sont la conséquence quasi directe du niveau de dépenses affectées au bourrage de crâne médiatique.

Enfin, qui aura aimé l'étrange tableau de Jacob Vrel (ou Vreel, ou Frell) présenté avec la collection Lugt au printemps 2012 aurait tout intérêt à se rendre à l'hôtel des ventes, 9 rue Drouot à Paris, très précisément le 9 avril entre 11h et 18h, ou le 10 entre 11h et 12h.
Le cabinet Fraysse et associés y expose avant la vente aux enchères de 14h, parmi la succession de Monsieur J.L., une rareté de Vrel, voisine du tableau de la collection Lugt.
Une femme en noir lit au centre d'une pièce vide. Au fond, derrière les carreaux sombres de la fenêtre, on distingue le visage fantomatique d'un enfant qui observe l'intérieur.
Estimé autour de 100 000 euros, c'est peut-être l'unique occasion de le voir, s'il est acheté par un particulier. En France, seul le Palais des beaux-arts de Lille expose un tableau de Jacob Vrel.

Mise à jour du 15 avril 2013 : estimé entre 80 000 et 120 000 euros, il a atteint 2 232 000 euros ! (1 800 000 aux enchères, plus la commission de 20% pour le commissaire-priseur qui avait si bien estimé la valeur du tableau et 4% de taxes diverses).

Détail du tableau de Jacob Vrel aux enchères du 10 avril à Drouot.