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dimanche 30 juin 2024

Serra et ses disparitions

Clara-Clara, sculpture de Richard Serra, exposée sur Google Earth en 2024 (et ici à Paris en été 2008).


Tout, ou presque, disparait un jour. C’est un phénomène naturel. Les plus perspicaces des philosophes l’ont remarqué. Hier encore c’était le tour du grand sculpteur étasunien Richard Serra. Les médias en ont parlé à la mesure de sa renommée.
Ce qui est en revanche moins naturel, c’est que certaines de ses œuvres, et non des moindres compte tenu de leurs dimensions, ont aussi disparu, avec les années. Pourtant quand on expose une sculpture de Serra on ne risque pas de la perdre de vue, on est souvent obligé d’abattre des murs, de faire des travaux de terrassement, parfois de consolider les fondations.

Comme Kapoor, Serra était de ces artistes visiblement hantés par l’insignifiance de la condition humaine et qui ne soulagent leur affliction que dans la démesure de leurs créations. Un excès d’humilité, en quelque sorte.
Sur le plan technique, pour un Serra de bonne facture, il faut imaginer une monumentale plaque d’un acier imitation rouille, plus ou moins courbe et en équilibre sur la tranche, débordant l’espace d’une galerie d’art ou trônant au centre d’un lieu public. Les critiques et experts appellent cette période des formes géantes, majeure dans l’œuvre et dans l’esprit de Serra, sa période minimaliste. C’est leur sens de l’humour.

Toujours impressionnantes, les dimensions sont en principe mentionnées dans les revues et catalogues, mais rarement le poids, pour ne pas décourager le client, ou alors en hasardant des valeurs fantaisistes, comme le fait parfois Wikipedia qui ne garantit pas toujours l'exactitude des sources. 

Le calcul est pourtant simple. 
Prenons le cas de Clara-Clara, deux longues plaques d’acier recourbées et posées en miroir l’une en regard de l’autre, comme des parenthèses inversées. Chacune mesurait environ 36 mètres par 4, et 4,5 centimètres d’épaisseur (mais vous trouverez aussi 33m - 3,70m - 5,1cm ou d’autres valeurs encore). Connaissant la densité de l’acier, environ 8 grammes le centimètre cube, vous aviez déjà la réponse avant de la lire, 3600 par 400 par 4,5 par 2 par 8 : Clara-Clara devait peser 104 tonnes, à la louche. Une autre œuvre fameuse, Tilted Arc, moitié moins grande mais plus épaisse - 6,4cm - pesait ainsi 70 tonnes (valeurs confirmées par le Journal des Arts avec respectivement 108 et 73 tonnes).  

Mesurait… pesait, on en parle au passé, parce qu’il y a longtemps qu'on ne les a plus vues. La disparition de leur concepteur a été l’occasion pour les médias de ressortir des placards certains de ces pesants fantômes. 
Il n’y a rien de très mystérieux dans ces occultations. Quand il prend le pouvoir, l’élu qui souhaite lui aussi laisser une trace de son passage, marquer le territoire qui lui appartient désormais, commande alors avec l’argent public une œuvre monumentale à un artiste que ses conseillers favorisent. Assourdis par la fanfare des lendemains qui chantent, personne ne prête attention aux aspects logistiques du geste culturel. Et arrive le jour où on installe le monument.

En 1981, c’était Tilted Arc, à New York, un mur de métal long de 37 mètres et haut de 3,70 érigé au milieu d’une place populeuse au cœur de Manhattan, Federal Plaza. Après 8 ans de laborieux procès, notamment contre le 1er amendement (la liberté d’expression de l’artiste), 8 ans d’outrages pour l’œuvre, devenue dépôt d’ordures, urinoir géant et mur de graffitis, les riverains et usagers de la place en obtenaient l’enlèvement. Serra a toujours refusé qu’elle soit installée ailleurs que sur Federal Plaza. Il déclarait pour sa défense (ses paroles ont sans doute dépassé sa pensée) "L’œuvre doit faire prendre conscience au passant de lui-même et de son mouvement à travers la place […] La fonction de l’art n’est pas de plaire […] L’art n’est pas destiné au peuple."
Découpé en 3 tranches en 1989, le sandwich de 73 tonnes est aujourd’hui dans un site de stockage de la très sérieuse et officielle Administration des services généraux, peut-être à Alexandria près de Washington.

En 1983, c’était Clara-Clara, à Paris. Commandée pour le parvis du musée par le Centre Pompidou, on réalisa qu’elle était trop lourde et qu’elle constituerait un obstacle et un risque pour la circulation sur la moitié de l’espace piétonnier. On la posa alors dans le jardin des Tuileries, place de la Concorde. Dans ce lieu fréquenté, elle ne fut pas toujours respectée par les mouettes, les passants, et les polémistes parisiens, comme tout monument public. Elle résista 2 ans. En 1985 la Mairie de Paris l’achetait et la remisait square de Choisy où elle dérangeait autant et ne fut pas moins déshonorée que ne l’était Tilted Arc au même moment à Manhattan.
Depuis 1990 - excepté un retour aux Tuileries en 2008-2009 - Clara-Clara est entreposée dans une réserve du fonds municipal d’art contemporain de la ville de Paris à Ivry-sur-Seine, en un sandwich de 6 tranches de 12 mètres (notre illustration).  

En 1987 débutait la disparition la plus cocasse. Le musée d’art moderne Reina Sofia de Madrid fraichement créé exposait Equal-Parallel-Guernica-Bengasi commandé à Serra par le ministère de la Culture. L’œuvre n’en fait rien paraitre mais son nom est, dit-on, une revendication politique courageuse. Dès 1988, pour satisfaire un besoin d'espace, les 2 murs et les 2 cubes qui la constituaient étaient confiés à une entreprise de stockage.  
17 ans plus tard, en 2005, un inventaire des collections rappelait au musée lui-même l’existence de l’œuvre. Entretemps l’entreprise de gardiennage avait fait faillite, en raison notamment, prétendent les calomniateurs, des impayés de l’administration espagnole, dont le musée Reina Sofia. Aujourd'hui encore personne ne sait ce qu’est devenue l’œuvre, sauf ceux qui l’ont peut-être vendue ou achetée au poids du métal.
En pénitence le musée en commandait alors une réplique, que Serra fit réaliser par une fonderie en Allemagne. Magnanime, il livra ce double pour la moitié du prix de l’original (hors frais de fabrication).
Réalisée en 2008, l’œuvre est néanmoins exposée antidatée de 1986 au musée Reina Sofia, parce que le concept, le plan de fabrication, datent de 1986, la réplique matérielle n’en étant qu’une incarnation passagère, remplaçable, une abstraction de 38 tonnes.

On aura compris à ces exemples que les créations de Serra sont souvent embarrassantes. La dalle du parvis de La Défense, près de Paris, qui supporte un musée à ciel ouvert de sculptures contemporaines de dimensions pourtant respectables, à renoncé à héberger les 25 tonnes de Slat de Serra, et l’a reléguée en contrebas derrière la Grande Arche, où seuls les employés de bureau des tours qui la bordent au nord, les automobilistes égarés ou les locataires du cimetière de Neuilly, peuvent la contempler. 

Et on ne peut pas se débarrasser facilement d'une œuvre de Serra, pour des motifs moraux et politiques, bien sûr, mais aussi pour d’évidentes raisons matérielles. Les tranches d’acier plantées par Serra un peu partout sur la planète, à Toronto, à Bilbao, à Doha, dans le désert Qatari où il a refait le 2001 de Kubrick, ou à Glenstone, resteront pendant des siècles, voire des millénaires, pour d'incertains archéologues du futur, des traces énigmatiques d'une civilisation dématérialisée et agonisante.

***

Anecdote : La dernière sculpture monumentale de Serra passée aux enchères l’a été chez Christie’s en 2013 contre 4,3 millions de dollars. Christie’s la décrivait "presque existentielle, une déclaration sur notre place dans le monde et notre relation avec les choses" et en taisait pudiquement le poids, qu’on peut estimer à 17 tonnes (elle n’était pas présente en salle des ventes), ce qui ne la fait après tout qu’à 253$ le kilo. 250 fois le prix de l’acier brut, mais 20 fois moins que le meilleur caviar, et plus durable.

Ressources : Internet foisonne d’articles, d’analyses approfondies, de photos, de vidéos sur Serra. Chacun(e) les trouvera dans ses réseaux préférés. Signalons une petite vidéo en anglais de 9 minutes sur la destinée de Shift, un mur de Serra oublié dans un champ de pommes de terre canadien depuis 50 ans.


dimanche 11 février 2024

Invendus (5)

Adam de Coster - Reniement de Pierre c.1627, marché de l'art.

"Le marché est hésitant" lit-on à propos de la vente du 31 janvier 2024 chez Christie’s, première grande vente de tableaux de maitres anciens de l’année. On venait à peine de récapituler l’année 2023. En réalité on devrait lire "Les affaires vont mal" ; le marché, quand il s’inquiète, comme quand il se réjouit, le fait discrètement. Et il s’inquiète vite. Deux ou trois signes et il devient morose. Déjà à Paris fin octobre Miró avait déçu, 22M$ alors qu’on le voyait dans le panthéon des tableaux à 50 millions, Magritte également avec ses 12M$. 

Monet décevra-t-il le 7 mars avec une énième Matinée sur la seine disparue depuis 45 ans, ou le même jour Magritte, tellement ennuyeux quand il se pastiche, ou le 24 avril Klimt quand il finit ses vieux tubes de couleur inutilisés ?

Comme toute économie, le marché de l’art ne tient que par la confiance. Il est convaincu que le chiffre de demain sera plus gros que celui d’hier. Or le bilan de la vente du 31 janvier n’est pas fameux. Ilgiornaledellarte en a fait un long article qu’il titre avec retenue "Bilan tiède".


Sur 66 tableaux, 30 étaient invendus, 25 partis au plus bas de leur estimation, et 8 très en dessous.

3 tableaux ont tout de même réussi à disparaitre en doublant leur estimation moyenne ; Thomas Lawrence avec une tête réussie noyée dans un tableau grossier, l’inévitable Artemisia Gentileschi avec une jolie draperie dans un vilain portrait, un de ses meilleurs tableaux néanmoins, parti contre 84$ le cm², et une très belle et sobre nature morte d’Osias Beert aux noix et noisettes avec papillon et verre de vin, rare parce que ses tableaux sont habituellement très surchargés (le voir en haute qualité).


Parmi les 30 invendus, qui intéressent notre rubrique et qui réapparaitront peut-être dans quelque temps, notons :  


➤ Un Siberechts estimé 14$ le cm², pas au sommet de son art, mais traditionnel, comme on en verrait dans le musée d’une grande ville de province, avec son gué, ses saules, ses vaches et son cheval qui se soulage. Aucun musée n’en a voulu.


➤ Deux tableaux de Thomas Blanchet, peintre français du 17ème siècle formé surtout en Italie par Nicolas Poussin et sa bande, classique parmi les classiques au point d’en être insipide. Dans ses tableaux, tout est parfaitement rangé et réparti pour être lisible, le point de fuite est bien au centre et les ruines impeccablement antiques. Si on ne s’arrête pas aux mythologies désuètes qu’ils sont censés illustrer et si on imagine assister plus prosaïquement aux contrariétés domestiques d’un dieu ou d’un héros grec qui se querelle à propos de la garde des enfants (en bas à gauche) ou s’efforce de repérer l’origine d’une fuite d’eau (en bas à droite), on peut trouver quelque charme dans ces petits personnages perdus dans des architectures au cordeau. Mais à 18$ le cm², personne n’a été tenté. 


➤ Enfin, une nuit avec le Reniement de Pierre, par Adam de Coster, peintre rare, caravagesque hollandais dont il faudra parler un jour dans Ce Glob, n’a pas trouvé amateur à 21$ le cm². 


Rassurons les adeptes du luxe, si le marché de l’art accuse une petite faiblesse momentanée, les maisons de vente l’ont déjà largement amortie en écoulant à profusion leurs sacs à main et autres articles haut de gamme, reconnaissent-elles, et essentiellement parmi la jeunesse, qui sait si bien où sont les vraies valeurs.

Il suffit de regarder la courbe de la bourse, on dirait qu’elle gravit la pente d'un volcan.


dimanche 7 janvier 2024

Ce monde est disparu (9)

Michael Sweerts, tableau d'une jeune femme priant présenté par un jeune homme qui pourrait être le peintre, vendu chez Christie's, sans le cadre, le 7 décembre 2023.

C’est peut-être sous l’influence de ses collègues à Rome, artistes venus comme lui des Flandres et qui peignaient avec fantaisie des scènes populaires de rues et de tavernes, ou de son caractère qu’on dit instable et inquiet, que Michael Sweerts, mort à 40 ans à Goa, n’a jamais peint de tableau banal ou conventionnel - à l’exception peut-être de son autoportrait du musée d'Oberlin. 
C’est ce qui fait une bonne part de l’attrait de ses tableaux, souvent ténébreux dans la lignée de Caravage, jusqu’à en être énigmatiques, mais ne l’a pas préservé de l’oubli.  

C’est en 1996 seulement que Rolf Kultzen publiait le catalogue raisonné du peintre, inventaire toujours en travaux puisqu’apparaissent encore sur le marché de l’art des tableaux de Sweerts inconnus. Découvertes ou réapparitions, c’est toujours un étonnement. 

En 2019 réapparaissait Le toucher, d’une suite de cinq portraits figurant les cinq sens, tous disparus il y a moins de 100 ans, à l’exception de L’odorat aujourd'hui à l’Académie des beaux-arts de Vienne (voir la photo des 5 tableaux dans cette courte vidéo instructive de 5 minutes).
Curieux tableau où l’on réalise, d’après l’expert M. Turquin, que le sens du toucher n’est pas illustré par la caresse du pelage du chat, vision traditionnelle que suggérerait une lecture un peu rapide du tableau, mais par le coup de griffes que le personnage simple d’esprit va provoquer inévitablement en touchant l’oreille de l’animal irrité. 

Et le 7 décembre 2023 disparaissait à Londres, contre une enchère de 2,2 millions de dollars (3 fois l’estimation), un tableau plus singulier encore, inconnu et absent du catalogue raisonné, ni signé ni daté mais attribué sans réserve à Michael Sweerts par Christie’s.
Il représente un jeune homme dans l’ombre - dans son descriptif la maison de ventes s’efforce d’y trouver une ressemblance avec les autoportraits de Sweerts - caché par un tableau qu’il présente avec ostentation et qui figure une jeune femme à mi-corps aux mains jointes - Christie’s affirme que c’est la Vierge de la croyance chrétienne.
Si les peintres se sont souvent représentés - ou leurs collègues - devant leur œuvre, ils se sont rarement cachés derrière. 

La mise en abyme du tableau dans le tableau est encore plus spectaculaire au fond du grand cadre gris sombre dans lequel il était exposé chez Christie’s (illustration ci-dessus), Christie's qui n’en oublie pas les affaires et précise que ce cadre, qui n'est pas l’original (peut-être est-ce celui-là), est vendu séparément.

Lors de la même vente, un autre tableau de Sweerts, une couturière et un serviteur emporté dans un insolite mouvement comme sur un instantané - procédé courant chez Sweerts - tableau pourtant connu et de qualité, restait invendu. 

Quelques Sweerts intéressants : L’atelier du peintre (Detroit Institute of arts), Joueurs de dames (Rijskmuseum Amsterdam), Garçon au chapeau (Wadsworth Atheneum), Portrait en vanité, Chasseur somnolent et chiens tristes (Ermitage Saint-Petersbourg), Fillette blessée (Boijmans Rotterdam), Portrait de jeune femme (en prêt au Mauritshuis, La Haye), Portrait de jeune fille à la coiffe blanche (Leicester museum) , etc.


Le tableau de Michael Sweerts sans cadre.

vendredi 18 août 2023

Ce monde est disparu (7)


C’est la New York des années 1900 à 1950, en noir et blanc, qui disparaissait ce 18 aout 2023. 
Rassurons-nous, une partie seulement de New York, un centième peut-être. C’est toujours comme cela dans les ventes de multiples, gravures ou photos, on soumet un exemplaire aux enchères, quand il en a été tiré beaucoup plus, une centaine pour les gravures de Martin Lewis, par exemple.  

C’était une vente sans exposition publique (online only), mais d’opulentes reproductions "super zoom", comme dit Christie’s, étaient publiées afin que le client vérifie l’état et la qualité des tirages. Et super zoom, ça représente sur l'écran 5 fois la grandeur naturelle de l’objet !

Il y avait des estampes d'Edward Hopper, d’Armin Landeck, des photos de Rosenblum, Stieglitz, Stettner... et surtout 9 superbes gravures de Martin Lewis, en principe non copiables sur le site mais aimablement offertes ici même en illustrations de haute qualité pour 3 d’entre elles.

Et il y avait surtout, parmi les 9 Lewis, une des plus belles gravures jamais imaginées, ce chef-d’œuvre réalisé en 1930 à la pointe sèche, "Tree, Manhattan" (ill. en haut). Il y en aurait eu 91 tirages, dont celui-ci, qui est disparu contre une aumône de 6000$ (c'est à dire 75 000 fois moins que cet épouvantable tableau attribué à Léonard où Jésus pris de boisson tente de deviner l'avenir dans une boule de cristal)
Étonnant, non ?

Illustrations :
En haut : Lewis, Martin - Tree, Manhattan 1930 (Arbre, Manhattan), 32,5cm, 91 exemplaires, 6000$ [3655pix, 5.3Mo] 
Ci-dessous : Lewis, Martin - Two A.M 1932 (2h du matin), 37,7cm, 44 exemplaires, 21 000$ [3611pix 4.3Mo]
En bas : Lewis, Martin - Glow of the city 1929 (Lueurs de la ville), 36,5cm, 100  exemplaires, 33 000$ [2856px, 3.9Mo].

mardi 25 juillet 2023

Ce monde est disparu (5)


Les amateurs de Jean-Léon Gérômeoh ne vous récriez pas, ils étaient tout de même 200 000 à se déplacer jusqu’au musée d’Orsay, en plein hiver 2010, pour voir la petite exposition rétrospective du monsieur - les gens de gout donc, seront ravis d’obtenir enfin une belle reproduction d’un joli Gérôme rose et bleu, une belle carte postale de vacances. Ce tableau est intitulé Le premier baiser du soleil, c’est chou, non ? 
Eh bien il vient de disparaitre, à nouveau, aux enchères de Christie’s, à Londres, mais on ne sait pour où. 

Le dernier propriétaire l’avait gardé 20 ans sans l’abimer. Il l’avait acheté 300 000$ en 2003. C’était alors une bonne affaire, le tableau venait de perdre presque la moitié de sa valeur en 4 ans et en traversant l’Atlantique, le propriétaire précédent ayant sans doute un besoin d’argent urgent. 
Pour compenser l’inflation sur 20 ans, le nouveau propriétaire aurait dû le vendre 500 000$. Il vient de le laisser partir contre 405 000. Ah, dans les lettres du mot spéculation, il y a bien centuplais, mais il y a aussi capitulons

On est loin des records de 2 ou 3 millions de dollars des Gérôme les plus convoités, mais ça n’est pas si mal pour un bout de toile d’un mètre sur 54 centimètres colorié depuis 1886. Vous aurez d'ailleurs peut-être remarqué d'incroyables différences de couleur entre chaque vente. Ç'est une preuve des avancées de la science photographique.

samedi 13 mai 2023

Ce monde est disparu (1)


Avant-propos 

C’est entendu, tout doit disparaitre, toutes choses auxquelles on s’était habitués, des plus grandes aux plus petites, de la reine d’Angleterre au climat raisonnable de la planète, nous rappelle la science dans ce petit article sur le "point de non retour".
Et chaque jour des mondes qu’on ne connaissait pas - il y en a eu tellement de peints ou de dessinés - apparaissent et s’évanouissent en quelques heures. Cela se passe dans les salles de vente aux enchères, par centaines. 

À peine découverts on sait qu’on ne les reverra jamais. Ils iront s’abimer dans les réserves ordinairement invisibles de quelque musée obsédé de sa collection, s’enterrer hors taxes au fond du coffre-fort d’un port franc au cœur de la Confédération helvétique, parfois se voiler lentement de poussière et de fumée de cigare dans le salon privé d’une famille bourgeoise. 

Ce court moment d’existence publique est un prodige. Les salles de ventes ne les exposent dans leurs locaux, n’en publient les catalogues papier, ne les présentent en ligne sur internet, qu’afin de vanter le produit et d’encourager ce miracle des marchands qu’est la fixation du prix par le plus offrant, sans régulation ni retenue.
Après quoi, en quelques jours, ces mondes retrouveront le silence et l'obscurité, où les belles reproductions ne sont généralement pas maintenues.

Voilà quelques années nous conseillions ici-même aux amateurs d’art abstrait, tellement frustrés sur internet à cause de l’absurdité toujours croissante des principes des droits d’auteur, de hanter les sites de vente aux enchères, d’en copier les images (par tous les moyens) et de se constituer ainsi des pinacothèques personnalisées, uniques (mais qu’ils ne pourraient jamais rendre publiques, ou seulement 70 ans après la mort des auteurs !)

Aussi inaugurons-nous aujourd’hui, afin de prolonger un peu la vie de ces mondes éphémères (au moins ceux du domaine public), une rubrique "Ce monde est disparu" où nous publierons régulièrement de belles reproductions de ces mondes passés en vente publique et bientôt invisibles.

Quant au titre de cette rubrique, entre la 8ème de 1935 et la 9ème édition du dictionnaire de l’Académie française, l’usage rare mais subtil (oiseux diront certains) de l’auxiliaire être avec le verbe disparaitre a disparu. On ne peut plus constater qu’une chose est disparue mais seulement affirmer qu’elle a commis l'acte de disparaitre (Victor Hugo dans "Oceano Nox" distinguait les deux emplois). Cependant l'édition du Dictionnaire, actuellement suspendue autour des mots somme, somnifère, somnolence, n’est pas complète. Sera-t-elle un jour achevée ou les immortels seront-ils tous disparus avant la fin de la fatidique lettre Z ?

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Jan Siberechts était un peintre flamand durant la seconde moitié du 17ème siècle, d’abord à Anvers, puis en Angleterre pendant les 30 dernières années de sa vie. Toujours original et minutieux (dans les arbres notamment) il avait un fort faible pour les personnages passant un gué, qui font peut-être la moitié de sa production (4 à Anvers, 3 (?) à Lille, à Cleveland, à Denver…)

Le 24 mai 2023 un peu avant 17 heures chez Christie’s à New York (23 heures à Paris), ce paysage de voyageurs, ce curieux escalier que descend un eau paresseuse sous l’arche d’un pont et cette fin d’après-midi automnale disparaitront.

dimanche 13 novembre 2022

Nouvelles de l’autre monde

NB : Pour un lectorat inaccoutumé aux grands nombres, l’unité de mesure de cette chronique sera le million de dollars noté M$ (aujourd’hui 1M$ égale 1M€)

Vous l’avez certainement lu dans la presse unanime et admirative. Nous rêvions tous d’un monde sans guerre, sans maladies, sans grèves, sans inflation, sans intempéries. Les grandes religions l’avaient promis, et l’Agence France Presse vient de nous l’apporter sur un plateau d’or, agrémenté de chiffres mirobolants : la vente aux enchères par la maison Christie’s à New York des tableaux de la collection Allen, milliardaire regretté, fondateur de la société Microsoft voilà 50 ans avec Gates.

1622987500 de dollars pour 155 œuvres (en 2 journées). Essentiellement des tableaux. Tout est parti. Ah, vous non plus n’arrivez pas à lire ce nombre, vous ne fréquentez pas l’autre monde ? On peut l’écrire 1 622 249 500$, ou 1,622,249,500$, comme font les américains, pour faire croire que ce n’est qu’une suite de petits nombres. Soyons clair, ça fait un milliard et demi de dollars, en gros (ou 15 à 20 Airbus A320)

Détailler les tableaux, les records, comme l'ont fait certains journaux, ne serait que du remplissage. On trouvait dans la collection Allen tout ce que tout milliardaire américain bien élevé doit posséder, surtout des peintres américains, abstraits et contemporains, et des français de l’époque impressionniste et des alentours. Et puis on n’était pas là pour acheter un tableau peint par untel, mais un tableau de la prestigieuse collection du milliardaire Untel. La liste, les prix et les images sont en ligne (journée 1 et journée 2).

Présentons néanmoins pour les connaisseurs quelques remarques et de belles reproductions (n’oubliez pas qu’on ne reverra peut-être plus ces tableaux qu'à l'occasion du décès des milliardaires qui viennent de les acheter).


Tout d'abord, tableau célèbre mais incongru dans cette collection, un beau tondo de Botticelli, la Madone du Magnificat (un détail ci-dessus à gauche) est parti pour un prix dérisoire (49M$), si on le compare à deux Botticelli vendus récemment par Sotheby’s, en 2022 pour le même prix un Christ pleurnichard peint à la chaine par l’atelier, et en 2021, pour le double du prix, un joli portrait fraichement repeint (il faut dire qu'il existe 4 ou 5 versions d'atelier de ce tondo. L'original serait celui du musée des Offices). 

Puis une très belle reproduction du tableau record de cette vente record, le petit (55cm) tableau des Poseuses dans son atelier par Seurat, reproduit ci-dessus à droite et dans tous les journaux, mais pas dans cette qualité (ici deux fois ses dimensions naturelles).

Enfin un Le Sidaner féérique et vénitien (illustré plus haut) et très grand (presque 2 mètres). Le Sidaner, qui n’aura jamais vu autant d’argent (2,1M$), et qui pourtant fait beaucoup baisser la moyenne de la vente (10M$ par œuvre).

Voilà, vous n’avez qu’entraperçu l’entrée du paradis, on raconte dans les couloirs du royaume céleste que la richesse de Paul Allen n’atteignait pas le dixième de la fortune personnelle de Bill Gates. Imaginez la collection !
Après déduction du prélèvement de l’organisateur et des taxes, grossièrement 300M$, le produit de la vente sera consacré à la philanthropie, claironne le même organisateur. On n’en saura pas plus, mais notre monde ici-bas en ira nécessairement beaucoup mieux... 

C’est déjà sensible.

mercredi 20 juillet 2022

Le neveu de Ruysdael

Jacob van Ruisdael - Paysage au crépuscule avec berger et deux chiens, 1648, 68 x 52cm (Vente Christie's 07.07.2022, 4M$), restauration numérique.
 
Les salles de ventes proposent couramment de vieux paysages de campagne, remplis d'arbres, encrassés et illisibles. On y distingue parfois un ou deux personnages qui passent. Les consciencieux commissaires-priseurs trouvent qu’ils ressemblent aux tableaux de Jacob van Ruisdael et s’arrangent pour en glisser le nom dans l’intitulé des tableaux, qui en deviennent hollandais. Mais les véritables Ruisdael, dont chaque centimètre carré respire la liberté du pinceau et la délicatesse de l'inspiration, comme celui qu’on présente ici, sont rares sur le marché. 

Large de 68 centimètres et signé en 1648 (en bas à droite), il représente une simple scène bucolique de crépuscule près de Haarlem. Jacob a alors 20 ans. Son oncle Salomon van Ruysdael (avec un Y) est directeur de la guilde des peintres de Haarlem et vient de l’accueillir parmi ses membres. Il lui a appris, au long des années de formation, cette peinture de paysages nonchalante et sans arrière-pensée qu’il venait d’inventer avec quelques collègues, qui ne durera que trois décennies, et qu’on ne pourrait comparer qu’aux pré-impressionnisme, deux siècles plus tard, quand Corot et ses confrères exploreront la région de Barbizon et la forêt de Fontainebleau, inspirés par le commerce naissant de la peinture en tubes et les joies et surtout désagréments de la pratique en plein air.

Bien que peu vu ce panneau de Ruisdael présente un pédigrée sans histoires. Acheté en 1977 (1M$ d’aujourd’hui), confié à quelques expositions, notamment à Fukushima fin 2015 (!), on pouvait le voir, en prêt, au musée Frans Hals de Haarlem entre 2002 et 2017.

Christie’s vient de le vendre contre l’équivalent de 4 millions de dollars (4M$).
À qui ? un musée, un particulier ? Le prêtera-t-il ?

En attendant la réponse en voici une bonne reproduction, subtilisée sur le site de Christie’s qui a sérieusement régressé en matière de présentation des œuvres et ne permet désormais plus de les télécharger, tout en nous gratifiant d’une interface digne des débuts de l’informatique au siècle dernier.

Deux versions sont disponibles ici, deux fois plus grandes que le panneau original (4 fois en surface). Ci-contre l’état actuel photographié par la maison de ventes, et en haut de page une version numériquement restaurée où la couche uniforme de vernis jaunissant a été atténuée.

lundi 13 juin 2022

Vers l’infini et au-delà (encore)

Le chroniqueur des ventes aux enchères sait que son gagne-pain est assuré pour longtemps, car l’être humain ne s'épanouit que dans le superlatif. Le moindre le navre, l’humilie. 

Et ils sont forts chez Christie’s pour entretenir cette éternelle inflation du marché de l’art ! Rappelons que l’entreprise appartient à un des plus riches spéculateurs et milliardaires français.
En 2017 elle parvenait à vendre aux enchères une vieille croute outrageusement maquillée pour ressembler à un Léonard de Vinci, et empochait à l’occasion environ 60 millions de dollars de frais, sur 450. Pour mémoire, acheté par l'apprenti Staline d’Arabie saoudite, le tableau a depuis disparu dans la nature, abandonné même par les experts qui l’avaient authentifié.

La maison d’enchères vient de récidiver avec le deuxième record en vente publique, en refilant contre 195 millions de dollars, dont plus de 35 dans sa poche, un "portrait de Marilyn par Warhol" - expression abusive puisqu'il s'agit d'une photo dont l’auteur n’est pas cité, et que Warhol a usurpée et reproduite en sérigraphie en la badigeonnant de couleurs vulgaires.  
De l’argent bien gagné. On dit que certains observateurs en furent déçus cependant. L’estimation était plutôt de 235 millions (frais compris), d’autant qu’une autre des Marilyn de la série par Warhol avait été achetée en vente privée en 2018 par un milliardaire américain contre 250 millions. C’est un peu vexant, mais les temps sont durs pour tout le monde. 
4 minutes d’enchères, parait-il. Un seul enchérisseur. Curieusement, l’acheteuse est la galerie Gagosian, qui avait déjà vendu cette même sérigraphie, au vendeur actuel, en 1986. Ça doit être une coïncidence.

Comment, vous ne connaissez pas la galerie Gagosian ? C’est que vous ne vous intéressez pas à la spéculation, ni à la fraude en col blanc.

Depuis les années 1980 Larry Gagosian a ouvert une vingtaine de galeries d’art au cœur des villes renommées de la planète, New York, Londres, Rome, Paris, Genève, Hong Kong, Le Bourget (on ne refuse pas un grand espace d’exposition-vente dans l’enceinte d’un aéroport).
Et quand Gagosian expose dans une de ses galeries, les prix enflent en un rien de temps. Tous les plus chers, talent ou pas, y sont passés, Kiefer, Mc Carthy, Basquiat, Koons, Twombly, Paik, Murakami, Serra, Hirst… 

Le procédé est très ordinaire. Il suffit d’un espace où exposer des choses. Et on attire les médias, donc le client, en provoquant un petit scandale mondain autour d'une exposition.
Si parfois les prix ne montent pas assez vite, on les poussera éventuellement en achetant une œuvre à un prix inattendu, par l’entremise de prête-noms, sociétés multinationales ou célébrités qui seront ravies qu’on parle d’elles. La nouvelle cote de l’artiste, gonflée artificiellement, revalorisera l’ensemble de l’œuvre. Alléché par l'odeur de plus-values rapides et considérables, le spéculateur grégaire accourra les yeux fermés. 

C’est le procédé employé par Damien Hirst, entrepreneur que les revues d’art appellent encore artiste, et que Gagosian exposait régulièrement, notamment en 2012 simultanément dans 11 de ses galeries, avec 300 toiles blanches couvertes de points de couleur aléatoire régulièrement espacés, parmi 1500 toiles sur le même motif réalisées par l’atelier de sous-traitants du peintre. 
En 2008, voyant sa cote baisser sensiblement, Hirst organisait chez Sotheby’s une massive vente aux enchères de ses propres œuvres, très remarquée et relayée par les médias.
Il a dû admettre récemment, au moins à propos du célèbre crâne tapissé de diamants de 2007, soi-disant acheté 89 millions de dollars (ou d’euros lit-on aussi), qu’il n’avait en réalité jamais été vendu et appartenait toujours au groupe d'investisseurs dont il fait partie.

Détail d’un des 107 tableaux de la série Cerisiers en fleurs. Après avoir licencié une partie (60 personnes) de son atelier pléthorique pendant la pandémie de 2020, Damien Hirst est forcé d’apprendre à peindre. Il commence par des taches roses sur fond bleu. C’est mièvre, un peu écœurant mais on sent qu’il fait des efforts. Il les exposait récemment (avec un préambule abyssal de son cru) chez un grand bijoutier parisien pour enfin s'acheter des pinceaux plus fins et se payer des cours sur internet. 
Dans la presse ce ne sont qu’émerveillement, éloges, dithyrambe ! Il y a certainement une raison.

Parmi les exploits de la galerie Gagosian, en oubliant les scandales fabriqués autour des œuvres exposées, notons ses différends avec la justice dès 1990 pour fraude fiscale, en 2009 sa curieuse exposition de "lingots d’or frauduleux", en 2011 l’exposition à New York des peintures du prix Nobel en 2016, Bob Dylan, dont il a été rapidement prouvé qu’elles étaient des reproductions de photos trouvées sur internet et copiées sans l’autorisation ni la rémunération des auteurs, ou en 2014, l’exposition, encore sans l’accord des auteurs, de photographies téléchargées d’Instagram par Richard Prince et vendues des dizaines de milliers de dollars.

Il est difficile d’être étonné par cette persévérance à manipuler la crédulité de ses semblables, à une époque où l’on met en examen sous contrôle judiciaire le président du plus grand musée de l’univers (remplacé dans ce poste juste à temps fin 2021), dans une affaire internationale de trafic d’antiquités proche-orientales, ou quand le ministère de la Culture déclare "Trésor national" un ensemble d’objets réunis par quelques farceurs Incohérents à la fin du 19ème siècle (on en parlait ici), ensemble qui pourrait bien être, d’après une enquête du journal Libération, une mystification, le canular d’un canular, une fumisterie au carré.

samedi 2 avril 2022

Fraises des bois, Marilyn et mondanités

Les médias ont été, derrière les agences de presse, unanimement superlatifs. 

Pour Connaissance des Arts, qui sait dénicher les records les plus farouches, on vient d’assister à un triple record. Notez bien : record d’enchère pour un tableau français du 18ème siècle, record de vente de l’artiste, et record du département Maitres anciens de la salle de ventes, Artcurial. Ils avaient trouvé un quatrième record, celui du nombre de records pour une œuvre dans leur propre revue, mais l’ont retiré lorsque leur comptable, qui se pique de logique, leur eut signalé, la définition du record étant auto-référentielle et récursive, que ce nombre risquait de tendre vers l’infini. 

Dans le Quotidien de l’art, on s’est exclamé fraises propulsées à 20 millions […] nouveau record 2022 […] record mondial pour un peintre français du 18ème siècle ! 
Chez l'excellent Étienne Dumont, dans Bilan.ch, un prix historique […] pour un petit tableau ! […] il a pulvérisé les prix.

Pulvériser ? N’exagérons pas. 24,3 millions d’euros avec les frais soit 30 millions de dollars. Pas même deux fois les estimations. Bien entendu c’est un montant astronomique pour un fragile morceau de toile peinte de 46 centimètres, mais il n’entre même pas dans le livre des 100 tableaux les plus chers. Un peu faible, le petit Chardin, pour rehausser l’honneur de la France dans l’art de la fraise des bois ! 
Et admettons, comme le reconnait Diderot cité par Pierre Larousse (dans Gd dict. Univ. du 19ème vol.3 p.979, 1867), que sa peinture n’est pas toujours très nette « Son faire est particulier ; il a de commun avec la manière heurtée, dans ses compositions de nature morte, que de près on ne sait parfois ce que c'est, et qu'à mesure qu'on s'éloigne l'objet se crée et finit par être celui de la nature même. Quelquefois aussi il plait également de près et de loin. »

Restez cependant à l’écoute de notre blog car une surprise vous attend sous peu. Une quatrième chronique sur le sujet des fraises des bois se profile déjà, car les médias disent que l’acquéreur américain du Chardin ne serait que l’intermédiaire d’un musée masqué, que la France peut toujours refuser l’autorisation d’exporter le tableau, et que la toute nouvelle présidente nommée à la tête du musée du Louvre le voudrait à tout prix (lire le postscriptum)
En voilà de l’information. On se croirait devant les statistiques sanitaires d’état d’urgence du ministère de la Santé. 

Goutez ici en prime les inénarrables 8 minutes de la vente, dans une salle où plus personne ne respire (particulièrement le commissaire et l'expert qui toucheront un gros pourcentage), devant une petite image colorée, décentrée, au fond, sur un grand mur blanc.  

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Vous avez aimé ce potin ? Eh bien préparez-vous à plus merveilleux encore ! 

Car la maison Christie’s vient d’annoncer mettre en vente, en mai, une copie d’un superbe portrait de Marilyn Monroe photographiée en 1953 par Frank Powolny (1902-1986), pour la publicité du film Niagara (Réf. du cliché F-999-S-364, voir notre illustration, un peu rognée)

Mais pas n’importe quelle copie ; une reproduction imprimée par procédé sérigraphique sur une toile colorée à l’acrylique bleu ou vert sauge, et badigeonnée de quelques couleurs kitschs en aplat, rouge rubis, jaune paille et rose bonbon, notamment. C’est Andy Warhol qui l’a réalisée en personne et en 1964. Christie’s l’estime modestement et unilatéralement à 200 millions de dollars minimum (ne vous récriez pas, il n’y a pas d’erreur dans le nombre de zéros). 

La maison de ventes l’explique parce qu’elle est plus célèbre que la photo originale (dont Warhol ni personne ne cite jamais l’auteur), la déclare la peinture la plus importante du 20e siècle en soulignant qu’il ne reste plus que le sourire énigmatique qui la relie à un autre sourire mystérieux d’une dame distinguée, la Joconde. Cela ne veut rien dire, mais ça fait fichtrement poétique, et évocateur d’une montagne de billets, aussi. Christie’s ajoute enfin que tout le produit de la vente ira à une œuvre de charité
On se doutait bien naviguer déjà sur les eaux profondes de la philanthropie. Et l’opération risque fort de réussir. 

L'encyclopédie Wikipédia mentionne qu’en produisant ses séries reprographiées Warhol disait se rebeller contre la marchandisation des artistes dans la société de consommation.
Quel dommage, c’est raté.


Mise à jour le 20.04.2022 : la vente du nouveau record du monde de Warhol aura lieu le 9 mai 2022 à 19h.