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lundi 25 novembre 2024

Ce monde est disparu (16)

John Koch, Conversation le soir, 1954, esquisse et toile finale.
Vente Sotheby's 20.11.2024, 30k$.

Vous ne connaissez peut-être pas John Koch. On n’entend jamais parler de lui en Europe. L'Encyclopédie en français ne le connait pas. Il a pourtant passé 5 ans à paris.

C’était un peintre américain sans le moindre intérêt pour les mouvements de peinture de son temps (1909-1978). Il gagnait très bien sa vie en réalisant des portraits classiques de familles bourgeoises classiques dans des appartements bourgeois (souvent le sien, une vingtaine de pièces au 10ème étage d’un immeuble prestigieux de Manhattan).  

Chaque objet, sur ses toiles, est soigneusement éclairé, chaque personnage consciencieusement mis en scène, chaque reflet, chaque forme parfaitement placés pour faire joli et accueillant. Bref des tableaux confortables, douillets et sans mystère, ce qu’on aime dans la peinture classique, le plaisir des yeux sans arrière-pensée. 


Le Metropolitan museum de New York possède 5 très beaux Koch, qu’il reproduit à peine, pour raison de copyright, car le pauvre Koch, mort en 1978, devra attendre 2049, voire 2072, pour devenir un peintre incontestable. Pour l’instant il n’est qu’un faiseur de timbres-poste. Il attend discrètement dans les réserves du musée, qui se garde bien de l’exposer.

Heureusement, dans le monde merveilleux du libéralisme économique, l’argent permet de violer n’importe quelle réglementation, et pour allécher le client les salles de vente reproduisent somptueusement les œuvres d’art dans leurs catalogues en ligne (seulement pour une durée limitée avant la vente, bien entendu). 


Koch s'achète surtout chez Sotheby’s à New York (mais aussi Christie's, Bonhams ou Doyle), entre 10 et 30 000$, avec de rares pointes à 300 000$, et un record à presque 700 000$. Ainsi cette belle Conversation nocturne de 1954 en illustration plus haut, accompagnée d’un dessin préparatoire, vient de disparaitre contre 30 000$ (presque autant en euros).


Ci-dessous, quelques reproductions de bonne qualité (illégales encore pendant 25 ans) d’œuvres de Koch passées en ventes publiques dans les 10 à 15 dernières années. Vous noterez que sa peinture, quoique plus subtile, n’est pas si éloignée de celle d’Edward Hopper, mais un Hopper dont la principale préoccupation métaphysique aurait été le choix de la couleur des rideaux. Il faut bien que les gens heureux s’expriment aussi.

 

vendredi 18 août 2023

Ce monde est disparu (7)


C’est la New York des années 1900 à 1950, en noir et blanc, qui disparaissait ce 18 aout 2023. 
Rassurons-nous, une partie seulement de New York, un centième peut-être. C’est toujours comme cela dans les ventes de multiples, gravures ou photos, on soumet un exemplaire aux enchères, quand il en a été tiré beaucoup plus, une centaine pour les gravures de Martin Lewis, par exemple.  

C’était une vente sans exposition publique (online only), mais d’opulentes reproductions "super zoom", comme dit Christie’s, étaient publiées afin que le client vérifie l’état et la qualité des tirages. Et super zoom, ça représente sur l'écran 5 fois la grandeur naturelle de l’objet !

Il y avait des estampes d'Edward Hopper, d’Armin Landeck, des photos de Rosenblum, Stieglitz, Stettner... et surtout 9 superbes gravures de Martin Lewis, en principe non copiables sur le site mais aimablement offertes ici même en illustrations de haute qualité pour 3 d’entre elles.

Et il y avait surtout, parmi les 9 Lewis, une des plus belles gravures jamais imaginées, ce chef-d’œuvre réalisé en 1930 à la pointe sèche, "Tree, Manhattan" (ill. en haut). Il y en aurait eu 91 tirages, dont celui-ci, qui est disparu contre une aumône de 6000$ (c'est à dire 75 000 fois moins que cet épouvantable tableau attribué à Léonard où Jésus pris de boisson tente de deviner l'avenir dans une boule de cristal)
Étonnant, non ?

Illustrations :
En haut : Lewis, Martin - Tree, Manhattan 1930 (Arbre, Manhattan), 32,5cm, 91 exemplaires, 6000$ [3655pix, 5.3Mo] 
Ci-dessous : Lewis, Martin - Two A.M 1932 (2h du matin), 37,7cm, 44 exemplaires, 21 000$ [3611pix 4.3Mo]
En bas : Lewis, Martin - Glow of the city 1929 (Lueurs de la ville), 36,5cm, 100  exemplaires, 33 000$ [2856px, 3.9Mo].

lundi 17 avril 2023

Mais où est l'erreur ?

À qui sont ces pieds ?
 
Comme nous venons de le voir avec l’Étalon de Vitruve, célèbre dessin de Léonard de Vinci, l’art est une chose mentale, et l’artiste parfait sait dessiner des personnages aux proportions parfaites. 
Mais ça, c’est la théorie. Dans la vraie vie la plupart des peintres, et pas des plus manchots, font couramment des erreurs dans leurs anatomies. Pourtant l’enseignement classique ne lésinait pas sur le nombre d’heures que passait l’apprenti artiste à reproduire l’anatomie des modèles vivants ou de pierre, non que le corps humain fût plus difficile à dessiner que celui d’une girafe ou d’un tardigrade, mais parce que l’œil humain repère instantanément le plus petit défaut physique chez un congénère, quand il ne ferait même pas la différence entre un tardigrade au long cou et une girafe asthénique.
Or, la faiblesse de la peinture réaliste, c’est qu’à la moindre erreur, à la première infidélité envers la réalité, l’ensemble soudain sonne faux, se révèle fabriqué. Qui découvre ce type de défaut dans un tableau pourtant admiré depuis des années ne pourra plus le regarder sans trouble et maudira le peintre pour cette trahison.

Par exemple, pouvez-vous désormais regarder sans malaise l’apôtre de Caravage à la National Gallery depuis qu’on vous a charitablement signalé cette disproportion de sa main droite ?
C’est pourquoi, pour ne pas gâcher vos futurs plaisirs dans les grands musées du monde nous illustrons aujourd'hui cette leçon sur les problèmes d’anatomie par un exemple inoffensif, une badinerie de Jean-François de Troy. 

Quelle capitale dans le monde, quel musée de la province française, n’a pas son tableau de Jean-François de Troy ? Cependant il est probable qu’ils ne les exposent pas. Le Louvre en montre 2 sur 28 (et en prête 11).
Serait-il exposé qu’on le regarderait à peine, ou alors avec dédain. On a soupé de ses quelques 200 ennuyeuses scènes de mythologie grecque, romaine, chrétienne, molles et sans invention, de ses piqueniques élégants, de ses bombances d’huitres, et même de ses 11 "tableaux de mode" qui décrivent avec force soieries, fanfreluches, falbalas et porcelaines les divertissements délicats de l’aristocratie et qui eurent leur petit succès (auprès de l'aristocratie) dans les Salons des arts autour de 1730.

La maison d’enchères Christie’s vient malgré cela de dénicher un millionnaire décidé à débourser 3,6 millions de dollars pour un de ces tableaux de mode, la Partie de lecture de 1735, 65 centimètres par 82 (détail en vignette)

Alors, de votre point de vue, à qui sont les deux pieds et les mules à talon brodées qui les chaussent, au centre du tableau ?
À la lectrice, dites-vous ? Admettons. On sait que l’anatomie, comme l’inspiration, n’était pas la spécialité de De Troy.
Ne riez pas, c’est beaucoup plus fréquent que vous ne le pensez ! 
Ah non, on ne dénoncera personne, n’insistez pas.

À moins que… On pourrait inaugurer un jeu des erreurs dans la grande peinture réaliste. Dénicher les fautes de perspective, d’ombres, d’anatomie, les incohérences en tout genre…


samedi 10 novembre 2018

La refonte de l'Artic

Monet, Matinée brumeuse sur un bras de la Seine à Giverny, 
d'une série de 18 toiles, en 1897
Collection Art Institute of Chicago.

Le voyageur immobile qui frissonne en s’aventurant dans le labyrinthe des sites des grands musées, mais qui y passe tant d’heures que sa vie sociale menace ruine, ne pourra pas nous reprocher la chronique d’aujourd’hui.
Il s’agit pourtant d’un très grand musée, l’Art Institute de Chicago (https://www.artic.edu/), l’un des plus riches des musées américains, qui présente fièrement son site complètement refondu, et se vante de 52 438 images téléchargeables en très bonne qualité et libres de droits, et de son nouvel outil de recherche d’une grande précision, armé de filtres ingénieux.

Voyons cela. Faisons honneur au musée en allant flâner dans les collections d’art américain. Le bouton « Show filters » affiche à gauche les catégories qui filtreront la recherche parmi plus de 100 000 objets catalogués.
Le critère « Départements du musée » semble le plus pertinent. Mais l’appui sur le bouton d’un critère n’affiche pas la liste complète des éléments disponibles mais une zone de recherche où il faut saisir une expression, en anglais.
Soit. Entrons le mot « American », et cochons l’élément « American art » qui apparait alors et réduit la requête à 2604 objets. Une première page de 50 vignettes s’affiche automatiquement après quelques secondes, qui deviendront vite énervantes dans les recherches à plusieurs critères, car au moindre clic sur la page elles empêchent toute autre fonction. Patientons.

Promenons-nous enfin parmi les vignettes de l’art américain. Ici commencent les vrais problèmes d’ergonomie, car le site ne sait pas paginer correctement les résultats d’une recherche. Or notre exploration promet 53 pages de vignettes (2604 divisés par 50). Ainsi pour voir les dernières images de la catégorie « Art américain » on devra appuyer 52 fois sur le bouton « Load more » (en afficher plus), et attendre 5 à 10 secondes entre chaque appui pour afficher, à chaque fois, la page suivante additionnée de toutes les précédentes. La 53ème page, très longue, comprendra donc, si le navigateur n’a pas rendu l’âme entre-temps, l’ensemble des 2604 vignettes. L’opération complète demandera 15 à 20 minutes.

Quatre conseils et informations pour ne pas en arriver à une geste définitif :

• Si pendant une longue requête, une vignette attire votre attention, n’oubliez pas de « l’ouvrir dans un nouvel onglet », sans quoi, en voulant retourner à la page précédente, vous seriez condamné à reprendre le chargement à partir d’une page choisie semble-t-il aléatoirement.

• Ne demandez pas le classement des résultats de recherche par nom d’artiste, c'est inutile. Les tris par artiste se font à l’absurde façon anglo-saxonne, dans l’ordre alphabétique des prénoms !

• Si vous utilisez la fonction de recherche globale sans l’emploi des filtres, et souhaitez par exemple savoir si le musée héberge des œuvres d’Henri Taurel, le site vous proposera, parmi d'autres objets approximatifs, tous ceux qui figurent des tortues. Parce que Tortue en anglais s’écrit Turtle et que l’Art Institute considère qu’emporté par l’émotion et ébloui par la sublimité de son ergonomie vous avez raté la moitié des touches de votre clavier en entrant votre requête. Alors il vous a obligeamment corrigé, ce qui ravira peut-être un dadaïste dilettante ou un oulipien à la retraite.

• Enfin ne vous attendez pas à trouver là de bonnes reproductions des œuvres dont l’auteur n’est pas entièrement décomposé. Une conception extensive du droit d’auteur y est résolument respectée. Grant Wood par exemple, qui est dans le domaine public en Europe depuis 2013, ne l’est pas aux États-Unis. Toutes ses gravures sont reproduites au format d’une carte postale, et seul le fameux tableau « American Gothic » peut être agrandi et détaillé (mais pas téléchargé). C’est parce qu’il est devenu, comme « Le monde de Christina » d’Andrew Wyeth, une icône de l’Amérique courageuse et prospère, et qu’il eut été humiliant de présenter l’une des « Joconde » du musée aux dimensions d’un timbre poste.

On l’aura compris, le site de l’Art Institute de Chicago n’est pas fait pour le badaud ingénu qui pense qu’internet lui fera découvrir le monde mieux que le journal télévisé. Il est fait pour un homo sapiens moderne, instruit et efficace. On le visite quand on sait très précisément ce que l’on cherche. Et si possible en anglais. Sans quoi l'exploration s’embourbe inéluctablement, comme dans l’escalade d’une dune de mélasse dont le sommet s’éloignerait à chaque pas.

***
Il y a pourtant de belles choses dans cette collection. Ci-dessous quelques détails de portraits par Berthe Morisot, Velazquez, Jean Hey, Thomas Sully, de paysages par Carl Blechen, P.J. Volaire, Magritte, M.J. Heade, et de diverses choses par Thomas Fearnley, Fussli, Dalí, et J.J. Lefebvre.
Vous y verrez aussi, sans aucun ordre évidemment, Hopper, Caillebotte, Sanchez Cotan, Homer, Turner, Van Ruisdael, Fantin-Latour, Cambiaso, Boudin, Aert de Gelder, Goya, Canaletto, Rembrandt, Sargent, Utamaro, Dalí encore

Pour le reste, bon courage !


dimanche 30 mars 2014

Livres de raison illustrés

Un Livre de raison (parfois appelé livre de comptes) est un manuscrit domestique, un inventaire, où sont consignés chronologiquement par le chef de famille les évènements qui importent dans la gestion du patrimoine. On en a retrouvés qui datent du 14ème siècle. Ils étaient fréquents au 17ème jusqu'au 19ème siècle, chez ceux qui possédaient.

Et nombre de peintres au tempérament comptable ou méthodique ont tenu livre de raison. Le plus célèbre fut Claude Gellée dit le Lorrain (1635-1682). Il avait réalisé à la plume et au lavis près de 200 reproductions de ses tableaux, sur des feuilles de 25 centimètres où il indiquait quelques informations sur le destinataire et le prix de l'œuvre et qu'il avait regroupées. On dit que c'était pour confondre les nombreux plagiaires ou faussaires, c'est pourquoi il l'appelait « Livre de vérité ». Ce Liber Veritatis est conservé de nos jours au British Museum à Londres.

Joséphine Hopper, la femme d'Edward, a tenu dès 1924 et pendant 40 ans un cahier des peintures de son mari. On y trouve pour chaque tableau une vignette rapidement dessinée (peut-être par Edward), un descriptif, les dimensions, la date, le lieu, la technique utilisée, l'acheteur, le prix de vente... L'illustration ci-contre présente un détail de la page qui consigne en 1963 la réalisation d'un des derniers tableaux de Hopper, « Soleil dans une chambre vide ». On notera que les « libertés » prises par le peintre dans la projection des ombres se retrouvent dans la vignette.

Félix Vallotton également méticuleux a laissé de nombreux livres, de raison ou de comptes, qui ont fourni quantité d'informations pour la constitution du catalogue complet de ses œuvres.

Voici une cinquantaine d'années, les héritiers du peintre réaliste clodoaldien Édouard Dantan trouvaient dans son atelier déserté un épais cahier poussiéreux que le peintre avait titré « Énumération des tableaux, portraits, études, copies, dessins, aquarelles... par Joseph Édouard Dantan... », commencé à 21 ans en 1869, et clos de la main de son fils Pierre bien après la mort d'Édouard dans un accident d'automobile le 7 juillet 1897.

Sur plus de 1100 œuvres énumérées, seules 300 ont été retrouvées, et un certain nombre qui ne figurent pas dans le livre de raison. Le site du Musée d'art et d'histoire de Saint-Cloud en expose la reconstitution et autorise le téléchargement d'un facsimilé de qualité du livre de raison (60 Mégaoctets).
Et il est touchant de parcourir ce journal illustré joliment calligraphié à l'encre violette ou noire et d'avoir l'impression de voir s'écouler ainsi toute une vie en pointillés.

Dantan Édouard, dernières pages de la partie Peintures du Livre de raison.

dimanche 26 janvier 2014

Vallotton et les nombres

Vallotton, Poivrons 1915 (détail), Kunstmuseum Solothurn (Suisse)

À Paris, les portes du Grand Palais se sont fermées sur l'exposition rétrospective du peintre franco-suisse Félix Vallotton.
Les organisateurs se déclarent forcément satisfaits de la fréquentation. 308 000 visiteurs, trois fois moins que Claude Monet, deux fois et demi moins que Salvador Dalí ou Edward Hopper, mais moitié plus que Jean-Léon Gérôme.

Malgré ce demi-insuccès, les visiteurs interrogés témoignent de conditions pénibles, de salles surpeuplées. On parle de 3166 visites par jour, ce qui fait (en comptant 2 heures par client et 10 heures d'ouverture par jour) 500 à 1000 personnes simultanément, c'est à dire 3 à 10 en permanence devant chaque tableau. Les plus beaux étaient souvent inaccessibles. Seul était satisfait le visiteur qui avait le privilège de faire l'ouverture, passait assez rapidement les premières salles puis s'efforçait de ne pas se faire rattraper par le raz-de-marée des moins fortunés.

Par ailleurs le contenu de l'exposition, décevant, n'était pas à la hauteur de la qualité du peintre. Au lieu d'adopter la méthode sage et éprouvée de l'exposition chronologique de l'œuvre, le parti pris était de subdiviser Vallotton à travers dix thèmes abstraits et hétéroclites. Et pour équilibrer chaque concept, on a fait entrer de force des choses sans intérêt dans les thèmes déficients et en contrepartie exclu des toiles majeures des thèmes les plus riches.

Résultat, un catalogue désolant, où les grands nus caoutchouteux et les délirantes scènes mythologiques ont pris la place des magnifiques paysages épurés qui marquent les vingt dernières années de la vie de Vallotton, et qui étaient ici assez rares.

En résumé, une bien belle exposition à ne pas rater.

vendredi 22 mars 2013

Et le gagnant est...

Dalí, Phosphène de Laporte (détail) 1932
reproduction autorisée (photo. JFP 2013)

Il y a bien longtemps que la visite des grandes expositions médiatisées n'est plus faite de sérénité et de contemplation mais d'énervement et de frustration.

On se rappellera la rétrospective Claude Monet au Grand Palais, fin 2010. La Réunion des musées nationaux avait tout fait pour exploser le record du nombre de visiteurs, jusqu'au marathon des quatre derniers jours où l'exposition était permanente, jours et nuits.
Résultat, 913 000 visiteurs s'y étaient bousculés. Même la longue exposition Toutankhamon en 1967 était battue, relativement à sa durée (1 200 000 en six mois et demi, soit 738 000 en quatre mois).
Fin 2012, le Grand Palais lançait L'exposition Edward Hopper sur le même schéma triomphant. Mais mauvais temps, moindre renommée du peintre, ou martelage promotionnel moins réussi, il ne se trouva que 784 000 amateurs pour braver le froid et la promiscuité.

Grâce à Claude Monet, Le Grand Palais avait détrôné le Centre Pompidou (Beaubourg) titulaire du record (relatif) depuis 1979, avec les 840 000 entrées de la rétrospective Salvador Dalí.
Il fallait réagir. Et l'occasion était trop belle avec l'actuelle et grandiose exposition Dalí, présentée  dans le même musée 33 ans plus tard.
Après quelques semaines, le Centre décidait déjà de faire tous les jours nocturne jusqu'à 23 heures. Et aujourd'hui, la fin approchant, avec déjà plus de 800 000 entrées annoncées, il a déclenché le désormais traditionnel marathon non-stop. Quatre jours sans interruption.
Cela lui permettra probablement de battre son ancien record de 1979, mais pas celui de Claude Monet. Pour cela il faudrait dépasser 25 000 visiteurs par jour, objectif inaccessible, la moyenne actuelle, contrainte par les normes sécuritaires et commerciales, étant de 7 000 sur 12 heures (750 simultanés).
Mais le musée pourrait surprendre en prolongeant l'exposition.

L'alibi de cette compétition est toujours le même « Pour répondre à l’enthousiasme du public ». Cependant, à lire les descriptions horrifiées et les témoignages consternés des malheureux qui se sont trouvés prisonniers de la gestion absurde et inqualifiable des files d'attente du Centre Pompidou, on constate que le bien-être du spectateur et la sécurité des œuvres sont les derniers soucis des musées, loin derrière l'obsession du score.

Jusqu'au jour où...


Mise à jour du 29 mars 2013 : voir la chronique « Rebondissements »


samedi 17 novembre 2012

Edward Hopper ou l'ennui

Edward Hopper, The lonely house (gravure 1922)


« L'ennui opère des prodiges : il convertit la vacuité en substance. » 
Cioran, Syllogismes de l'amertume

On pensait jusqu'à présent que le public ne se déplaçait en nombre que pour les évènements optimistes, ceux qui exaltent l'harmonie de la nature, la grandeur de l'Homme et de ses réalisations, d'où le triomphe des expositions autour des peintres impressionnistes ou des joyaux des pharaons.
Il faudra admettre, à la vue des files interminables (jusqu'à 5 heures d'attente) qui piétinent à la porte de la rétrospective consacrée au peintre Edward Hopper au Grand Palais de Paris, que la règle n'est pas aussi élémentaire.

Car Hopper n'était pas un peintre particulièrement jovial. Il décrivait sur de grandes toiles aux couleurs à la fois fades et acides, une réalité américaine généralement urbaine dont il négligeait les objets inutiles pour ne conserver que les plus emblématiques. Et au milieu de ces décors dépouillés à en devenir géométriques, il déposait quelques personnages qui ne font rien, rien qu'attendre l'instant suivant, qui sera identique au précédent.
Hopper est un peintre de l'ennui. Pas l'ennui métaphysique, pas un ennui existentiel noble et mélancolique, mais un mal-être vague et insipide devant la banalité de la vie quotidienne.

Tout cela n'est pas vraiment vendeur. C'est pourquoi la campagne promotionnelle du commissaire de l'exposition, pour qui le mot « réalisme » doit faire un peu minable, lui a joint l'adjectif « paradoxal ». Il faut toujours fabriquer du mystère, le réel ne suffit pas.
Et il ne s'arrête pas au réalisme paradoxal, mais évoque, dans l'ombre du peintre, des écoles prestigieuses en « -isme », surréalisme, cubisme, symbolisme, romantisme... Et pourquoi pas cyclotourisme ?

Finalement l'engouement vient peut-être simplement du fait qu'Edward Hopper est un peintre inconnu, mais dont on a vu mille fois les œuvres reproduites jusqu'à la nausée sur la couverture des romans policiers dans les gares.
Alors comme l'internet est avare en bonnes reproductions, il est conseillé de réserver une place à la première heure de l'exposition (pour ne pas être confronté au douloureux réel qu'est la profusion des autres visiteurs) et de constater par soi-même que ses tableaux n'ont besoin que d'être là. Leur présence est celle de la réalité. Et la réalité est amère, frivole, incohérente. C'est Alexandre Vialatte qui l'a dit.

samedi 27 juin 2009

M. Lewis parmi les ombres

Martin Lewis, graveur, illustrateur, peintre.

1881, Castelmaine, Victoria, Australie
1962, New York city, États-unis.

M. Lewis, Late traveler 1949 (pointe sèche, 31x42cm)Quelques repères : bohème, il émigre aux États-unis en 1900, à New York en 1909. Il fait un séjour en Angleterre en 1910, où il rencontre Whistler et Seymour Haden. En 1915, il grave ses premières œuvres personnelles et enseigne la gravure à Edward Hopper. Il fait un long voyage au Japon en 1920. Ses vues du Japon et ses nocturnes de New York se vendent assez bien entre 1925 et 1935. Puis il est vite oublié. Le catalogue de ses gravures comprend 148 numéros.

Que dire du style de Lewis ? Il suffit de regarder. Son sens incomparable de la composition, ses effets de lumière si variés et nuancés, et ces ombres qui s'infiltrent partout.

M. Lewis, Tree Manhattan 1930 (pointe sèche, 41x33cm), détail.Lewis est sans doute un des plus grands graveurs, et un des plus méconnus (1). De son vivant déjà, il avait rejoint les silhouettes anonymes qu'il dessinait parmi les ombres. Un blogueur nostalgique l'en sort parfois, momentanément, quand il le redécouvre dans quelque site américain, eldorado des dénicheurs (2).


(1) Le site de l'Art Students League de New York où il a été professeur de 1944 à 1951 ne le cite même pas dans les nombreux artistes dénombrés dans son historique.

(2) Le site du Detroit Institute of Arts propose près de 200 reproductions qui peuvent toutes être détaillées au moyen d'un zoom, et le site du Smithonian American Art Museum présente 20 des plus belles gravures de Lewis en splendides reproductions de grand format.

Mise à jour le 22.07.2023 : Évidemment, après 14 années, on peut se douter que les liens vers les reproductions ne fonctionnent plus. L'outil de recherche du musée de Detroit étant déficient, cherchez exactement le texte "Martin Lewis, American, 1881-1962" (avec les guillemets) à cette adresse, et commencez la visite par les dernières pages trouvées.

Montage d'ombres et de silhouettes extraites de gravures de Martin Lewis